Et si on parlait de ce qui fonctionne dans le système de santé ? Et si on descendait à l’échelon local pour découvrir les solutions des acteurs de terrain ? Et si on oubliait les polémiques « syndicalo-administratives » déployées sur les réseaux sociaux ? Et si on arrêtait de dire que rien ne va en France ? C’est en substance le message passé par Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée de l’assurance-maladie, réagissant aux questions des deux animateurs des « Contrepoints de la santé ». Car, elle en est persuadée, « on est tous influencé par les prophéties autoréalisatrices négatives » et « avec le fait que tout le monde dise que ça va mal, on finit par penser que ça va mal ».
À la question de savoir pourquoi l’exercice partagé, qui fait pourtant consensus, ne fonctionne pas, elle réfute. « L’exercice coordonné entre les professionnels existe, ils n’ont pas attendu que l’État ou les lois de financements de la Sécurité sociale (LFSS) en écrive les grandes lignes. L’État et l’assurance-maladie, en lien avec les syndicats, ont permis de construire et d’accélérer ces formations, mais les professionnels de santé qui travaillent ensemble, cela existe depuis très longtemps. » En outre, l’augmentation continue ces dernières années du nombre de maisons de santé, de centre de santé et de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) satisfait Marguerite Cazeneuve. « On est sur un rythme encourageant. On n’a pas encore la totalité des professionnels de santé libéraux engagés dans ce type d’exercice mais il devient progressivement majoritaire. »
Chef d’orchestre ou patron ?
Car, de fait, la représentante de l’assurance-maladie a rencontré nombre de médecins généralistes, « hypercontents de pouvoir s’appuyer sur le pharmacien et qui travaillent très bien avec les infirmiers de leur territoire ». Face à ces « mouvements spontanés », la question pour les pouvoirs publics est de « savoir à quel moment la norme – qu’elle soit législative, réglementaire ou conventionnelle – doit intervenir pour faciliter et encourager sans contraindre de manière excessive ». Par exemple, alors que les maisons de santé pluriprofessionnelle (MSP) « représentent un exercice attractif pour les jeunes professionnels, permettent de développer des parcours intégrés et sont facilement identifiables par les autres acteurs de santé et pour le patient », la responsabilité des pouvoirs publics est de s’assurer que la création d’une telle MSP ne soit pas dissuasive, explique encore Marguerite Cazeneuve.
Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) et des Libéraux de santé (LDS) et Franck Devulder, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), se montrent tout aussi optimistes sur l’exercice partagé par les acteurs de terrain. Mais sans occulter les difficultés à faire travailler ensemble des professions différentes, en particulier « quand on touche au périmètre métier », souligne Franck Devulder. « On le voit avec la polémique récente entre pharmaciens et infirmiers (sur la vaccination à domicile – NDLR) : la première réaction c’est le repli sur soi et l’inquiétude. C’est pourquoi il convient de redéfinir la place du médecin de famille et des professionnels de santé avec lesquels il travaille. »
Parce que le médecin veut rester le patron ? Pas du tout, répond Franck Devulder, puisqu’il n’a pas prise sur le périmètre métier des autres professionnels. « C’est plutôt le chef d’orchestre, il fait jouer les solistes que sont les infirmiers, les pharmaciens, les kinés, etc. » Une vision écartée par Philippe Besset pour qui « le médecin c’est le boss sur le parcours du patient ». Parce que le patient, justement, « ne vient pas voir la symphonie ». Il s’adresse désormais directement à l’un ou l’autre des professionnels disponibles et ne donne plus la priorité au médecin. Charge aux professionnels de santé de s’adapter et de se coordonner. Mais charge aussi aux acteurs sollicités de rendre compte au médecin « pour qu’il ait une vision globale et puisse prendre en charge son patient ».
Ce que patient veut…
Or l’exercice partagé recouvre deux réalités, selon Philippe Besset. D’une part, les actes de prévention qui sont tous les mêmes et peuvent être réalisés indifféremment par l’un ou l’autre des professionnels de santé, le choix en revenant au patient. D’autre part, « le partage de la prise en charge » où potentiellement chaque professionnel de santé va faire « un bout ». « Moi, pharmacien, je m’occupe de la dispensation du médicament. » Une dispensation qui se trouve peu à peu élargie parce que « c’est ce que veut le patient ». Et Philippe Besset de répéter que la dispensation d’antibiotiques sur protocole validé par la Haute Autorité de santé (HAS), en l’occurrence après un TROD cystite ou angine positif, « ce n’est pas de la délégation de tâches mais une adaptation de notre acte de dispensation du médicament ; ce n’est pas de la prescription ».
Cette vision, où c’est le patient qui pousse au partage des compétences et où c’est aux professionnels de santé de s’adapter et de s’organiser pour continuer à garantir la qualité des soins prodigués, est partagée par Marguerite Cazeneuve. Elle en veut pour preuve la dispensation d’antibiotiques après un TROD positif dans la cystite simple de la femme. « Pour les femmes, donc la moitié de la population, ce n’est pas un sujet, 100 % veulent un accès beaucoup plus rapide au médicament qui va les soulager quand elles ont des douleurs mictionnelles. »
Intelligence collective
De même, face au nombre croissant de patients qui peinent à trouver un professionnel de santé, aux médecins généralistes débordés et épuisés qui ne peuvent plus accepter de nouveaux patients, la directrice déléguée de l’assurance-maladie est formelle. « Partout en France il y a des équipes de professionnels qui se connaissent, travaillent ensemble et arrivent à résoudre ces problèmes au quotidien. Et c’est souvent là où les difficultés sont les plus importantes que ça bouge le plus vite. » Marguerite Cazeneuve donne pour l’exemple le cas de la généraliste de Réalmont (Tarn), Margot Bayart, seule face à une importante patientèle et qui a créé une maison de santé en 2018, réussissant à réunir des médecins, des infirmiers et une dizaine d’autres professionnels de santé.
« Ce modèle a émergé dans un contexte compliqué où une médecin généraliste a pris des initiatives en lien avec les professionnels de santé de son territoire et a construit une organisation qui fonctionne et qui permet aux patients d’avoir une solution. À nous de donner les moyens à d’autres de s’approprier ce modèle. Je ne dis pas que tout va bien, je dis qu’on a mis en évidence les problèmes et qu’on est en train de se bouger collectivement pour y répondre. » Dans le même état d’esprit, Franck Devulder croit « à l’intelligence collective des professionnels de terrain qui s’organisent et qu’il faut accompagner » et appelle lui aussi à regarder ce qui fonctionne. Comme l’expérimentation OSyS, menée dans un premier temps en Bretagne et permettant « une dispensation protocolisée en pharmacie en accord avec les médecins de terrain ». Ce sont finalement ces modèles, issus des territoires et qui font consensus, que les pouvoirs publics veulent promouvoir dans un seul but : améliorer l’accès aux soins.
* D'après l'émission Les Contrepoints de la santé du 24 octobre 2023 sur « L'exercice partagé est-il possible en France ? »
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