Les bonnes raisons de préserver la pharmacie à la française

Pourquoi l’IGF a tort

Publié le 11/09/2014
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Le président de la République présentera prochainement les grandes lignes du projet de loi sur la croissance et le pouvoir d’achat. Ce projet de loi prévoit une grande réforme des professions réglementées qui pourrait chambouler complètement le modèle officinal, comme le préconise le rapport de l’Inspection générale des finances (IGF). À quelques jours des annonces présidentielles, le « Quotidien » passe en revue les principaux arguments des défenseurs de la pharmacie à la française et explique pourquoi nos concitoyens ont plus à perdre qu’à gagner d’une telle réforme.
Le monopole, les règles d'installation et de détention du capital sont sérieusement remis en...

Le monopole, les règles d'installation et de détention du capital sont sérieusement remis en...
Crédit photo : S. TOUBON

LE RAPPORT de l’Inspection générale de finances (IGF) sur les professions réglementées préconise une refonte profonde du modèle officinal français. L’IGF ébranle un à un les piliers de la pharmacie : monopole de dispensation, loi de répartition démo-géographique et réserve du capital des officines. Une réforme que la profession juge injustifiée et dangereuse pour les patients. D’autant que, selon ses représentants, les conclusions de l’IGF reposent sur des données approximatives, voire erronées. « En termes de méthodologie, ce document est obsolète et incomplet, en raison notamment des réformes que le gouvernement a engagées en 2013 et 2014 sous l’impulsion du ministère de la Santé, et d’une connaissance imparfaite de notre secteur d’activité », déplore ainsi la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF).

• Pas de baisse de prix à attendre

L’un des arguments contestés par la profession pour justifier une remise en cause du monopole de dispensation des médicaments de prescription médicale facultative (PMF) est la hausse des prix observée ces dernières années. C’est faux, rétorque en substance la présidente de l’Ordre des pharmaciens, Isabelle Adenot. En euros constants, les prix ont même baissé depuis 2009, affirme-t-elle, grâce notamment « aux progrès réalisés dans les achats groupés ». Avant de rappeler que « les études européennes démontrent que les médicaments dits « d’automédication » sont en France, parmi les moins chers d’Europe » (voir encadré). De son côté, l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) cite une étude effectuée par IMS montrant que l’évolution entre 2009 et 2013 des prix des médicaments conseils est de 1,1 % (malgré une augmentation de la TVA de 5,5 à 10 %), alors même que l’indice INSEE de la consommation est de 1,6 % sur la même période. Pourquoi une telle différence d’interprétation ? Le rapport de l’IGF est « entaché d’erreurs » et n’intègre pas, par exemple, les hausses de TVA intervenues ces dernières années, répond Isabelle Adenot. Quoi qu’il en soit, l’Association de pharmacie rurale (APR) en est convaincue : « La dérégulation de la vente du médicament n’améliorera pas le pouvoir d’achat. » Car, indique-t-elle, le budget consacré à la médication familiale avoisine seulement les 30 euros par an et par Français. Et la concurrence existe déjà entre les pharmacies, souligne l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF). Pour preuve, les différentes enquêtes réalisées par l’UFC Que choisir montrant des écarts de prix importants sur les produits OTC entre deux points de vente. « L’exemple récent des tests de grossesse distribués en GMS prouve qu’il n’y a pas d’intérêt pour les patients d’ouvrir le monopole sur les produits d’automédication, poursuit le syndicat. Six mois après la sortie du monopole, les tests de grossesse sont désormais vendus plus chers en GMS qu’en pharmacies, le conseil et la confidentialité en moins. »

• Un danger pour les patients

Si autoriser la vente de médicaments hors des pharmacies ne permet pas d’améliorer le pouvoir d’achat des Français, cela représente dans le même temps un danger pour leur santé. « On déplore 300 morts par an par overdose médicamenteuse de médicaments non prescrits en Grande Bretagne, où les médicaments sont vendus en grande surface ou dans des chaînes », relève Isabelle Adenot. De plus, « un tiers des 18-24 ans britanniques admettent une forme de dépendance et prennent tous les jours des médicaments en vente libre à tel point que les médias ont pris l’habitude de parler de la « génération painkiller » ». La présidente de l’Ordre ajoute : « L’usage inapproprié des médicaments provoque déjà 12 000 décès et 120 000 hospitalisations par an dans notre pays. Ces chiffres sont déjà énormes. Ils ne feraient qu’empirer si on autorisait la vente des médicaments dans le temple du commerce. Que chacun ait ces chiffres à l’esprit avant de libéraliser la vente des médicaments, que chacun prenne ses responsabilités à l’égard de ces chiffres de mortalité. Le médicament n’est pas un produit comme les autres. » Un argument relayé par le corps médical.Inquiète pour les malades, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) estime en effet que « la sécurité des médicaments quels qu’ils soient et leur traçabilité ne peuvent être garanties que dans le cadre de la délivrance officinale », notamment grâce au dossier pharmaceutique. « Cette sécurité sera impossible à garantir dans les supermarchés qui banaliseront les médicaments parmi les autres produits de consommation courante », craignent les médecins.

