Toute crise donne l'occasion d'entreprendre de grandes transformations et celle du Covid-19 ne fait pas exception à la règle. Déterminé à réformer le système de santé actuel, le gouvernement ne cache pas son intention de renforcer le rôle de la Sécurité sociale, qui a su assumer toute seule les coûts engendrés par la crise sanitaire. C'est en grande partie à ce constat que l'on doit le projet de « Grande Sécu », défendu par le ministre de la Santé. Olivier Véran a commandé dès le mois de juillet un rapport à ce sujet au Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie (HCAAM), lequel doit se réunir les 18 et 25 novembre pour débattre sur ses travaux.
Cette « Grande Sécu » aurait un objectif simple : confier à l'assurance-maladie la quasi-intégralité des soins qui peuvent faire l'objet d'un remboursement. Au détriment donc des organismes complémentaires qui ont pris en charge 13,4 % des dépenses de santé en 2019, selon les chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), et dont le champ d'action se trouverait considérablement réduit. Cette volonté du gouvernement de remettre en cause le rôle des complémentaires tient à plusieurs arguments : simplifier le système actuel, le rendre plus équitable entre les différentes catégories d'assurés, mais aussi générer des économies, notamment sur les frais de gestion des organismes santé (7 milliards d'euros par an).
Enjeu électoral
À travers ce projet, l'exécutif adresse un tacle appuyé aux complémentaires qui n'ont eu cesse d'augmenter leurs cotisations année après année. Une politique d'autant moins acceptable en 2021 que mutuelles, assurances et institutions de prévoyance ont réalisé 2,2 milliards d'euros d'économies au début de la crise sanitaire et que la contribution exceptionnelle de 1,5 milliard d'euros que leur a demandé le gouvernement n'a, finalement, pas été alourdie.
Ce projet de « Grande Sécu » a suscité, sans surprise, une levée de boucliers chez les principaux intéressés. Les mutuelles dénoncent le risque d'un système de santé à deux vitesses si une telle idée venait à se réaliser. Avec quelles conséquences ? « Risque de voir les médecins basculer dans un système totalement privé », estime le directeur général de Malakoff Humanis, « envolée des prélèvements obligatoires sans plus aucune capacité à maîtriser les dépenses », selon le président de la Mutualité française, ou encore « projet idéologique », comme le qualifie le directeur général d'April… Les patrons du secteur fourbissent leurs armes pour tenter de faire avorter le projet. Dans leur quête, ils peuvent notamment compter sur le soutien d'un candidat à l'élection présidentielle, Xavier Bertrand (LR). L'actuel président de la région Hauts-de-France a en effet dénoncé avec virulence le projet de « Grande Sécu » dans une tribune publiée par le « JDD ».
Ce sujet vient s'immiscer dans les débats de la campagne pour l'élection présidentielle. Mais avant cette échéance, les pharmaciens auront à négocier avec les complémentaires santé, représentées par l'UNOCAM (1), au cours des prochains mois en vue de la nouvelle convention pharmaceutique. À l’occasion de l’ouverture des négociations, le 10 novembre, le poids de ces partenaires conventionnels a été rappelé : lors de la signature de l’avenant 11 en 2017, ils ont contribué à hauteur de 43 % à l’investissement de 280 millions d’euros consenti pour en financer les mesures.
Une structure de consommation déformée
À l'aune de l'exercice officinal quotidien, en revanche, l'engagement des complémentaires se réduit comme peau de chagrin d'année en année. Ainsi, comme le relève la DREES dans son dernier rapport (2), « en 2020, les organismes complémentaires ont pris en charge 12,2 % de la dépense en médicaments, contre 12,9 % en 2019 ». En valeur absolue, ces prestations atteignent 3,685 milliards d’euros contre 4,025 milliards d'euros un an auparavant, soit une baisse de 8,5 %. 1,895 milliard d’euros a été supporté par les mutuelles, 1,160 milliard par les assureurs et 631 millions par les institutions de prévoyance. La DREES explique ce recul continu depuis 2011 par l’instauration des franchises, les vagues de déremboursement et la part croissante des médicaments remboursés à 100 % par l’assurance obligatoire. Phénomène identifié par la DREES « comme une "déformation" de la structure de consommation des médicaments en faveur des plus coûteux ». Un cinquième des dépenses était pris en charge à 100 % en 2017, contre un quart aujourd’hui. Tandis que la part des médicaments remboursés à 15 et 35 % se réduit respectivement de 9,9 % et 4 %, conséquences du recul de la prescription des anti-inflammatoires, de certains antidiabétiques, des spécialités contre l’incontinence ou encore contre l’hypertrophie de la prostate. Dans ce contexte, on comprend que le passage à une « Grande Sécu » serait finalement peu ressenti dans l'activité officinale.
Est-ce à dire que l’officine pourrait s’affranchir des complémentaires santé ? Pas sûr. Car cette indépendance resterait toute relative. En effet, les chiffres publiés ne traduisent que des volumes de vente et n’incluent ni la marge, ni les honoraires de dispensation perçus sur les médicaments pris en charge par ces organismes. De plus, ce serait ignorer le potentiel d’innovation que détiennent les organismes complémentaires dans le développement de nouvelles couvertures, en coopération avec les réseaux de pharmacies.
(1) Union des complémentaires santé.
(2) Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques. Les dépenses de santé en 2020-Résultats des comptes de la santé-Edition 2021. https://bit.ly/3ouKaPl.
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