Un million. C’est le nombre de fumeurs quotidiens en moins entre 2016 et 2017. Une baisse de 2,5 points : du jamais vu en France. Ces résultats pour l’année 2017 étaient d’autant plus attendus que la France avait mis en place, l'année précédente, trois mesures phares : le paquet neutre, l’augmentation du forfait de prise en charge des substituts nicotiniques de 50 à 150 euros par an et le premier Moi(s) sans tabac. La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, ne compte pas s’arrêter là. Avec l’annonce, le 26 mars dernier, du remplacement de la prise en charge forfaitaire à 150 euros par an et par personne des substituts nicotiniques par un remboursement classique par l’assurance-maladie, sans avance de frais grâce au tiers payant en pharmacie, la ministre vise clairement les populations à petits revenus, où la prévalence des fumeurs est justement la plus forte.
Responsable du centre ambulatoire d’addictologie à l’Hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP) à Paris et présidente de la Société francophone de tabacologie depuis deux ans, le Dr Anne-Laurence Le Faou milite pour le remboursement des substituts nicotiniques depuis 2002. Car entre 2010 et 2016, le pourcentage de fumeurs quotidiens a continué d'augmenter chez les Français à faibles revenus, tandis que le taux de fumeurs chez les « CSP + », c’est-à-dire appartenant aux catégories socioprofessionnelles supérieures, est passé de 23,5 % à 20,9 %. Le système du forfait est non seulement contraignant dans sa démarche, mais pose aussi le problème de l’avance de frais, impossible pour certains fumeurs. « De plus, le montant de ce forfait est parfois insuffisant pour les fumeurs les plus dépendants, dont le traitement est plus long et donc plus coûteux », explique le Dr Anne-Laurence Le Faou.
Un mouvement progressif
Le mouvement sera progressif car il implique que les laboratoires concernés fassent la demande de remboursement pour leurs produits. Pour le moment, deux entreprises ont répondu à l’appel. EG Labo d’abord, seul génériqueur dans le domaine des substituts nicotiniques, dont les boîtes de 108 gommes à mâcher 2 et 4 mg sont prises en charge depuis le 28 mars. La filiale du groupe allemand Stada fait même figure de pionnier puisque sa demande de prise en charge classique a été déposée il y a plus d'un an, soit bien avant que le gouvernement n'envisage le remboursement des substituts nicotiniques à la place du forfait annuel de 150 euros. « EG Labo était déjà pionnier dans le domaine en proposant pour la première fois des gommes de substitution nicotinique génériques en 2013. Ce qui veut dire qu'elles sont substituables à d'autres gommes à mâcher par le pharmacien », souligne Philippe Ranty, président d'EG Labo. La procédure pour obtenir le remboursement à 65 % des gommes Nicotine EG a été particulièrement longue mais a ouvert la porte au remboursement classique pour tous les substituts nicotiniques.
Johnson & Johnson Santé Beauté France s'est ainsi lancé dans cette même procédure dès l'annonce du 26 mars, et a obtenu le 20 mai, la prise en charge de ses patchs Nicoretteskin dans leurs trois dosages (10, 15 et 25 mg par 16 heures) en boîte de 28, dont le prix est désormais fixé à 28,55 euros. Possédant la gamme de substituts nicotiniques la plus complète, J & J réfléchit à l’opportunité de demander le remboursement de ses autres produits, ainsi que pour ses boîtes de 7 patchs Nicoretteskin. Rien n’indique pour le moment que tous les substituts sur le marché bénéficieront d’un remboursement, puisqu’il revient au fabricant d’en faire la demande. Ces premiers remboursements de substituts nicotiniques emboîtent le pas à la prise en charge à 65 % de Champix (varénicline) « en seconde intention, après échec des stratégies comprenant des substituts nicotiniques chez les adultes ayant une forte dépendance au tabac » depuis le 1er mai 2017. En parallèle, la fiscalité augmentera progressivement pour que le paquet de cigarettes atteigne les 10 euros en 2020.
