Ancienne place forte de Vauban construite juste au bord du Rhin, Huningue est loin d’évoquer un « désert médical » perdu au fond d’une vallée : membre de la « communauté des 3 frontières », qui regroupe 40 communes et 53 000 habitants, elle bénéficie surtout de son voisinage immédiat avec Bâle et sa puissante industrie, notamment pharmaceutique, dont plusieurs établissements se trouvent d’ailleurs sur son territoire.
Titulaire de longue date de la « pharmacie de l’ancienne Gare », Marianne Frisch estime que les 4 généralistes prescrivent à eux seuls environ 60 % des ordonnances qui lui sont présentées. Même si la clientèle suisse et allemande achète beaucoup de produits conseils, bien moins chers en France, elle s’inquiète de ce qui attend la pharmacie… mais aussi et avant tout les patients. Les médecins ont promis qu’ils continueraient à faire des visites aux personnes âgées, mais les autres patients devront retrouver des praticiens, car beaucoup de médecins des 3 frontières ont dépassé les 60 ans et ne souhaitent pas augmenter leur clientèle. Et même si l’Europe de la santé était une réalité concrète, ce qui est loin d’être le cas au quotidien, ce ne sont pas les médecins allemands de Weil am Rhein, reliée à Huningue par une passerelle enjambant le Rhin, qui pourraient répondre aux besoins, car ils sont confrontés aux mêmes problèmes démographiques que leurs confrères et voisins français.
Jérôme Haby, qui a repris la « pharmacie des Eaux Vives » en 2013, s’attend d’ailleurs à voir arriver de plus en plus de patients venant pour des motifs urgents : « nous les aiderons dans la limite de nos compétences, que ce soit par une délivrance conseil ou en les orientant vers les services d’urgence, mais cette situation n’est pas viable à long terme », s’inquiète-t-il. Même si certains patients « ont déjà commencé à aller voir d’autres médecins, tout en restant fidèles à la pharmacie », il craint que la fermeture du cabinet médical ne pèse sur l’emploi de son équipe officinale.
Des pistes pour faire face
Mais les deux pharmaciens n’entendent pas baisser les bras et, avec le soutien de leur syndicat, ils recherchent des solutions concrètes. L’autre soir, une rencontre à la mairie a permis de dégager quelques pistes. Parmi celles-ci, un chirurgien strasbourgeois suggère qu’une infirmière reçoive les patients dans l’ancien cabinet médical, les consultations proprement dites ayant lieu par télémédecine depuis Strasbourg. Autre idée, mais jugée irréaliste, organiser des navettes de bus entre Huningue et les cabinets médicaux des environs. Marianne Frisch rappelle par ailleurs qu’un problème similaire s’était posé il y a quelques années à Saint Louis, le chef-lieu des « 3 frontières », et qu’un pharmacien avait alors proposé des locaux à un médecin, ce qui avait permis à ce dernier d’exercer sur place.
Pour le président de la Fédération du Haut-Rhin, Jean-François Kuentz, la solution pourrait passer par un médecin salarié, issu du monde associatif ou mutualiste. « À Sentheim, près de Mulhouse, une association de soins a installé un médecin salarié à la place du généraliste parti à la retraite, et cela fonctionne très bien », explique-t-il. Il juge la solution du salariat plus pérenne que celle de la maison de santé libérale, mais rappelle aussi que l’avenir passe par une association plus étroite entre tous les professionnels. « C’est aussi en développant nos missions, par exemple en matière de prévention et de diététique, que l’on peut travailler en réseau autour d’un vrai projet de santé », note-t-il.
Le « manque de concertation » entre les médecins et les pharmaciens a d’ailleurs pesé, selon ces derniers, dans la situation actuelle. Huningue compte une part de « population difficile » et des problèmes se seraient souvent posés au cabinet médical. « Nous avions déjà interpellé le Préfet à ce sujet, et si des mesures de sécurité efficaces avaient été prises, nous n’en serions peut-être pas là », souligne M. Kuentz. Pour Jérôme Haby, cette image de « clientèle difficile » risque de ne pas faciliter l’arrivée d’un nouveau médecin. « Je regrette vraiment que les médecins et la ville n’aient pas pu régler le problème ensemble, alors que le bail a été dénoncé dès juin dernier », poursuit-il. Il rappelle de plus que, au-delà de Huningue, cette affaire pose le problème de l’installation des médecins, totalement libre, alors que celle des pharmaciens est très réglementée. Il se demande donc s’il ne faudrait pas aussi travailler sur cette différence, dans l’intérêt de la population.
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