LA CONVENTION pharmaceutique signée début avril avec l’assurance-maladie, va très sensiblement modifier le mode de rémunération des pharmaciens d’officine, avec l’introduction d’une part d’honoraires dans leur rémunération globale. Jusqu’à présent, en effet, pour le médicament remboursable, le pharmacien n’est rémunéré qu’avec une marge calculée en fonction du prix de vente (marge dégressive lissée) et un forfait.
Ce type de rémunération ne prend pas en compte le temps passé avec certains patients aux ordonnances complexes, pas plus que les conseils qui sont dispensés par le pharmacien, les missions de prévention auxquelles il peut participer, le dépistage et l’accompagnement de certains patients... En outre, le système de la marge sur le prix de vente fait étroitement dépendre la rémunération de l’officine du prix des médicaments et des volumes de vente. L’assurance-maladie considère ce système comme « inflationniste », alors même qu’il n’est pas totalement satisfaisant pour les pharmaciens. « Pour près d’un tiers des ordonnances délivrées, la rémunération effective ne dépasse pas 2,50 euros », explique Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO).
L’idée qui a prévalu à la signature de la convention et à ses avenants, issus de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST), est donc d’attribuer à l’officine des honoraires de dispensation pour rémunérer les conseils donnés par le pharmacien, et que les syndicats espèrent voir s’élever à 1 euro environ par ordonnance. Ainsi, le récent protocole d’accord signé avec l’assurance-maladie prévoit que, dès le 1er janvier 2013, 12,5 % de la marge de l’officine (soit 1/8e de cette marge, qui représente 5,5 milliards d’euros pour l’assurance-maladie) seront transformés en honoraires, avec l’objectif de passer, en cinq ans, à 25 % d’honoraires. « C’est un tournant majeur pour les pharmacies françaises », fait valoir Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, le principal syndicat à avoir défendu le projet sous cette forme.
Les autres syndicats, quant à eux, semblent plus réticents. Pour Gilles Bonnefond, cet accord manque de visibilité : « II nous aurait fallu un véritable plan sur cinq ans, pour que les pharmaciens aient une vision claire de l’évolution de leur rémunération », avance le président de l’USPO. Mêmes réserves à l’UNPF, pour qui les honoraires ne doivent représenter qu’une faible part de la rémunération totale de l’officine, le syndicat défendant par ailleurs une relinéarisation de la marge actuelle.
Un impact limité.
En plus des honoraires de dispensation, il est également prévu que le pharmacien pourra faire, toujours à partir de 2013, des « accompagnements pharmaceutiques » sous forme d’entretien ou de rendez-vous, pour deux types de pathologies dans un premier temps : d’abord pour les patients sous
anticoagulants, pour lesquels les pharmaciens percevront dès janvier prochain un forfait de 40 euros par patient. Et aussi, à partir du 1er juillet 2013, pour les patients asthmatiques. Ces éléments de rémunération viendront s’ajouter à ceux déjà prévus, notamment, pour la réalisation d’objectifs de substitution de médicaments génériques et pour les actions de dépistage ou de suivi des malades chroniques.
En ce qui concerne la dispensation et l’analyse des ordonnances, les modalités pratiques et le taux effectif des honoraires ne sont pas encore fixés. Ces curseurs seront déterminés par un avenant à la convention d’ici à la fin de l’année 2012, après que le gouvernement aura dévoilé les orientations du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2013. Car si l’on estime que les honoraires attribués aux pharmaciens devraient représenter 800 millions d’euros pour l’assurance-maladie, ce changement devra se faire à enveloppe constante. Il faudra donc trouver des économies ailleurs...
Tous les syndicats s’accordent toutefois à dire que le montant des honoraires devra prendre en compte plusieurs critères, et notamment l’analyse de l’ordonnance selon le nombre de lignes. « Entre une ordonnance à deux ou trois lignes et une autre qui en compte sept ou huit, le travail du pharmacien, le temps qu’il y passe et les conseils qu’il peut donner ne sont pas les mêmes », indique Gilles Bonnefond. À noter que la FSPF espère aussi que l’accompagnement de patients à profil particulier et le suivi de traitements comme ceux de substitution aux opiacés seront également retenus pour la fixation des honoraires.
Quoi qu’il en soit, le montant total de cette nouvelle rémunération dévolue aux officines représentera en 2013 un pourcentage assez faible du chiffre d’affaires total. L’économie générale de l’officine n’en sera donc pas bouleversée, au moins dans un premier temps. Mais tout dépend néanmoins du point de savoir comment ce transfert d’un huitième de la marge des officines vers des honoraires déconnectés des volumes et des prix va s’opérer.