Inégalités sociales
Selon le baromètre santé 2017* de Santé publique France, la prévalence du tabagisme quotidien est passé de 29,4 % en 2016 à 26,9 % en 2017, une baisse qui touche particulièrement les jeunes hommes de 18 à 24 ans (passés de 44,2 % à 35,3 % de fumeurs quotidiens), mais aussi pour la première fois, les hommes de 45 à 54 ans (de 36,1 % à 30,5 %) et les femmes de 55 à 64 ans (de 21,1 % à 17,6 %). Cette involution se retrouve chez les Français de tous âges, à l’exception des femmes de 45 à 54 ans. « Cela nous inquiète d’autant plus que nous enregistrons une recrudescence des maladies cardiovasculaires chez les femmes depuis plusieurs années », note François Bourdillon, directeur général de Santé publique France.
Une analyse par région montre une forte baisse du taux de fumeurs en Ile-de-France et en Normandie. Les meilleurs élèves sont l’Ile-de-France et les Pays de la Loire, avec une prévalence de fumeurs respective à 21,3 % et 23 %, loin devant les quatre régions en queue de peloton : les Hauts de France (30,5 %), le Grand Est (30,1 %), l’Occitanie (30,3 %) et la région PACA (32,1 %). « Cette disparité s’explique par les inégalités sociales, mais aussi par des composantes culturelles et peut-être une plus grande facilité d’accès à des produits du tabac moins chers au-delà des frontières », ajoute François Bourdillon. Les inégalités sociales sont le point d’achoppement de la réussite des politiques antitabac depuis plusieurs années. Mais, pour la première fois, le baromètre 2017 enregistre une diminution chez les personnes ayant un diplôme inférieur au bac (de 31,7 % à 29,3 %), celles qui disposent des revenus les moins élevés (de 38,8 % à 34 %), les demandeurs d’emploi (de 49,7 % à 43,5 %) et les étudiants (de 28,3 % à 23,8 %). Des données confirmées par la baisse des ventes de tabac de 10 % au premier trimestre 2018.
Des professionnels de santé impliqués
Ces bons résultats restent néanmoins insuffisants. « Ce million de fumeurs en moins en un an est une très bonne nouvelle, mais il faut rappeler qu'il y a encore 13 millions de fumeurs en France et que le tabac entraîne 73 000 décès par an, souligne Philippe Ranty. Un nombre de décès à rapprocher, par exemple, pour en prendre la mesure, des 3 600 morts d'accidents de la route chaque année ». La prévalence de fumeurs quotidiens et occasionnels est de 31,9 % (35,2 % des hommes et 28,7 % des femmes), soit une baisse de 3,2 points. Un niveau trop éloigné de ceux de l’Australie (13 % de fumeurs), des États-Unis (15 %), de la Grande-Bretagne (16 %), de la Belgique, des Pays-Bas et de l’Allemagne (25 %). C’est dans ce cadre que le ministère de la Santé présente son programme national de lutte contre le tabac (PNLT). Il vise notamment à protéger les enfants pour éviter l’entrée dans le tabagisme et à accompagner les fumeurs vers le sevrage.
Le gouvernement compte à nouveau sur l’implication des professionnels de santé, notamment les médecins généralistes, mais aussi les quelque 800 000 infirmières, sages-femmes, dentistes, masseurs-kinésithérapeutes et médecins du travail qui sont autorisés à prescrire des substituts nicotiniques depuis la loi du 26 janvier 2016. Et sur les pharmaciens… qui eux n’ont toujours pas le droit de prescrire ces substituts et doivent orienter le patient vers un prescripteur pour qu’il puisse bénéficier d’une délivrance sur ordonnance, et donc d’un remboursement.
* Enquête aléatoire représentative de la population des 18-75 ans résidant en France métropolitaine, menée par téléphone de janvier à juillet 2017 auprès de 25 319 personnes.
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