LE QUOTIDIEN : Vous refusez la mention de scandale sanitaire, mais quel regard portez-vous sur cette situation ?
DOMINIQUE MARTIN : Il s'agit d'un drame de santé publique dont la responsabilité est collective. Mais ce n'est pas une nouvelle affaire Mediator. La Dépakine est un médicament essentiel dans le traitement de l'épilepsie et pour certaines patientes il n'y a pas de possibilité de substitution. Il est utilisé sur tout le territoire européen et au-delà. Du reste, un arrêt brutal du traitement présente des risques. Mais il y a eu un défaut de précaution pendant très longtemps et une insuffisance d'information des patientes. La question reste pour les différents acteurs, autorités sanitaires, producteurs, prescripteursde laisser agir la Justice pour déterminer précisément quelle est la part de responsabilité de chacun. Et l'ANSM participera de façon active à la manifestation de la vérité en fournissant toutes les informations dont elle dispose.
Selon l'IGAS, la France a attendu 2010 pour faire mention du risque de retard de développement chez les enfants exposés in utero dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP), alors que c'était le cas dans plusieurs pays européens dès 2004. Pourquoi ?
Dès 2003, il était recommandé dans la notice du médicament de consulter son médecin en cas de grossesse. À partir de 2006, son utilisation est « déconseillée » chez la femme enceinte. Mais les autorités sanitaires françaises ont estimé que les données recueillies alors demandaient à être complétées avant de faire une information directe et détaillée des risques aux patientes. Ce qui ne se reproduirait pas aujourd'hui dans un contexte où le droit du malade a pris sa place. Je me félicite que notre politique du médicament soit plus éclairée. Et je suis convaincu que c'est sur la base d'un dialogue intelligent entre médecin et patient que reposent les principes de sécurité attachés à la prescription et à la délivrance d'un médicament.
L'étude présentée fait état d'une baisse de seulement 42 % des grossesses exposées entre 2007 et 2014, alors que les risques étaient connus des praticiens…
Cette baisse est significative, même si elle est moins importante qu'attendue. Elle s'explique en partie par l'arrivée de nouveaux antiépileptiques sur le marché à partir de la fin des années 1990, qui ont permis des traitements de substitution, et par la prise de conscience de certains praticiens. Ce résultat reste insuffisant et pose question sur la capacité des autorités sanitaires à faire passer l'information et celle des prescripteurs à la prendre en compte. Au regard des chiffres, les généralistes libéraux apparaissent comme les principaux prescripteurs de valproate dans l'épilepsie, comme dans les troubles bipolaires et pas seulement dans le cadre de renouvellement d'ordonnance des spécialistes. L'idée est tenace qu'il n'existe pas de substitutif. Par ailleurs, un certain nombre de prescriptions sortent de l'Autorisation de mise sur le marché de valproate, notamment pour le traitement de troubles de l'humeur, parfois même pour la migraine.
Quelles sont les mesures mises en œuvre pour limiter les risques inhérents au traitement chez les femmes enceintes épileptiques ou souffrant de troubles bipolaires ?
Depuis 2013 beaucoup de choses ont été faites et les mesures de prescription et de délivrance sont devenues extrêmement contraignantes. En mai 2015, l'ANSM a instauré, en application de l'arbitrage européen, de nouvelles conditions mentionnant de ne pas prescrire du valproate chez les filles, les adolescentes, les femmes en âge de procréer et les femmes enceintes, sauf en cas d’inefficacité ou d’intolérance aux alternatives médicamenteuses. Cette information a été renforcée quelques mois plus tard par une fiche mémo sur les alternatives proposées. La première prescription ne peut être effectuée que par un spécialiste (psychiatre, neurologue, pédiatre) et le renouvellement réalisé par un généraliste dans les conditions décrites par le prescripteur initial. En 18 mois, une demi-douzaine de notes d'information ont été adressées par l'ANSM aux praticiens, insistant sur l'importance de l'information et du dialogue avec les patientes, notamment concernant leur contraception et leur désir de grossesse. Pour ce qui est de l'usage psychiatrique du valproate (Dépamide, Dépakote), l'étude montre que dans 75 % des cas les traitements sont interrompus pendant la grossesse. Notre objectif, en concertation avec les spécialistes, serait que ce soit systématique.
Où en est-on des études complémentaires annoncées dans le cadre du plan d'action présenté par Marisol Touraine en mars dernier ?
L'ANSM procède actuellement à un suivi renforcé de tous les antiépileptiques (une vingtaine) et d'une dizaine d'antipsychotiques afin de déterminer s'ils ont pu avoir des effets indésirables similaires. Les résultats de l'étude observationnelle menée auprès de quelque 400 officines sur la délivrance de ces médicaments, demandée à Sanofi et au Conseil national de l'ordre des pharmaciens (CNOP) seront diffusés d'ici à la fin du mois de septembre. Les résultats du second volet de l'étude, portant sur 8 701 enfants nés vivants entre 2007 et 2014 après avoir été exposés in utero au valproate, seront communiqués fin décembre, début janvier.
Comment envisagez-vous d'améliorer vos stratégies de communication auprès des prescripteurs et des patients ? En février, vous annonciez la construction d'une convention en partenariat avec le collège de médecine générale. Où en est-on ?
La convention prévue est pratiquement bouclée. Notre première réunion avec le collège de médecine générale est prévue fin septembre. C'est une démarche indispensable pour faire circuler efficacement l'information et limiter le mésusage de ces médicaments. Nous nous rapprochons de la même façon des neurologues, psychiatres et pharmaciens. Des conférences-débats sont programmées dans ce cadre et nous multiplions les canaux de communication pour faire circuler le message, y compris via les médias. Comme annoncé, un pictogramme d'alerte sera apposé sur les boîtes de Dépakine et de tous les dérivés. Nous envisageons aussi la création d'un système d’alerte dans les logiciels d’aide à la prescription et à la délivrance à l'usage des médecins et des pharmaciens. La loi de santé engage les praticiens à fournir une adresse mail au Conseil de l'ordre des médecins pour une mise à disposition des autorités de santé en cas de besoin, et nous comptons exploiter pleinement cet outil. Nous avons des progrès à faire et ceux-ci ne peuvent être réalisés que collectivement.
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