« J’ai le sentiment que le calcul de la marge sera fait en amont, et que cela ne changera donc pas le prix sur la vignette, explique Patrick Bordas, responsable national du réseau Professions de santé chez KPMG. En d’autres termes, les modalités qui seront mises en place pourraient revenir en fait à une augmentation du forfait à la boîte, sauf si un forfait par ordonnance est mis en place. Mais comme tout cela va se faire à enveloppe constante, il est évident qu’il va y avoir des transferts entre officines. En effet, pour la marge, on avait jusqu’ici deux paramètres seulement, à savoir le chiffre d’affaires et le volume de boîtes de médicaments. Or la mise en place des honoraires va pousser le curseur du calcul de la marge vers le nombre de boîtes. Enfin, si on ajoute un critère de proportionnalité au nombre d’ordonnances délivrées, on aura un autre critère à prendre en compte qui est le nombre d’ordonnances ou le nombre de clients venant avec une ordonnance. »
Politique commerciale.
Quelles seront alors les officines avantagées ou au contraire pénalisées ? Depuis longtemps, le système de la MDL favorise les officines qui ont un fort taux d’ordonnances dans leur chiffre d’affaires total. Par conséquent, les honoraires que percevront les pharmaciens pour la dispensation d’ordonnances devraient surtout profiter aux officines qui effectuent le plus de ventes sur ordonnances, et notamment les officines de quartier ou rurales. Inversement, la rémunération sur honoraires sera moins avantageuse pour les officines qui ont un pourcentage de ventes sans ordonnance élevé (en parapharmacie et médicament-conseil notamment). Bien que cette différence joue souvent à la marge, dans certaines officines, il sera donc sans doute nécessaire de modifier la politique commerciale, en baissant l’offre et le stock sur le médicament-conseil et la parapharmacie et en les recentrant sur le médicament remboursable.
À court terme, ces changements pourraient avoir également des conséquences sur la valorisation des fonds. Rien n’étant encore définitivement arrêté sur le mode de calcul des honoraires, la période transitoire actuelle risque de créer des incertitudes chez les pharmaciens titulaires eux-mêmes, mais également chez ceux qui veulent acheter une pharmacie, puisque l’on ne sait pas encore exactement comment la marge sera calculée l’année prochaine. Si un pharmacien veut acquérir aujourd’hui une officine, il ne sait pas quelle sera la marge nécessaire en 2013 pour rembourser son emprunt. « Or tout le monde est un peu dans l’attente, qu’il s’agisse des candidats à l’acquisition, des experts-comptables qui doivent bâtir un plan de financement, et des banques qui ont horreur du vide », poursuit Patrick Bordas.
Baisse des fonds ?
Dans les mois qui viennent, le nombre de transactions pourrait donc baisser assez sensiblement, et le prix des fonds pourrait s’en ressentir. D’ailleurs, de nombreux titulaires pensent tout simplement que les honoraires vont faire baisser la valeur des fonds, cette valeur étant calculée à partir du chiffre d’affaires. Pour les experts-comptables, c’est un mauvais raisonnement. « L’activité et la marge brute des officines devraient être globalement maintenues avec la mise en place des honoraires, et c’est ce qui compte pour la valorisation des fonds. Une officine rentable au vu de ses résultats et de son excédent brut d’exploitation continuera de se vendre mieux qu’une officine peu rentable », souligne Michel Watrelos, expert-comptable au cabinet Conseils et Auditeurs Associés, à Lille. Or, il faut bien le dire, la valeur des fonds d’officine est aujourd’hui orientée à la baisse, avec ou sans honoraires. « Il y a toujours une demande importante pour les fonds qui font plus de 1 800 000 euros de chiffre d’affaires, l’idéal pour les acquéreurs étant une pharmacie de 2 000 000 d’euros de chiffre d’affaires. Ces pharmacies se vendent toujours à au moins 90 % de leur CA. En revanche, quel que soit le mode de calcul des honoraires dans la marge, les officines qui ne font pas plus de 1 million d’euros de chiffres d’affaires se vendent de plus en plus mal, et leur prix va continuer de baisser », ajoute Michel Watrelos.
Enfin, les nouvelles missions rémunérées par des honoraires devront certainement obliger les pharmaciens à revoir en partie l’organisation du travail dans l’officine. Pour les entretiens pharmaceutiques, par exemple, il faudra prévoir un nouvel espace de confidentialité.
Par ailleurs, l’activité d’analyse des ordonnances va recentrer la dispensation sur le titulaire et les adjoints, et le travail au comptoir devra souvent être revu, surtout dans les petites officines qui ont peu de personnel.
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