Le décryptage du Pr Lina, virologue

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Publié le 02/03/2015
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Bruno Lina, professeur de virologie à l’université Claude Bernard Lyon 1, résume pour le « Quotidien » l’essentiel de ce qu’il faut retenir de l’épidémie de l’hiver 2014/2015. Il explique aussi comment l’apparition d’un variant épidémique a pénalisé l’efficacité de la campagne vaccinale.
LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- Quel premier bilan peut-on tirer de la campagne de vaccination de l’hiver 2014 ?

PR BRUNO LINA.- Il est un peu tôt pour un tel bilan. Mais on peut déjà dire que la campagne vaccinale a été un peu décevante. Notamment dans les groupes à risques où le taux de vaccination est passé de 60 à 65 %, ces dernières années, à 50 à 55 % aujourd’hui. Cet effet de décrochage est notamment lié à deux facteurs : d’abord le fait que les professionnels de santé ont un peu de mal à promouvoir la vaccination, et d’autre part qu’il manque une communication grand public institutionnelle forte. Sur le plan épidémiologique, les marqueurs dont nous disposons au centre de référence, à savoir le nombre très élevé de prélèvements, montre clairement que l’épidémie de grippe a un impact très important cette année. Je n’en ai jamais autant reçu que cet hiver. Et c’est tout à fait logique, compte tenu de la présence d’un variant épidémique. Même si la France, par rapport aux États-Unis et à la Grande-Bretagne, a été relativement protégée car le mélange des virus circulants a permis de conserver une certaine efficacité vaccinale. Dans ce contexte, on a tout de même préservé environ 25 % d’efficacité.

Ce phénomène de mutation devient-il plus fréquent d’année en année ?

Pas du tout. Il n’y a aucun rythme là-dedans. La dernière fois qu’on s’est trouvé dans une situation comparable, c’était en 1996 où le variant Sydney avait émergé alors que la souche vaccinale était Wuhan. L’épidémie qui s’en était suivie était de grande ampleur, avec une mortalité élevée chez les plus de 65 ans. La situation se répète vingt ans plus tard. Cet hiver, c’est le variant Switzerland qui a créé la surprise.

Quand a eu lieu cette variation dans la saison ?

C’est très difficile à dater précisément. Ce qu’on sait, c’est qu’on a envisagé que le variant Switzerland pouvait poser problème en mai 2014, soit déjà 3 mois après la composition du vaccin. Mais on ne pouvait pas dire à l’époque si ce variant allait être un virus épidémique. Ce n’est qu’en septembre qu’on l’a vérifié.

La mise au point plus tardive de la formule pourrait-elle améliorer l’efficacité vaccinale ?

Avec les vaccins actuels, cette option est inenvisageable. Le rétroplanning de la campagne prévoit une vaccination débutant en octobre, ce qui oblige à fixer la composition vaccinale en février ou mars. On pourrait, techniquement, envisager d’adapter plus tardivement cette formulation, mais dans ce cas, il n’y aurait pas de vaccins pour tout le monde… La composition du vaccin prend déjà deux mois et demi, puis il faut compter le même délai pour la production industrielle. Pour compliquer encore le jeu, il faut savoir qu’en France et en Europe, au début de l’épidémie, le vaccin était adapté. Disposer du variant Switzerland à l’époque n’aurait rien arrangé, car on avait, et on a toujours, deux virus H3N2 qui circulent en même temps.

Que penser du recours aux antiviraux ?

Il est indispensable et complémentaire de la vaccination. La prise en charge de l’épidémie repose d’abord sur une bonne campagne de vaccination. Mais lorsque l’épidémie commence, on n’est pas totalement dépourvu pour autant. Car les mesures de protection barrière et l’usage précoce des antiviraux sont alors tout à fait efficaces.

Quel est votre sentiment sur le projet de vaccination par les pharmaciens ?

Toute mesure qui permet d’améliorer l’adhésion des groupes à risques à la vaccination est une bonne mesure. Mais la réalisation de ce projet n’est pas simple. Selon moi, il faut d’abord obtenir l’adhésion de tous les professionnels, ce qui ne peut se faire que dans la concertation. Ce doit être une démarche collective et raisonnée.

Que faut-il encore améliorer, selon vous, pour augmenter la couverture vaccinale en France ?

Il faut, encore et toujours, améliorer l’information des plus de 65 ans sur la réalité de la grippe. Leur faire comprendre que, pour eux, le glissement vers la dépendance peut être très important du fait de l’infection grippale. Leur répéter que lorsqu’on a le nez qui coule, ce n’est pas la grippe ; que la grippe c’est ce qu’on observe cet hiver, à savoir des gens cloués au lit 8 à 10 jours, exténués et qui mettent 3 semaines à 1 mois à récupérer.

PROPOS RECUEILLIS PAR DIDIER DOUKHAN

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3158