Le Quotidien du pharmacien.- L'économie de l'officine est marquée par de profondes disparités. Les petites officines sont à la peine, tandis que les plus grosses parviennent plus facilement à tirer leur épingle du jeu. Ne craignez-vous pas que cette évolution menace, à terme, l'intégrité du réseau officinal et, au-delà, la qualité même de l'offre de soins en France ?
Agnès Buzyn.- Préserver le maillage officinal est une de mes priorités. Les mesures portées par l’ordonnance du 3 janvier 2018 visent précisément à garantir à la population un égal accès aux médicaments sur l’ensemble du territoire en favorisant une répartition plus harmonieuse des pharmacies ainsi qu’en assouplissant les règles applicables à leurs transferts et regroupements pour éviter l’apparition de territoires fragilisés par l’absence d’officine.
Les regroupements de pharmacies issues de communes en surdensité officinale sont facilités vers toute commune du territoire national pourvue d’un nombre d’habitants adéquat. De même, la prise en compte, non plus de la seule population résidente, mais également des flux de population et de leurs nouveaux modes de vie, facilite le rapprochement des pharmacies avec les maisons de santé, les zones commerciales de proximité ou même les gares et les aéroports tout en répondant davantage aux besoins de la population.
Enfin, s’agissant des territoires dits « fragiles » en termes d’accès à une offre pharmaceutique, le directeur général de l’Agence régionale de santé peut prendre en compte les populations de plusieurs communes contiguës afin d’atteindre le quota d’habitants pour l’ouverture d’une pharmacie. Le principe d’aides allouées aux pharmacies, soit pour les maintenir soit pour faciliter leur installation, est également prévu. Une réflexion est engagée concernant les modalités de détermination de ces territoires pour lesquels l’accès au médicament n’est pas assuré de manière satisfaisante.
La GMS, et singulièrement Michel-Edouard Leclerc et son réseau, tente régulièrement de créer des brèches dans le monopole pharmaceutique. M-E.L. a ainsi récemment déclaré qu'il souhaitait vendre des substituts nicotiniques et des tests d'auto-diagnostic dans ses magasins et n'abandonne pas l'idée d'y vendre un jour des médicaments. Les pharmaciens peuvent-ils durablement compter sur vous pour les protéger de cette concurrence préjudiciable à la santé publique ?
Les médicaments présentés sous forme de patch présentent autant de risques, d’effets indésirables, de contre-indications, d’interactions que les médicaments présentés sous forme de comprimés par exemple. Ils nécessitent de ce fait une dispensation sécurisée, que seul un docteur en pharmacie est en mesure d’assurer. Le monopole pharmaceutique est donc pleinement justifié et ne sera pas davantage remis en cause pour les substituts nicotiniques que pour les autres médicaments. De même, l’importance du conseil pharmaceutique pour encadrer l’usage des tests d’autodiagnostic n’est plus à démontrer et leur permet d’être utilisés dans le cadre du parcours de soins, à l’instar des tests rapides d’orientation diagnostique, utilisés en milieu médico-social ou associatif. En Allemagne, en Espagne, en Italie, et en Suède, des politiques nationales soumettant ces produits au monopole pharmaceutique ont été mises en place pour que les consommateurs puissent bénéficier des conseils nécessaires, de même que des messages de mise en garde contre les contrefaçons (cadre de la vente par Internet).
Autoriser la vente de médicaments en grande surface, même sous le contrôle d’un pharmacien, contribuerait à positionner le médicament comme un bien de consommation. Ce serait oublier l’ambivalence propre à la nature même du médicament dont l’utilisation, bien qu’étant destinée à traiter les patients, présente aussi des risques.
Afin d’éviter les risques de mésusage et d’iatrogénie médicamenteuse, la population ne doit pas les considérer comme un bien de consommation courante. Au sein d’une officine de pharmacie, les demandes de médicaments à prescription médicale facultative sont le plus souvent adressées à un pharmacien qui connaît déjà le patient et ses éventuelles contre-indications, comme les allergies, ou autres traitements en cours. À cet égard, le lien social créé par les officines sur les territoires est essentiel pour certaines populations (personnes fragiles, seules, invalides et/ou dépendantes).
De surcroît, l’ouverture du monopole officinal aux grandes ou moyennes surfaces fragiliserait l’économie de certaines officines dans des territoires où elles sont indispensables, notamment les territoires présentant une faible densité médicale.
Pourquoi avoir étendu l’expérimentation de la vaccination antigrippale par les pharmaciens ? Concrètement, comment va se dérouler la prochaine campagne ?
L’expérimentation de la vaccination antigrippale par les pharmaciens, mise en place par l’article 66 de la loi du 23 décembre 2016 de financement de la Sécurité sociale pour 2017, a été conduite dans deux régions (Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle-Aquitaine) pour la campagne 2017-2018. La mise en œuvre de cette première campagne expérimentale s’est révélée être un succès marqué par un fort engouement des pharmaciens et une satisfaction des patients. Au total, 2 696 pharmacies (57 % des pharmacies des 2 régions) et 5 026 pharmaciens ont participé à cette expérimentation. Le nombre total de vaccinations s’est élevé à 159 139. Les vaccinations ont majoritairement été effectuées chez des personnes âgées de 65 ans et plus.