• Un mauvais coup pour la santé publique

Plus largement, la fin du monopole serait un coup dur pour la santé publique. « Toute déréglementation risque d’hypothéquer lourdement la santé publique et de mettre en cause les engagements pris pour développer les missions de prévention et de pharmacovigilance des pharmaciens d’officine », explique ainsi l’Académie nationale de pharmacie. L’instance affirme que « faire croire que médicaments et produits de santé sont des produits de consommation courante est une tromperie ». Elle considère que banaliser la dispensation des médicaments risque de favoriser contrefaçon et mésusage et que toute remise en cause du monopole ne garantirait plus l’accès permanent aux médicaments et produits de santé sur l’ensemble du territoire français. « Maintenir la sécurisation de la dispensation, la traçabilité et la démarche de qualité doivent constituer le socle de toute politique de santé responsable », insiste l’Académie.

• Un risque d’apparition de déserts pharmaceutiques

Le rapport de l’IGF propose également de revoir les règles en matière d’installation. Là encore, ces règles n’ont pas été mises en place par hasard. « La répartition territoriale des officines garantit l’accès aux soins en tout point du territoire », rappelle tout simplement la FSPF. Pour le président de l’USPO, Gilles Bonnefond, créer des pharmacies partout en levant le monopole de dispensation n’a aucun sens : « Les pouvoirs publics ne peuvent dénoncer sans cesse le trop grand nombre d’officines et vouloir créer de nouvelles pharmacies en grande surface ou ailleurs. » L’avis est unanime, remettre en cause la loi de répartition démo-géographique risque de fragiliser le maillage et de réduire l’accès aux médicaments, surtout en milieu rural, avec la création de déserts pharmaceutiques. « Les espaces bijouterie, parapharmacie… de la GMS ne sont mis en place que dans les très grandes surfaces, c’est-à-dire essentiellement en milieu urbain, observe Pascal Louis, président du CNGPO*. Pourquoi en serait-il autrement pour les médicaments ? » « Nombre de pharmacies en milieu rural ont un chiffre d’affaires modeste et certaines connaissent mêmes de sérieuses difficultés économiques, s’inquiète l’APR. La dispensation de la médication familiale est indispensable à leur équilibre économique et donne au patient une garantie de sécurité sur la nature du produit en même temps que la possibilité d’obtenir un conseil compétent qu’il sera bien en peine de trouver dans un autre réseau. »

• Des conséquences sur l’économie et l’emploi

Contrairement aux calculs de l’IGF, l’impact de l’autorisation de vendre les médicaments de PMF hors des pharmacies n’est pas économiquement marginal. « Enlever une part représentant 15 % du chiffre d’affaires aux pharmacies (impact économique du passage en dehors des officines de la PMF) baissera en moyenne de 2 % le résultat économique des officines et provoquera la fermeture de 4 000 pharmacies », mettent en garde le CNGPO et l’UDGPO** dans un récent communiqué commun. Conséquence : « Plus de 6 000 emplois seraient menacés par la remise en cause du monopole et viendraient gonfler les chiffres du chômage dont le taux atteint déjà 8 % en officine aujourd’hui », évalue l’UNPF. Le CNGPO et l’UDGPO estiment à 20 000 chômeurs directs ou indirects les effets sur l’emploi des mesures envisagées par l’IGF.

• La perte de l’indépendance professionnelle

Au-delà du monopole et des règles d’installation, l’IGF souhaite aussi faire sauter le verrou du capital des officines, avec l’objectif de créer des chaînes de pharmacies. Or « les Français n’en veulent pas, car ils savent que les chaînes n’iront s’installer que dans les espaces les plus rentables », assure Isabelle Adenot. « L’entrée de capitaux extérieurs, même minoritaires, conduirait à un développement de la pharmacie qui ne serait plus maîtrisée par la profession, déplore Gilles Bonnefond. Une telle ouverture reviendrait à offrir la possibilité à la grande distribution de posséder la moitié de certaines officines, autant dire plus que ce qu’elle n’espérait avec la PMF. » « Il ne peut y avoir d’indépendance professionnelle sans indépendance financière des pharmaciens d’officine », insiste de son côté la FSPF. Autant d’arguments qui méritent d’être longuement pesés.

*Collectif national des groupements de pharmaciens d’officine.

**Union des groupements de pharmaciens d’officine.

CHRISTOPHE MICAS

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3113