Particulièrement animés pendant la pandémie de Covid-19, les groupes de pharmaciens sur les réseaux sociaux poursuivent leur chemin. De nouveaux naissent encore au gré des humeurs. « J’en avais créé un mais on m’a virée », raconte d’emblée la titulaire Sylvie Parent, quand on lui parle des groupes de pharmaciens sur Facebook. Réputée pour son militantisme, elle ne s’est pas démontée pour autant. En 2016, elle en a cofondé un autre, baptisé Pharmaction. Avec une ambition claire ainsi résumée : « groupe d'échanges et d'informations entre pharmaciens, préparateurs et toute personne souhaitant nous aider dans la défense de notre profession ». « Sur Pharmaction, je ne veux ni labos, ni petites annonces : l’objectif est d’aider les confrères avec des informations. J’essaie d’être neutre, asyndicale et d’ailleurs souvent je ne donne pas mon avis », insiste celle qui est aujourd’hui par ailleurs présidente déléguée Hautes-Pyrénées de l’Union des syndicats des pharmaciens d’officine (USPO).
Autrement dit, Pharmaction, aux 12 500 membres, n’a pas vocation à être la voix de l’USPO. Beaucoup lui font pourtant ce procès d’intention. Pourquoi tant d’animosité ? À elle seule, la naissance de Pharmaction en dit long sur la cordialité et la confraternité difficile à maintenir sur les réseaux sociaux. D’ailleurs, quantité de groupes de pharmaciens s’animent sur le réseau social de Mark Zuckerberg. Comme si chaque coup de gueule donnait lieu à une nouvelle communauté. Pharmaction cohabite avec des généralistes comme « Tu sais que tu es pharmacien » créé « par et pour les pharmacien(ne) s » pour un « regard décalé sur le comptoir du pharmacien », et sans doute l’un des plus populaires avec 22 000 inscrits, mais aussi Pigeons Pharmaciens (17 000 membres) lancé en 2013 pour « la réflexion et la mise en place d’actions communes »… Ils évoluent aux côtés de cellules thématiques à l’instar de « Pharma Cool Jobs » (21 000 inscrits), « Tu sais que tu es préparateur/préparatrice en pharmacie quand » (21 500), « Entraide entre LGPIens » (5 700), ou encore « Groupe d’entraide aux nouvelles missions » (2 600), etc. Fait notable, on a même vu naître « pharmaciens en reconversion » en 2022, pour quelque 4 800 membres « déçus en quête d’un renouveau ». « Tout cela répond à un besoin de s’exprimer », analyse Fabrice Arnaud, fondateur du réseau social de pharmaciens PharmacyLounge (voir ci-dessous).
Des réponses rapides, utiles, mais…
« Comment gérez-vous les stocks tampons en Ehpad ? », « J’hésite à rentrer telle marque, qu’en pensez-vous ? », « Voudriez-vous remplir ce questionnaire pour ma thèse ? »… Les questions fusent et les réponses, souvent sous forme de bonnes pratiques, tardent rarement au sein de ces communautés. C’est concret et utile. Sans avoir à quitter le comptoir, on y échange des nouvelles, des trucs et astuces, et même quelques blagues. L’objectif d’entraide est atteint. Les groupes constituent aussi un lieu de revendications par exemple pour se mobiliser contre la fin du monopole, sur la rémunération des nouvelles missions… « J’avais lancé une pétition nationale à propos des masques au début du Covid, les pharmaciens l’ont relayée sur Pigeons et elle a très vite pris une ampleur à laquelle je ne m’attendais pas », se souvient le titulaire Philippe Levy.
Sans aller jusqu’à la grossièreté, certains contributeurs oublient les bases du secret médical
Quoi qu’il en soit, les messages relèvent parfois du café du commerce. Victimes de leur mode de fonctionnement fondé sur l’immédiateté, ces groupes sont aussi le reflet des réseaux sociaux dans leur ensemble et ne sont pas exempts d’escalades verbales. Et ce, malgré des règles simples et claires : « pas de promotions, ni de spam, être aimable et courtois(e), pas de discours haineux, ni de harcèlement, etc. », demande par exemple Pigeons Pharmaciens, un peu comme les autres. « C’est parfois un défouloir », reconnaît Rodolphe Cohen, fondateur de « Tu sais que tu es pharmacien ». Voire du lynchage. Ainsi, on pouvait lire sur Pharmaction en février : « La Roche Posay, suite. Vu le mépris et les conditions du labo, qui les a mis dehors, ou pense à le faire ? » Aucun groupe n’est à l’abri de ce genre de déballages. « Parfois c’est d’une bassesse intellectuelle ! Or on peut tout dire si on y met les formes », estime Philippe Levy.
Sans aller jusqu’à la grossièreté, certains oublient les bases du secret médical. D’où l’importance des modérateurs, en l’occurrence le ou les fondateurs, parfois épaulés par quelques proches, également administrateurs. Rejoindre un tel groupe, c’est accepter ce système. « Je demande aux auteurs de rendre anonyme les ordonnances. De même, je ne souhaite pas de post qui dérive avec des centaines de commentaires acerbes », explique Sylvie Parent. Quant à ses modérateurs, ils n’ont pas de consignes particulières concernant le contenu si ce n’est de « virer les publicités et les petites annonces ». Dans la réalité, la régulation est quasi-automatique. « Si les gens ne sont pas contents, ils prennent la liberté de l’écrire. C’est un mal commun au web 2.0 et c’est compliqué de filtrer. Cela dit, il y a toujours un copain pour m’avertir d’un éventuel dérapage », observe Rodolphe Cohen, qui administre seul son groupe chaque jour depuis sa création en 2013. Dans le même esprit, Sylvie Parent se souvient « avoir été traitée de tous les noms sur Pigeons. Heureusement que j’ai des copains administrateurs ainsi je parviens à faire sauter le post ! ».
