Jusqu’à récemment, l’Autorité de la concurrence se penchait sur le secteur de la santé pour contrôler les concentrations ou lors de saisines pour vérifier les pratiques concurrentielles de sociétés. Mais son intérêt pour le secteur s’est brusquement accru. « Le secteur de la santé est depuis plusieurs mois une priorité de l’Autorité de la concurrence, laquelle multiplie les actions dans ce domaine », peut-on lire dans sa lettre intitulée « Entrée Libre » de novembre 2013. À cette date, elle a déjà émis un avis défavorable sur des projets de textes concernant la vente en ligne de médicaments et a lancé une enquête sectorielle qui va aboutir à son fameux avis consultatif du 19 décembre 2013 « relatif au fonctionnement de la concurrence dans le secteur de la distribution du médicament à usage humain en ville ».
Non contente de ne pas avoir été entendue, l’Autorité de la concurrence recommence. En juillet 2017, elle annonce une future auto saisine pour mener une nouvelle enquête sectorielle dans le domaine de la santé qu’elle considère comme « très réglementé » et « pas assez ouvert à la concurrence ». L’Autorité de la concurrence se saisit d’office le 21 novembre 2017 pour avis « sur le fonctionnement des marchés du médicament et de la biologie médicale ». Après rencontre avec « des dizaines d’acteurs publics et privés », le retour de questionnaires adressés aux principaux concernés et une consultation publique du 18 octobre au 18 novembre dernier, l’instance a annoncé la publication de son avis définitif début 2019.
Enjeux contemporains
Le bilan intermédiaire, soumis à consultation, note que les « offres nouvelles », comme la vente en ligne de médicaments ou la télémédecine, peinent à se mettre en place en France, contrairement à d’autres pays où la législation est plus souple et les sources de financement plus accessibles. Ce qui aboutit à des aberrations. Ainsi, le leader de la vente en ligne de médicaments en France est actuellement une entreprise belge. À ce stade, l’Autorité de la concurrence note que les pharmaciens ont des difficultés à trouver des fonds pour diversifier leur activité, que l’interdiction de faire de la publicité les place en mauvaise posture face à des acteurs comme la GMS et que les nouvelles missions tardent à se mettre en place « en raison des délais d’adoption des textes d’application nécessaires ». Un ensemble de remarques qui pousse l’instance à affirmer que « s’il a permis de répondre par le passé à de véritables préoccupations de santé publique, le cadre réglementaire actuel ne semble plus adapté aux enjeux contemporains ». Et qui justifie « la recherche d’un mode de régulations sectorielle plus agile ».
Même si lors de la publication de son bilan intermédiaire, elle assurait « qu’aucune orientation (n’était) pour l’heure arrêtée », la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) a tenu à rappeler aux confrères que l’instance « affiche clairement son positionnement en faveur de la dérégulation de la publicité, la suppression du monopole officinal, avec pour conséquence la vente des médicaments en GMS et l’ouverture du capital ». Le contraire créerait la surprise dans la profession.
Réaction épidermique
Déjà fin 2013, malgré l’opposition marquée des pharmaciens et du ministère de la Santé, elle avait repris à son compte les arguments de l’association de consommateurs l’UFC-Que Choisir et de la GMS en faveur d’« une ouverture limitée et encadrée de la distribution au détail de médicaments » pour faire baisser les prix. La réaction épidermique de la profession ne s’est pas fait attendre, soutenue par la ministre de la Santé de l’époque, Marisol Touraine qui a immédiatement rappelé son opposition à la vente en grande surface et son « attachement au monopole officinal sur les médicaments, qui permet à notre pays de sécuriser leur dispensation et d’agir efficacement contre la contrefaçon, tout en garantissant l’accès de nos concitoyens aux médicaments sur l’ensemble du territoire ».
Si les pharmaciens sont sortis rassurés de cet affrontement, ils sont restés vigilants, s’assurant à chaque changement politique du regard porté par leur ministre sur leur profession. Agnès Buzyn, comme ses prédécesseurs, a confirmé avec force son attachement au maillage officinal et au monopole de dispensation, notamment face aux dernières attaques de Michel-Edouard Leclerc sur les substituts nicotiniques : « Autoriser la vente de médicaments en grande surface, même sous le contrôle d’un pharmacien, contribuerait à positionner le médicament comme un bien de consommation. Ce serait oublier l’ambivalence propre à la nature même du médicament dont l’utilisation, bien qu’étant destinée à traiter les patients, présente aussi des risques ».
Alors que les deux sujets devaient faire l’objet d’un seul avis, l’Autorité de concurrence a finalement séparé distribution du médicament (début 2019) et fixation de son prix (été 2019).
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