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Cannabis médical : quelles avancées un an après ?

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Publié le 15/03/2022
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Lancée le 26 mars 2021, l'expérimentation du cannabis à usage médical en France boucle bientôt sa première année. Malgré une situation sanitaire compliquée, le projet, qui vise à recueillir les premières données françaises sur l’efficacité du cannabis thérapeutique, progresse bien. Avec, à la clé peut-être, la généralisation de son usage et la création d'une filière française.
Un an après le lancement de l'expérimentation, les retours des patients, comme des professionnels de santé, sont globalement positifs

Un an après le lancement de l'expérimentation, les retours des patients, comme des professionnels de santé, sont globalement positifs
Crédit photo : GARO/PHANIE

« Il faut saluer cette expérimentation qui, malgré un démarrage dans des conditions compliquées, est une vraie avancée pour le patient français » déclare au « Quotidien » Frantz Deschamps, président de Santé France Cannabis. En effet, lancé en plein milieu de la crise du Covid par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), l'expérience visant à évaluer l'intérêt du cannabis à usage médical continue de croître. Plus de 1 400 patients sont désormais intégrés au dispositif, contre 1 000 en novembre dernier. Avec comme objectif, toujours, de traiter plus de 3 000 patients d'ici à mars 2023.

Ces patients, dont certains sont en situation palliative avancée, sont suivis par plus d'un millier de professionnels de santé, dont une forte proportion de pharmaciens, avec 267 officines et 133 PUI (pharmacie à usage intérieur) engagées. « Nous constatons un réel investissement des volontaires et une vraie demande de leur part. C’est très prometteur », reconnaît Nicolas Authier, auteur du « Petit Livre du cannabis médical » et président du Comité scientifique temporaire (CST) pour le suivi de l’expérimentation du cannabis à usage médical.

Les produits, qui consistent en des huiles et des sommités fleuries à vaporiser, sont utilisés pour soigner cinq indications thérapeutiques précises : les douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapeutiques accessibles, certaines formes d’épilepsie sévères et pharmacorésistantes, certains symptômes rebelles en oncologie liés aux cancers ou à ses traitements, les situations palliatives et, enfin, la spasticité douloureuse, comme celle de la sclérose en plaques ou d'autres pathologies du système nerveux central.

Des avancées concrètes

Un an après le lancement de l'expérimentation, les retours des patients, comme des professionnels de santé, sont globalement positifs, tant au niveau de l'efficacité des traitements que vis-à-vis de l'évolution du dispositif. « Il y a une personnalisation importante des traitements. Sur mes 18 patients, aucun n’a la même posologie. Le ratio THC/CBD est optimisé pour chaque patient dans la douleur neuropathique », témoigne Nicolas Authier, qui est également chef du service de pharmacologie médicale au CHU de Clermont-Ferrand.

Si certains patients sortent de l'expérimentation avec regrets, sans bénéfice appréciable vis-à-vis de leur pathologie, beaucoup montrent une amélioration notable de leur état de santé, et surtout de leur bien-être. Les patients victimes de douleurs chroniques et de sclérose en plaques sont ceux chez qui les bénéfices se font le plus sentir. « Nous sommes plus dans la prise en charge du patient souffrant de douleur que dans le traitement de la douleur elle-même. Au-delà de la réduction de cette dernière, l’objectif est que le patient aille mieux, avec une amélioration de son sommeil, de son moral, une diminution de son anxiété… nous avons été témoins d’améliorations importantes voire très importantes », explique Nicolas Authier.

En effet, la nature même des médicaments fait que chaque profil y réagit de manière différente. Au-delà de la validation thérapeutique, les autres enjeux de l'expérimentation résident dans le partage des connaissances et la progression des compétences acquises par les pharmaciens et les médecins participants. Mais aussi dans la maîtrise de la qualité pharmaceutique des médicaments, ainsi que celle de leur juste prescription, dans le respect des précautions d'emploi, des posologies et des contre-indications.

Préparer le futur

Après plusieurs modifications des modalités de l'expérimentation, cette dernière devrait rester inchangée jusqu'à son terme. Déjà, les yeux se tournent vers l'après. Car, dans le cas où le cannabis médical se trouverait légalisé et généralisé en France, il resterait encore beaucoup à faire. À cet effet, l'ANSM a créé un Comité scientifique temporaire qui va définir les spécifications attendues pour les médicaments à base de cannabis qui seront produits par la future filière de production française. « Le statut réglementaire des médicaments, leur prix, leurs modalités de prescription et de délivrance, les indications thérapeutiques et leur remboursement devront aussi être fixés », explique Frantz Deschamps.

Car si le marché du CBD explose un jour dans l'Hexagone, il n'existe pour l'heure aucun fournisseur « Made in France ». Un comble, alors que la production et la culture du cannabis à usage médical sont autorisées depuis le 1er mars.

Vers une filière française ?

Afin de rattraper son retard sur les autres pays (Canada, Pays-Bas, Danemark, Italie, Portugal, Grèce), qui utilisent pour certains le cannabis médical depuis plus de 20 ans, l'Hexagone n'est pas désarmé. « La France a tout pour devenir un pôle d’excellence du cannabis thérapeutique, assure Frantz Deschamps. Nous sommes le premier producteur de chanvre d’Europe, avec un réel savoir-faire agronomique, pharmaceutique et médical. Tous les atouts sont là pour aboutir sur des médicaments innovants et une médecine personnalisée. »

Mais la création d'une filière française de développement et de production de médicaments à base de cannabis ne se fera pas en un jour, et les travaux ne seront pas achevés en 2023. Le processus prendra du temps, mais c'est l'exactitude, plus que la précipitation, qui est à l'ordre du jour. Car, comme le rappelle M. Authier : « Il y a un chemin qui se fait. Lentement certes, mais l’expérimentation est très sérieuse, rigoureuse et surtout, sécurisée pour les patients. Notre objectif, c’est la raison d’être de la médecine : soulager la souffrance, sans nuire. »

François Tassain

Source : Le Quotidien du Pharmacien