La plupart des groupes tâchent de limiter la présence des commerciaux en tous genres.
Des communautés disparates
À l’instar de la ligne éditoriale, les membres des groupes sont choisis par leurs fondateurs. Chacun a son parti pris pour laisser le groupe ouvert à qui veut, ou accorder son sésame ou pas après une sélection. « Mon questionnaire n’est pas très intrusif, je ne demande pas de numéro RPPS par exemple », indique Sylvie Parent, même si elle essaie de se renseigner sur les personnes qui sollicitent l’entrée dans Pharmaction. De son côté, Rodolphe Cohen annonce accepter en moyenne 2 personnes sur 10/15 demandes quotidiennes. Pour s’assurer d’accepter uniquement les pharmaciens, telle ou telle autre cible comme les préparateurs, les journalistes, ou au contraire de refuser tels autres, les administrateurs devraient pouvoir vérifier le profil de chaque candidat. Or la plupart du temps, répondre à deux ou trois questions sur soi (quel est votre lien avec la pharmacie ? Pourquoi souhaitez-vous être membre ?…), suffit à montrer patte blanche. Il est donc facile de tricher. Ou de s’exprimer de manière anonyme. Avancer masqué, c’est par exemple le moyen d’interpeller sur telle pratique étonnante de son employeur, de son fournisseur, d’un confrère…
Ne vous en prenez pas les uns aux autres »
Philippe Levy, titulaire
Sachant que les titulaires sont déjà très sollicités par des laboratoires, la plupart des groupes tâchent de limiter la présence des commerciaux en tous genres. Et pourtant, des posts émanant de laboratoires et autres prestataires font régulièrement leur apparition avant d’être plus ou moins rapidement exclus.
Beaucoup d’observateurs
La plupart des membres sont observateurs. Ils n’interagissent pas. Le manque de temps finit aussi par décourager certains. « Je suis sur Pharmaction mais sincèrement je n'y vais plus du tout… Trop d'informations à moitié vérifiées, de rumeurs… Je privilégie une source sûre, les newsletters des syndicats (FSPF) ou de mon groupement, Giropharm », reconnaît le titulaire Jean-Luc Hitimana, qui évoque aussi « trop de charge mentale ». De fait, « l’infobésité » a ses revers. Comment un pharmacien peut-il parvenir à lâcher prise si des notifications décorent son écran de smartphone comme un sapin de Noël ? Comment ne pas laisser sa vie privée être envahie par les messages incessants ? « Les réseaux sociaux sont des exutoires pour les énervés de la vie. Souvent je publie pour dire “calmez-vous “, “ ne vous en prenez pas les uns aux autres “. Ou je pose des questions », détaille Philippe Levy, qui dit lever le pied sur les groupes. Facebook serait-il dépassé ? « Mon groupe vit sur ses acquis » reconnaît Rodolphe Cohen. Les réseaux sociaux comme un espace de liberté ? Certes, mais avec celle, ultime, de les quitter un jour.
Pharmacylounge mise sur la sécurité
Les membres des groupes Facebook oublient souvent qu’y figurer et y écrire, c’est confier ses données à une société privée et étrangère. « La prise de conscience de la nécessaire cybersécurité commence seulement chez les pharmaciens. Or les groupes de discussions se font dans des cadres non sécurisés appartenant aux Gafam qui captent les données. De plus, les commentaires peuvent y être récupérés, il y a donc des enjeux de e-réputation », estime Fabrice Arnaud, fondateur de PharmacyLounge, une sorte de LinkedIn de la pharmacie. Loin d’être un réseau social ouvert à tous vents, les entrées y sont filtrées et réservées aux seuls pharmaciens, officinaux comme hospitaliers (hormis les sections B et C pour éviter les intérêts commerciaux). Il est uniquement accessible en montrant patte blanche, numéro de RPPS, voire carte de professionnel de santé (CPS), à l’appui. C’est seulement après une inscription validée que les membres peuvent entre eux créer des groupes appelés « lounges » pour échanger sur les thématiques de leur choix. Et pour financer cette sécurité et cette confidentialité, ce club très fermé PharmacyLounge vend des espaces « experts », accessibles aux pharmaciens qui font le choix de les rejoindre (ou pas).
Né au moment de la pandémie du Covid-19, le LinkedIn de la pharmacie revendique aujourd’hui quelque « 3 000 membres dont environ 1 350 officinaux, 90 % d’entre eux étant titulaires », détaille Fabrice Arnaud. L’USPO, l’URPS, l’ANEPF se sont déjà dotés d’« espaces experts »… Sylvie Parent réfléchit à intégrer Pharmaction dans ce réseau, mais regrette de ne pouvoir y embarquer les préparateurs… Un géant de la dermocosmétique y penserait aussi.
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