Les avocats ont battu le pavé, jeté leur robe aux pieds de la garde des Sceaux, les experts-comptables et certaines professions paramédicales se sont également joints aux contestations qui ont émaillé les semaines de concertation sur la réforme des retraites. Grands absents de ces mouvements : les pharmaciens. Un choix assumé par leurs syndicats, seuls interlocuteurs de la profession retenus par le Haut-Commissariat aux retraites (HCR), qui ont privilégié la négociation avec le gouvernement. Cette position ne manque pas d’être questionnée par les pharmaciens (voir ci-dessous), notamment par les confrères retraités. « Nous ne pourrons nous satisfaire de ce projet de réforme, tel qu’il nous est présenté, ni du silence coupable des structures qui s’accommodent de promesses trompeuses », avertit Claude Le Reste, président de l’association nationale des pharmaciens retraités (ANPR)*.
Récemment montés au créneau, ces pharmaciens, dont la retraite est déjà liquidée, ne peuvent se résoudre à voir leur régime autonome disparaître. « Quelle autonomie de gestion restera-t-il à la CAVP quand l’État aura monopolisé la gestion de nos retraites ? », s’interroge le président de l’ANPR. Il rappelle que le choix fait par la CAVP en 1962 consistait à anticiper les conséquences d’un contexte démographique défavorable. Une mission dont elle s’est jusqu’à présent brillamment acquittée. Réactifs, les retraités ne manquent pas de relever d’autres incongruités dans le projet de loi. « On nous brandit l’instauration d’un régime universel au motif qu’il serait plus juste, plus solidaire. Mais d’ores et déjà, nous fournissons un effort par une péréquation financière annuelle destinée à compenser le déficit de certains régimes ! », s’insurge Claude Le Reste.
Les pharmaciens retraités expriment par ailleurs des inquiétudes sur la pérennité de leurs pensions : « Les retraites liquidées ne risquent-elles pas d’être touchées par une potentielle dévaluation du point et par la disparition de la capitalisation ? » Et d'enchaîner « qu’adviendra-t-il lorsqu’il n’y aura plus assez de cotisants pour payer la retraite des allocataires en répartition, dès 2040, quand il y aura un actif pour un retraité ? »
Mêmes droits pour tous ?
Autant de raisons qui ont poussé les retraités à sonner l’alerte auprès de leurs confrères en activité. Et de les mettre en garde contre un leurre majeur de cette réforme : « un euro cotisé ne donnera pas les mêmes droits à tous ! Contrairement à ce qu'avait promis Emmanuel Macron, président de la République. » Car selon les projections de l'ANPR, le pharmacien en tant que travailleur non salarié ne bénéficiera pas du même rendement que le travailleur salarié.
En un mot, pour ce dernier, le rapport entre la valeur des droits acquis et la cotisation globale, sera de 4,95 %, quels que soient ses revenus. Ce calcul est réalisé à l’âge d’équilibre, soit 64 ans en 2025, sur la base du rendement indicatif du régime universel (RU) comme l’expose le rapport Delevoye en page 18 : « Le rendement d’équilibre du système, c’est-à-dire le rapport entre la valeur de service et la valeur d’acquisition des points, serait fixé à 5,5 %. Concrètement, cela signifie que 100 € cotisés garantiront le versement de 5,50 € de retraite par an, pendant toute la durée de la retraite. »
Les salariés pourront donc compter sur un rendement linéaire. Tandis que, toujours selon l’ANPR, les pharmaciens d’officine seront pénalisés. Leur taux de rendement pourrait s’infléchir à 4,75 % pour un revenu de 80 000 euros (2 PASS) et même à 4,64 % pour un revenu de 120 000 euros (3 PASS). Les pharmaciens retraités sont formels : « un euro cotisé ne donnera pas les mêmes droits ! ».
La CSG qui sauve tout
Une prédiction que réfute Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). La raison en est simple, selon lui, ces projections ne tiennent pas compte de la correction accordée par le gouvernement aux partenaires sociaux de l’UNAPL (Union nationale des professions libérales). « Nous avons obtenu l’intégration de la CSG versée par les pharmaciens à l’assiette des cotisations donnant droit à la retraite. Une avancée substantielle puisqu’elle permet de compenser la part patronale (43 %) dont bénéficient les salariés. Et par conséquent de majorer les pensions », expose le président de la FSPF. Il estime que cette victoire permet par conséquent aux pharmaciens « d’avoir les mêmes droits pour un euro cotisé que les salariés ».
En dépit de ces divergences, pharmaciens retraités et pharmaciens en activité se rejoignent cependant sur un point : l’urgence absolue de défendre le régime par capitalisation. Pour autant, Claude Le Reste ne cache pas ses inquiétudes quant aux capacités contributives de ses confrères en exercice :« Quelle place restera-t-il à la CAVP pour gérer un régime de capitalisation quand le taux de cotisation au régime universel, assis sur 3 PASS *, ne laissera plus guère de possibilités au pharmacien pour s’assurer une retraite par capitalisation ? » Et il fait part de son pessimisme : « Dans la perspective de la réforme, la CAVP, n’assurant plus la gestion de la répartition, laissée et confiée à la Caisse nationale du régime universel, et n’ayant pratiquement plus de cotisations en capitalisation, ne risque-t-elle pas de disparaître, et, avec elle, le patrimoine construit par les pharmaciens ? »
Sauvegarder la capitalisation
Ce serait sans compter sur la pugnacité des syndicats. Car, comme le développe Philippe Besset « nous n’avons pas emmené nos confrères dans la rue contre une réforme qui pourra se révéler au final positive pour la profession. À la condition expresse, insiste-t-il, de sauvegarder la capitalisation ». C’est à ce dernier chantier que se sont attelés les partenaires sociaux. « Nous exigeons que sur les 28 % de taux de cotisation des pharmaciens au régime universel, 5 % soient transférés obligatoirement à la CAVP. Nous demandons, par ailleurs, à ce que notre caisse voit son autonomie préservée et puisse proposer d’autres produits par capitalisation aux pharmaciens », expose le président de la FSPF.
En écho à ces réserves, la CAVP a été l’une des rares caisses de retraite à se prononcer en faveur du projet de loi, le 16 janvier, lors du vote du conseil d’administration de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL). À condition toutefois que, dans le cadre de la concertation en cours, des réponses pertinentes et des garanties formelles lui soient apportées. À suivre donc.
* Association nationale des pharmaciens retraités : contact@pharmaciensretraites.fr
** Plafond annuel de Sécurité sociale.
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