Nous avons donc décidé pour la saison 2018-2019 d’étendre cette expérimentation à deux régions supplémentaires, l’Occitanie et les Hauts-de-France. Par ailleurs, comme recommandé par la Haute Autorité de santé dans son avis du 25 juillet dernier, la cible vaccinale est élargie aux primo-vaccinants et aux femmes enceintes dès cette année par trois textes réglementaires parus au « JO » du 26 septembre 2018 (décret n° 2018-805 du 25 septembre 2018 relatif aux conditions de réalisation de la vaccination antigrippale par un infirmier ou une infirmière et deux arrêtés du 25 septembre 2018). Cela concerne les pharmaciens expérimentateurs des 4 régions mais aussi l’ensemble des infirmiers qui vaccinent contre la grippe saisonnière depuis plusieurs années.
La généralisation de l’expérimentation pour la France entière, qui contribue à la simplification du parcours vaccinal que nous avons souhaité, est prévue dans le cadre du PLFSS 2019, en cohérence avec le Plan Priorité Prévention et les annonces du Premier ministre lors du Comité interministériel de la santé du 26 mars dernier. Elle sera effective dès la campagne de vaccination antigrippale 2019/2020.
Plus largement et afin d’optimiser et diversifier les opportunités vaccinales, la HAS a été saisie afin qu’elle se prononce sur la possibilité pour l’ensemble des professionnels de santé non-médecins (infirmiers, pharmaciens, sages-femmes…) de pratiquer d’autres vaccinations comme celles contre la rougeole ou les rappels DTP. Les conclusions doivent être rendues en 2019.
L'un des problèmes récurrents subi par la chaîne pharmaceutique, et avant tout par les patients, est celui des ruptures d'approvisionnement en médicaments. Qu'envisagez-vous de faire pour y mettre un terme ?
Ces difficultés récurrentes ne sont pas propres au système de santé français et touchent un nombre croissant de pays. Les causes des ruptures de stocks sont multifactorielles et peuvent provenir de difficultés touchant au circuit de production et d’approvisionnement des matières premières à usage pharmaceutique, des produits finis. Toutes ces difficultés sont amplifiées par la mondialisation de la production du médicament, qui complexifie d’autant les solutions mobilisables pour mettre un terme aux ruptures d’approvisionnement.
La France a mis en œuvre des mesures de prévention des ruptures renforçant désormais les obligations et la responsabilité pesant sur les acteurs de la chaîne du médicament, de l’entreprise pharmaceutique aux pharmacies d’officine, dans le cadre de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. Ces dispositions imposent, notamment, aux titulaires d'autorisation de mise sur le marché et aux exploitants de ces médicaments, d’élaborer et de mettre en œuvre des plans de gestion des pénuries pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, et de les soumettre à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). L’implication des différents acteurs de la chaîne de distribution, ainsi que la supervision de ce système par l’ANSM, y sont définies.
Le « décret sur les conseils et prestations en officine », encore appelé « décret services », a été transmis au Conseil d'État le 24 juillet dernier. Il semble que les premières versions du texte ne convenaient pas à la profession qui les jugeait lacunaire et imprécise. Dans quelle mesure ce texte peut-il encore évoluer ?
L’objet du décret actuellement examiné par le Conseil d’État consiste précisément à détailler les conseils et prestations proposés par les pharmaciens d’officine et destinés à favoriser l’amélioration ou le maintien de l’état de santé des personnes, ainsi que les modalités selon lesquelles ils les fournissent. L’approche retenue pour sa rédaction a été pragmatique : définir des grandes actions d’accompagnement et de suivi suffisamment larges pour permettre à chaque pharmacien de se saisir du texte. Une liste exhaustive aurait rapidement été contraignante.
Une réforme de l’étiquetage des médicaments pour une plus grande neutralité des conditionnements est en cours à l'ANSM. Les nouveaux conditionnements envisagés, plutôt centrés sur le principe actif, ne risquent-ils pas d'être sources de confusion pour les patients ?
Ces nouveaux conditionnements ont, au contraire, été élaborés dans le but d’améliorer la sécurité des patients et de favoriser le bon usage des médicaments. En effet, les patients retiendront le nom de la molécule qui leur a été prescrite plutôt que le nom commercial du médicament, ce qui leur permettra d’éviter les surdosages. En ce sens, il s’agit d’une réelle mesure d’éducation qui vise à réduire le nombre d’erreurs médicamenteuses.
Et en ce qui concerne les nouveaux pictogrammes grossesse, certains leur reprochent un usage exagéré qui viserait plus à protéger les industriels que les patientes ? Que vous inspirent ces critiques ?
Cet encadrement a été mis en place en octobre 2017 à la suite de « l’affaire Dépakine » pour mieux informer les patientes de l’impact potentiel de certains médicaments sur l’enfant à naître et leur ouvrir la possibilité de faire un vrai choix de vie (absence de grossesse, adoption…).
Le pictogramme n’apporte pas d’information nouvelle. Il permet une meilleure visibilité des informations contenues dans les RCP. C’est ensuite au médecin et au pharmacien d’expliquer aux femmes les raisons qui nécessitent de continuer le traitement dans le contexte où elles se trouvent ou d’envisager un autre traitement.
L’apposition du pictogramme sur le conditionnement d’un médicament est obligatoire pour un laboratoire dès lors que son médicament a des effets tératogènes ou fœtotoxiques mentionnés dans le RCP. Le choix du modèle de pictogramme relève de l’industriel en fonction de la façon dont les informations sont mentionnées dans le RCP. Ce choix, laissé aux industriels, a été fait en concertation avec l’ANSM.
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