C’était bien connu, mais ne reposait en fait que sur des intuitions : se faire vacciner contre la grippe permet non seulement de diminuer ses propres risques de contracter l’infection saisonnière, mais cela génère également – lorsque suffisamment de personnes sont vaccinées – une immunité de groupe.
Des chercheurs de l’Université de Cleveland aux États-Unis viennent de démontrer l’ampleur de ce phénomène à travers une vaste étude observationnelle, menée sur plus de 3 millions de seniors (âgés de plus de 65 ans) qu’ils ont suivi au cours de 8 saisons de grippe (entre 2002 et 2010).
21 % de risque en moins
Leurs résultats montrent que dans les régions où au moins 31 % de la population adulte (âgée de 18 à 64 ans) était vaccinée contre la grippe, les seniors avaient 21 % de risque en moins de contracter le virus, ou de développer une complication liée à la grippe. Les auteurs soulignent que le bénéfice était doublement majoré pour les seniors qui étaient eux-mêmes vaccinés, par rapport à ceux qui ne l’étaient pas.
En France, Le Pr Bruno Lina, responsable du centre national de référence sur la grippe, salue l’arrivée de ces travaux. « Actuellement, à chaque fois qu’on essaie d’appuyer un avis ou un conseil sur quelque chose, on nous demande des documents avec des niveaux de preuve élevés, et c’est typiquement le genre d’article qui nous manquait et qui permet de prouver, avec une approche scientifique construite, ce qu’on pensait intuitivement ».
À vérifier chez les enfants
Dans l’étude, l’association bénéfique n’a cependant pas été retrouvée chez les enfants, « ce qui suggère que les seniors bénéficient plus particulièrement de la vaccination d’autres adultes, avec qui ils sont plus à même d’être en contact (…) surtout en ville, où ils se côtoient par exemple dans les bus bondés ou dans le métro », décrit le Dr Glen Taksler, premier auteur de l’étude.
Toutefois le Pr Lina estime que si l’étude avait été réalisée plus récemment, les répercussions bénéfiques d’une vaccination massive des enfants seraient probablement apparues. « Pour qu’on observe un impact de la couverture vaccinale des enfants, il faut probablement qu’on arrive avec des niveaux de vaccination supérieurs à ceux des années inclus dans cette étude. Or, depuis 2012-2013, il y a vraiment eu un renforcement de la vaccination des enfants aux États-Unis et en Grande-Bretagne, explique-t-il. De plus,comme les enfants sont très sensibles au virus, il faut certainement des taux de couverture supérieurs à 30 % pour voir un effet de groupe. Par contre, comme ils sont les véritables vecteurs de la maladie, cet effet de groupe risque d’être encore plus important ».
Vaccination altruiste pour les professionnels de santé ?
Les auteurs de l’étude concluent que leurs résultats plaident fortement en faveur d’une vaccination altruiste des adultes à moindre risque. Coté Français, Le Pr Lina a précédemment mené une étude similaire, mais de moins grande envergure, aux hospices civiles de Lyon. Ses résultats étaient du même ordre : l’équipe avait observé une réduction de la transmission de grippe nosocomiale dans tous les services ou le taux de personnel vacciné était supérieur à 35 %. Mais la vaccination altruiste n’est pas encore au goût du jour, fait-il remarquer – même chez les professionnels de santé. « Tous les ans, le vaccin est proposé au personnel soignant et, tous les ans, on obtient un pourcentage de vaccinés dans les hôpitaux qui oscille entre 12 et 25 %. Donc ça veut dire qu’il y a des gens qui "refusent" de se faire vacciner, déplore-t-il. Aux États-Unis, dans certains établissements, ils ont résolu le problème – si vous refusez d’être vacciné contre la grippe, vous n’êtes pas embauché. Ils ont une approche beaucoup plus pragmatique et incisive sur cette vaccination car je pense qu’ils craignent que, s’il y a une transmission nosocomiale de la grippe dans leurs institutions, on leur colle un procès ! »
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