Dire que cette première séance plénière depuis le début des négociations conventionnelles, le 19 décembre 2023, était attendue avec impatience par la profession relèverait de l’euphémisme. Après pas moins de sept réunions de travail portant sur autant de thématiques, l’assurance-maladie est enfin sortie à visage découvert.
Comme prévu, l’organisme payeur – redevable pour 75 à 80 % du chiffre d’affaires de l’officine- a présenté ses premiers chiffrages pour l’ensemble des secteurs de l’officine. À une exception toutefois. L’impasse a été faite sur l’économie (voir ci-dessous), ce qu’ont regretté les deux syndicats représentatifs de la profession, la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) et l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Alors même qu’il y a urgence à revaloriser les honoraires de dispensation, l’assurance-maladie a préféré reporter ces discussions aux prochaines réunions. Et faire encourir un risque à l’économie des officines, comme le souligne Philippe Besset, président de la FSPF, « en jouant les prolongations, l’assurance-maladie prend la responsabilité de faire de 2024 une année blanche pour les entreprises officinales privées de ressources supplémentaires ». « J’ai rappelé au directeur général que nous étions la seule profession de santé à ne pas avoir été revalorisée en 2023 », a exprimé, de son côté, Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO.
Rappel des fondamentaux
Cette séance plénière multilatérale réunissant les deux syndicats et la direction générale de l’assurance-maladie n’en a pas moins été l’occasion de plusieurs mises au point. La première à laquelle tenaient tout particulièrement les syndicats était de jauger les intentions du gouvernement sur la lutte contre la financiarisation. « J’en ai profité pour énoncer les fondamentaux de l’officine et la ligne rouge qui, pour nous, ne devait pas être dépassée », déclare le président de la FSPF. Un rappel essentiel, selon les syndicats de la profession, alors que des informations contradictoires circulent dans les couloirs des ministères de la Santé et de l’Économie. Sur ce point, l’assurance-maladie s’est voulue rassurante et a affirmé être en phase avec les principes de la profession. Autre prise de position saluée par les représentants de la profession : « le directeur général dans son propos liminaire nous a dit qu’il voulait renforcer l’économie, la lutte contre la fraude et le bon usage du médicament ».
Des accompagnements revalorisés
Ainsi, concernant le bilan de médication, l’assurance-maladie s’est déclarée favorable à une revalorisation de 5 euros du troisième entretien de la première année et de 10 euros du deuxième entretien de la deuxième année et suivantes. Au total, le pharmacien percevra 65 euros la première année au lieu de 60 euros et 30 euros au lieu de 20 euros la deuxième année et les suivantes. L’assurance-maladie considère en effet ce processus continu « fondamental dans la lutte contre l’iatrogénie en coordination avec le médecin traitant pour évaluer l’observance et la tolérance du traitement, identifier les interactions médicamenteuses et vérifier les conditions de prise et le bon usage des médicaments ». Ce bilan doit être développé « notamment sur le volet de lutte contre la polymédication en lien avec le médecin traitant. » L’assurance-maladie incite à davantage de coopération entre le pharmacien et le médecin traitant.
L’assurance-maladie valide un entretien opioïdes (tramadol), sur le même schéma que celui de la femme enceinte
Dans le même ordre d’idée, l’assurance-maladie valide un entretien opioïdes, sur le même schéma que celui de la femme enceinte. Il serait ainsi rémunéré 5 euros. Cet accompagnement des patients sous opioïdes devrait se limiter aux patients traités par tramadol, soit un potentiel évalué à 5 % de 4,2 millions de patients. Les syndicats sont cependant favorables à un élargissement à tous les patients traités par opioïdes de palier II, ce qui porterait sur 5 % des 5,8 millions de personnes concernées.
Une démarche écologique à 20 euros
Un groupe de travail était dédié à la thématique du développement durable de l’officine. La proposition de l’assurance-maladie consiste à compléter l’indicateur démarche qualité par un programme développement durable. Pour répondre chaque année à cette obligation de mettre en place ce programme, le pharmacien verra sa rémunération « démarche qualité » passer de 100 à 120 euros. Un lien de causalité qui n’est pas apparu nécessairement logique aux syndicats.
