Projet d'achat : pourquoi il faut penser à l'audit social

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Publié le 16/11/2023
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Bertrand Cadillon et Philippe Becker, experts-comptables Fiducial, présentent l'audit social et démontre son importance dans un projet de reprise d'officine.

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Les contrats de travail se poursuivent malgré la cession d'une entreprise
Crédit photo : Voisins/phanie

Le Quotidien du pharmacien.- Lorsqu’un pharmacien est dans la dernière ligne droite pour l’achat d’une pharmacie, il fait généralement appel à un expert-comptable pour analyser les états financiers du vendeur. Cette démarche a pour objet d’être éclairé sur la faisabilité de l’achat, mais aussi d'identifier les zones de risques. Parmi celles-ci il y a les conditions de reprise du personnel de l’officine. En pratique comment procède-t-on à cet audit dit social ?

Philippe Becker.- Vous avez raison de souligner : c’est une zone de risque assez importante qu’il ne faut pas négliger car le poste frais de personnel pèse en moyenne un tiers de la marge brute. On se doit de rappeler que le repreneur d’un fonds de commerce de pharmacie est soumis aux règles incontournables de l’article 1224-1 du code du travail qui, en termes simples, stipule que les contrats de travail se poursuivent malgré la cession d’une entreprise. Concernant les sociétés d’officine, les contrats étant signés entre le salarié et l’entité juridique, les choses sont encore plus simples : tout continue comme avant ! Le repreneur ne pourra donc pas rebattre les cartes comme il le souhaite et, de plus, si son prédécesseur n’a pas bien appliqué les règles du droit du travail et du droit social, il devra tout remettre en ordre.

Ce qui peut-être coûteux et complexe à faire. D'où l’intérêt d'étudier et de contrôler l’organisation humaine de la pharmacie sous tous ses aspects. Justement jusqu’où peut-on aller dans cette démarche ?

Bertrand Cadillon.- Avant d’aborder la méthode de travail, il est utile de rappeler que l’audit social est une terminologie qui recouvre de vastes domaines. Dans le cas d’une potentielle acquisition, tous les domaines ne sont pas couverts car l’expert-comptable et l’avocat, qui est très souvent partie prenante, ne rencontrent jamais les membres du personnel compte tenu de la confidentialité qui prévaut lors des négociations. C’est la raison pour laquelle il paraît nécessaire de bien distinguer cet audit d’un audit des ressources humaines qui, lui, sera diligenté par un titulaire. Dans le cas d'un audit des ressources humaines, le pharmacien, confronté à des difficultés dans la gestion de son personnel, peut demander un avis à un tiers compétent pour analyser les dysfonctionnements dans son entreprise. Dans cette deuxième hypothèse, les salariés sont interviewés ; ce que nous, experts-comptables, nous ne faisons pas !

Cela veut-il dire que vous travaillez à l’aveugle ?

Philippe Becker.- Nous travaillons avec des documents papier, ou plutôt numériques désormais, qui nous sont fournis par le vendeur. Ces documents nous permettent, ainsi qu’aux avocats, de lister des questions subsidiaires et parfois des anomalies. Les contrats de travail et les bulletins de salaire sont de bons miroirs de la gestion du personnel. Par exemple, on peut y trouver de mauvaises applications de la convention collective sur les coefficients hiérarchiques. Ces anomalies sont susceptibles de générer des réclamations à l'avenir et, par conséquent, des charges salariales supplémentaires.
Dans un autre registre, un usage immodéré d’heures supplémentaires ou de primes peut indiquer une mauvaise organisation, voire une mauvaise ambiance, que l’on tempère par de l’argent. D’une manière générale, les officines bien gérées en matière de ressources humaines ont un cabinet comptable qui veille à tous ces aspects. Le vendeur est donc capable de nous fournir tous les documents avec des explications rapides et claires et là tout se passe bien ! C’est le cas général, il faut le dire.

N'est-on pas parfois confronté à des mensonges « par omission » ?

Bertrand Cadillon.- C’est le péché véniel habituel que nous tentons de détecter par des rapprochements. Par exemple, sur les diplômes des salariés : le bulletin de salaire mentionne le titre de préparateur en pharmacie avec le bon coefficient mais on constate, parfois un peu tard, que ce préparateur est en définitive un apprenti qui en est seulement au stade de l’examen (« C’est sûr il va l’avoir ! »). Mais pour l’instant il ne peut pas délivrer les médicaments Nous insistons beaucoup sur ces points actuellement car nous savons que les difficultés de recrutements compliquent la vie des pharmaciens. Cela étant dit, le repreneur, dans un tel cas, va se trouver devant un dilemme assez basique : respecter ou non le code de la santé publique ! Et comme la réponse est forcément affirmative, il va devoir embaucher un préparateur diplômé avec un surcoût non budgété.

Philippe Becker.- Ajoutons que le titulaire ne pourra pas se séparer du salarié non diplômé ! Il n’est donc pas inutile de rappeler que toutes les situations bancales que l’on peut trouver dans la gestion du personnel d’une officine – même bien enfouies - ressortent au grand jour dès l'arrivée du repreneur, et ce dès la première semaine. Je suis certain que beaucoup de vos lecteurs ont vécu ces expériences un peu difficiles. Notre but est de limiter les mauvaises surprises qui se traduisent presque toujours par des dépenses financières supplémentaires et non prévues !

Lorsque l’on évoque le rachat d’une entreprise, la notion de passif social est souvent évoquée. Que recouvre cette terminologie ?

Bertrand Cadillon.- Il s’agit de charges financières que l’on peut avoir à payer dans les années futures suivant la reprise de l’officine. Très classiquement, on vise ici les indemnités de fin de carrière qui devront être versées lorsque le salarié fera valoir ses droits à retraite. C’est un passif qui se crée du fait de l’ancienneté du personnel. Son impact financier peut être important si un poste occupé par un collaborateur présent, depuis longtemps, doit être supprimé un jour. La convention collective permet avec un bon logiciel d’évaluer ce risque qui reste cependant aléatoire puisqu’il dépend du turn-over dans la pharmacie.

Philippe Becker.- Cette prise de connaissances qui, rappelons-le, n’est pas exhaustive, permet à tout le moins de cerner les principales zones de risque et de conforter ou non l’acquéreur dans sa décision d'acheter. Toutefois, ce n’est pas non plus un passeport qui va lui assurer un voyage paisible, car aujourd’hui la gestion des ressources humaines est un sujet un peu complexe…

Propos recueillis par Marie Bonte

Source : Le Quotidien du Pharmacien