UN BINÔME gagnant. Le système français de santé est ainsi fait : médecins et pharmaciens sont complémentaires. Les uns prescrivent et les autres dispensent. Une complémentarité qui a survécu aux affres du temps, mais qui pourrait cependant bien être mise à mal par le contexte économique. Car le réseau officinal est au plus mal ! L’heure est même grave. Les officines françaises enregistrent en effet une baisse historique de leur chiffre d’affaires. La raison ? « En l’espace de dix ans, les politiques mises en place par les différents gouvernements ont ramené le marché français du médicament d’une croissance à deux chiffres à une stagnation. » Pire ! Cette année, la croissance devrait être… négative.
Pharmaciens de plus en plus isolés.
La volonté des pouvoirs publics d’encadrer les dépenses de santé ne saurait expliquer à elle seule cette situation de crise. « Le mal est à la fois plus profond et plus complexe », explique Albin Dumas, président de l’association de la pharmacie rurale (APR). Selon cet officinal ardéchois, les pharmaciens seraient de plus en plus isolés en raison de la baisse du nombre de médecins. « Entre 2009 et 2011, près de quatre pharmacies sur dix auraient ainsi été confrontées à une baisse du nombre de prescripteurs dans leur zone de chalandise », estime la société d’études Celtipharm. Et, selon l’enquête réalisée au printemps dernier*, « cette baisse serait même supérieure à 45 % dans sept régions, avec le taux record de 60 % en Haute Normandie ».
La désertification médicale impacterait donc directement les pharmaciens officines avec, à la clé, le risque pour les patients de se retrouver sans professionnels de santé de premier recours. Un risque qui, selon Albin Dumas, concernerait « plus de 1,6 million de nouveaux patients à l’échéance 2015 ». Bien que concentré sur la moitié nord de la France, ce risque est national, puisque dans les deux tiers des régions la densité médicale serait inférieure à 330 médecins pour 100 000 médecins. « Un risque accru en milieu rural, puisque cette densité passe sous la barre des 250 médecins pour 100 000 habitants dans les agglomérations de moins de 20 000 habitants, et sous le seuil de 200 pour les communes de moins de 5 000 habitants », précise Albin Dumas.
Une fuite des prescripteurs.
Et la tendance n’est pas prête de s’inverser ! La pyramide des âges, montre en effet que plus de 75 000 médecins auraient plus de 55 ans et pourraient donc dévisser leur plaque dans les dix ans à venir. De plus, l’observatoire du Conseil national de l’Ordre des médecins démontre que seulement un étudiant diplômé sur dix envisage de s’orienter vers l’exercice libéral. D’où, à l’instar du sénateur de l’Eure, Hervé Maurey, « la tentation de contraindre les praticiens d’exercer, en début de carrière, en zones sous dotées ». Une aberration pour le président du Syndicat des médecins libéraux, Roger Rua, qui préconise plutôt de « développer les coopérations interprofessionnelles ».
Une solution également prônée par Albin Dumas, qui juge « pour le moins saugrenue, et en tout état de cause contre-productive, l’idée de vouloir obliger les médecins à s’installer dans certaines zones, sous prétexte qu’elles seraient sous-dotées ». Selon le président de l’APR, il serait donc préférable à la fois de développer les coopérations interprofessionnelles, d’étendre le champ de compétence des pharmaciens, ou encore d’explorer de nouvelles voies comme la télémédecine (voir l’encadré). « Les officinaux pourraient ainsi devenir des praticiens territoriaux et, à ce titre, bénéficier d’une prime à l’installation ainsi que d’honoraires qui tantôt seraient fixés à la boîte, tantôt déterminés en fonction de la complexité de l’ordonnance », explique ainsi Albin Dumas. En clair, la rémunération des pharmaciens serait modulée en fonction de leur prestation.
Dans cette optique, les pharmaciens pourraient, par exemple, percevoir une rémunération pour l’utilisation de home tests, telle que la prise de tension ou encore la vaccination. Évolution qui, selon Albin Dumas, « s’inscrirait dans la droite ligne des 150 euros accordés par nuit de garde aux médecins comme aux pharmaciens ». Une somme non négligeable puisqu’« elle pourrait représenter plus de 50 000 euros sur une année pleine, pour les officines qui, à l’instar de celles installées dans des secteurs isolés, comme l’île d’Ouessant, seraient d’astreinte 365 jours par an ».
En cas d’absence ou de perte de prescripteurs locaux, un lien local pourrait donc être maintenu avec la population et le patient, ainsi, ne serait pas pénalisé. « Pas question, pour autant de chercher à remplacer un médecin par deux ou trois pharmaciens », tempère Albin Dumas, qui défend son idée « au nom des solutions à explorer pour contribuer au repeuplement des campagnes ».
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