Le Quotidien du pharmacien. - Vous continuez à intervenir sur le thème de la première installation auprès de jeunes diplômés. Selon vous, que va changer la crise sanitaire qui nous impacte actuellement sur la manière d’acquérir une première officine ?
Philippe Becker. - Cette crise redistribue les cartes et modifie sensiblement les paramètres d’appréciation de la viabilité et du potentiel économique des officines en général. Pour illustrer le propos, la réelle émergence en 2021 des prestations : vaccination, tests, TROD… va nécessiter de la part des acquéreurs une analyse très fine de la capacité des cibles à répondre au cahier des charges nouvelles missions et prestations.
D’où des questions sur le personnel salarié, leur formation et leur capacité à rendre ces services. On ne pourra plus uniquement se borner à analyser un ratio de masse salariale sur chiffre d’affaires, voire la productivité par employé.
Catherine Baffos. - Sur ce plan, nous, cabinet comptable, devrons aussi inciter les repreneurs à regarder avec soin l’organisation générale de la pharmacie avec une réelle vision technique : par exemple aurai-je de la place pour les nouvelles missions ? La floraison de petits barnums pour les tests Covid montre, si besoin était, que la grande majorité des officines françaises ne dispose pas d’un local approprié. Il faudra souvent sortir des chiffres pour avancer sur un projet d’investissement pour redisposer l’officine.
Avec la crise du Covid, les bilans des vendeurs sont-ils lisibles et donnent-ils une image claire des perspectives d’évolution de l’officine pour un primo-accédant ?
Philippe Becker.- Il est certain que les évolutions très erratiques des chiffres d’affaires mensuels liées aux différents confinements compliquent l’analyse ; en d’autres termes, il faut une bonne loupe et un calendrier pour décrypter. Il y a des retraitements à faire en prenant en compte des moyennes sur plusieurs années. Au-delà de cet aspect, il faut tenir compte des changements d’habitudes des patients et des clients qui, du fait de cette crise, ont boosté des officines rurales et de quartiers au détriment des pharmacies de centre-ville et de centres commerciaux.
Sauf à être risque-tout ou très joueur, nous pensons qu’il faut attendre avant de se lancer dans la reprise d’une pharmacie qui travaille significativement avec une clientèle touristique par exemple, pour certaines cibles, il faut laisser la poussière retomber !
Doit-on en conclure que les acheteurs vont de nouveau plébisciter la pharmacie traditionnelle centrée autour du « remboursable » ?
Catherine Baffos. - Il est évident que cette typologie d’officines a mieux résisté à la crise que celles qui privilégient l’OTC et la parapharmacie. Attention toutefois à une analyse trop rapide : la crise du Covid a mécaniquement modifié les libertés de déplacement et par conséquent les flux de circulation de la patientèle, doit-on en conclure que la psychologie de nos concitoyens a été changée en profondeur ? Ce serait sans doute aller trop loin : les crèmes solaires, ça correspond aux vacances et nous tous voulons partir en vacances !
Philippe Becker. - Nous continuons à réfléchir avec nos acquéreurs sur la démographie médicale locale car la crise sanitaire n’a pas stoppé la désertification médicale bien au contraire ! Les chiffres favorables de 2020 et 2021 peuvent être trompeurs si les médecins de la commune prennent leur retraite quelques mois après le rachat de la pharmacie. Dans nos conférences, nous rappelons toujours qu’une officine, c’est un emplacement avec ses qualités et ses défauts et aussi un environnement médical avec sa densité et sa stabilité.
Vous insistez toujours sur l’intérêt de se lancer le plus tôt possible dans l’acquisition d’une officine. Mais comment fait-on lorsque l’on ne dispose pas ou que très peu d’apport ?
Philippe Becker. - Nous faisons juste ressortir les éléments factuels de la situation en cours : prix de vente stabilisés autour de valeurs devenues raisonnables au regard de la rentabilité et des perspectives, taux d’intérêt qui n’ont jamais été historiquement aussi faibles et pouvoir d’achat d’un jeune diplômé qui n’a probablement jamais été aussi fort ! (voir tableau).
Catherine Baffos. - Nous savons que le talon d’Achille de tous les projets d’acquisitions d‘officine est l’apport personnel. Si dans une grande majorité des cas l’entraide financière familiale est incontournable, il s’est développé depuis quelques années des mécanismes d’aide avec les groupements et des institutions et syndicats professionnels. N’oublions pas le parrainage avec un pharmacien investisseur qui peut faciliter l’envol d’un jeune adjoint qui pourra aussi être associé d’une SEL à hauteur de 10 % du capital tout en restant salarié. L’éventail des moyens de se créer ou de compléter un apport est beaucoup plus large qu’il y a dix ans.
Les donations directes parents enfants sont actuellement évoquées par le gouvernement pour faire ressortir l’épargne accumulée sur les comptes bancaires au cours de la crise sanitaire. Disposez-vous d’informations à ce sujet ?
Philippe Becker. - Un premier dispositif qui consiste en un abattement de droits à hauteur de 100 000 euros a été institué récemment mais il concerne les donations pour permettre à ses enfants d’acquérir ou rénover leur habitation principale ou encore de créer leur entreprise. Il est tout à fait vrai que le gouvernement envisage un allègement supplémentaire des droits de donation mais rien n’est décidé. Il faudra probablement attendre la nouvelle loi de Finances pour en savoir plus.
Catherine Baffos. - On doit toutefois rappeler que chaque parent peut ainsi donner jusqu’à 100 000 euros par enfant sans qu'il y ait de droits de donation à payer. Un couple peut donc transmettre à chacun des enfants 200 000 euros en exonération de droits. Cet abattement de 100 000 euros peut s’appliquer en une seule ou en plusieurs fois tous les 15 ans. Ajoutons que les donations consenties aux petits-enfants bénéficient d’un abattement de 31 865 euros, et celles consenties aux arrière-petits-enfants de 5 310 euros.
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