Aide aux officines en territoires fragiles : un concept acquis
Un autre groupe de travail a planché sur l’avenir des officines en territoires fragiles. Une thématique à laquelle sont particulièrement attachés les syndicats de la profession, tant un relâchement du maillage officinal pourrait être fatal pour l’homogénéité du réseau. En novembre, le nombre d’officines en métropole est ainsi passé pour la première fois sous la barre des 20 000. La FSPF avait ainsi suggéré la création d’un forfait susceptible de permettre aux pharmacies de ces territoires de maintenir leur ouverture, en dépit de la baisse de fréquentation ou du nombre de prescripteurs. L’assurance-maladie semble avoir été réceptive à ces inquiétudes. Elle propose un montant maximal de 20 000 euros par officine sur la base d’une enveloppe annuelle fermée correspondant au nombre total d’officines aidées. Celles-ci devront bien entendu répondre à des critères d’éligibilité bien précis et de sélection (prise en compte de l’offre locale et expertise sur leur situation financière) et faire l’objet d’un contrat tripartite avec l’ARS et la CPAM. De plus, la définition de ces territoires reste suspendue à la publication d’un arrêté…
Dossier cher à l’assurance-maladie cette fois, la lutte contre les fraudes doit être renforcée moyennant une rémunération de 100 euros pour une connexion hebdomadaire à ASAFO, le dispositif pilote mis en place en Île-de-France. Cependant, cette solution d’alerte aux fausses ordonnances est loin de susciter l’adhésion des syndicats. « Ce système nous apparaît trop complexe à mettre en œuvre s’il n’est pas interopérable », expose Pierre-Olivier Variot. Il rappelle que son syndicat a proposé des ordonnances sécurisées pour les petites molécules et des ordonnances infalsifiables pour les produits chers/médicaments d’exception.
TROD angine : la rému passe mal
Mais la principale pomme de discorde entre syndicats et assurance-maladie reste la revalorisation de la prise en charge de l’angine à l’officine. Alors que 12 597 officines sont investies aujourd’hui dans la nouvelle mission de prise en charge de l’angine à l’officine, soit près de neuf fois plus qu’en 2020, la rémunération telle qu’elle a été revue par l’assurance-maladie reste totalement insatisfaisante pour la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) et l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). L’organisme payeur a avancé un montant de 9 euros, contre 6 euros actuellement, dans le cas d’un accès direct (test négatif). Cette rémunération pourrait passer à 14 euros en cas de test positif et d’une délivrance, toujours dans la configuration d’un accès direct. Les syndicats qui tablaient sur une valorisation à 25 euros ne cachent pas leur agacement. D’autant que l’assurance-maladie fait valoir que les médecins, pour 25 euros, « font beaucoup plus de choses que les pharmaciens ».
Ce débat est donc loin d’être clos et sera porté le 19 mars, comme les autres thématiques en suspens, à l’ordre du jour de la prochaine réunion bilatérale et un mois plus tard à celui de la séance plénière.
Toujours des désaccords sur les chiffres
Les chiffres sont têtus. De part et d’autre des parties conventionnelles, la bataille continue. Pour la première fois, cependant l’assurance-maladie s’est livrée à la fois à une rétrospective portant sur la progression du chiffre d’affaires (remboursés) de 2016 à 2023 ainsi que celle de la rémunération depuis 2012 et une prospective sur les trois années à venir. Une démarche dont se félicitent les syndicats. « Le bilan 2023 est considéré comme T zéro pour l’économie et l’exercice consiste désormais à établir des prévisionnels », déclare Philippe Besset, président de la FSPF, se félicitant de « ces séries longues » produites par l’assurance-maladie.
Il en ressort un chiffre d’affaires sur le champ présenté au remboursement de 32, 973 milliards d’euros en 2023, en progression de 0,7 % par rapport à l’année précédente, soit la plus faible de ces sept dernières années. La rémunération atteint – hors Covid- 7,11 milliards d’euros, soit une évolution de 2 % en un an. Les ROSP, les missions des pharmaciens d’officines, ainsi que les remises augmentent quant à elles de 1 % en 2023. Cette croissance est portée par la ROSP « Bon usage des produits de santé » (ROSP BUPS) introduite par la convention 2022 (4,8 millions d’euros), le rappel vaccinal (8,5 millions d’euros) et la vaccination antigrippale (44,31 millions d’euros). La hausse de la marge réglementée plus les honoraires, soit 2,2 points, renoue avec les niveaux d’avant la pandémie.
Ces données permettront-elles davantage de lisibilité sur l’économie officinale ? Rien n’est moins sûr car les syndicats ont décelé une approximation qui pourrait peser lourd. « Une remise génériques équivalant à celle de 2022 a été intégrée. Or non seulement nous ne l’avons pas encore mais en plus, elle sera sûrement plus basse », pointe Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO. Dans ces conditions, selon lui, l’augmentation de 7 % de la marge par rapport à 2019 annoncée par l’assurance-maladie risque fort d’être revue à la baisse. Sans compter que depuis cette date les charges ont augmenté de 33, 5 % !
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