Certains titulaires, rarement présents, laissent à leur adjoint le soin de mener l’activité de l’officine. Lorsqu’elle est organisée, cette situation peut être une véritable source d’épanouissement. À l’inverse, ces absences répétées sont vécues comme un abandon lorsqu’elles reflètent un désengagement du titulaire pour le métier.
Quand le capitaine abandonne le navire…
Pendant plusieurs années, Solène a pallié l’absence du titulaire de l’officine où elle travaillait. « Il s’est d’abord retiré du planning. Puis peu à peu, il s’est désengagé de son officine. En fait, il retournait souvent dans son pays d’origine où il menait un autre business », témoigne la pharmacienne. Elle est pourtant restée vingt ans adjointe dans cette pharmacie, « par routine » et parce que finalement cette organisation lui convenait. Du moins, jusqu’à la pandémie de Covid. Car lors du premier confinement (mars 2020), c’est Solène qui a dû gérer la situation : « le titulaire nous a juste informés qu’il était bloqué à l’étranger. Et puis plus rien : silence radio jusqu’en juin ». Comme sa consœur, Nelly s’est retrouvée sans titulaire dans la pharmacie où elle débutait son premier poste : « c’était comme si j’étais gérante de l’officine. Le couple de pharmaciens passait à la fin de la semaine, pour prendre le liquide. J’avais entendu parler du concept de pharmacien tiroir-caisse, mais je ne pensais pas ça existait encore ».
Et quand l’adjoint sombre
Au bord du burn-out, Marina vient de mettre fin à son contrat dans une pharmacie d’Outremer. Cette jeune pharmacienne était pourtant arrivée avec plein de projets en tête pour valoriser la pharmacie : « lors du recrutement, la titulaire m’a dit que l’équipe était en souffrance. En fait, c’était elle qui était démissionnaire ». Au fil des mois, Marina avait l’impression d’être dans un monde inversé dans lequel l’adjoint ne peut pas compter sur son titulaire. Planning, congés, commandes, élaboration du protocole de vaccination, résolution des problèmes techniques, accueil des délégués pharmaceutiques, tout reposait sur elle : « au début, c’était très satisfaisant de voir que je savais me débrouiller seule. Mais quand la titulaire posait des lapins aux commerciaux ou que les patients croyaient que j’étais la patronne, cela devenait de plus en plus embarrassant ».
Une responsabilité hors contrat.
En tant que pharmacien, l’adjoint est responsable de l’activité pharmaceutique vis-à-vis de ses collaborateurs. Mais quelle est sa légitimité pour endosser le rôle de substitut de chef d’entreprise ? « Pendant le confinement, c’est moi qui ai imposé le port du masque à mes collègues malgré leurs réticences et sans l’accord du titulaire », explique Solène. Avec le recul, elle réalise l’ampleur de la responsabilité qui reposait sur ses épaules, malgré elle : « avec l’autre adjointe, nous nous interdisions d’être absentes par solidarité, pour ne pas mettre le reste de l’équipe en souffrance ». « Quand on a une conscience professionnelle, c’est difficile d’en faire le minimum. On a plutôt tendance à se mettre en quatre et à foncer à 100 % pour une entreprise qui n’est même pas à nous. Ça finit par nous épuiser », confirme Marina. Elle en était même arrivée à culpabiliser, à se dire qu’elle avait donné de mauvaises habitudes.
Plus remplaçant qu’adjoint.
Pour Valérie, la situation est différente. Dès son recrutement, elle savait qu’elle exercerait en complément du titulaire, pour le soulager : « c’est compliqué parce qu’on ne peut pas se transmettre les informations ou se mettre d’accord sur la conduite à adopter avec certains patients. Ce manque de communication me met parfois en porte-à-faux ». Idem pour Lou, à qui le titulaire n’a jamais caché qu’il serait rarement présent à la pharmacie : « on ne sait jamais quand il est là et quand c’est le cas, il est dans son bureau où il s’occupe des commandes ». Mais contrairement aux témoignages précédents, Lou vit bien la situation parce que même absent, son titulaire dirige « vraiment » la pharmacie : « il nous appelle ses collaboratrices, il est à l’écoute de nos besoins et il nous fait confiance ». Et à choisir, Lou préfère cette quasi-absence à l’omniprésence : « dans un précédent poste, le titulaire était toujours sur mon dos. Je ne pouvais pas m’épanouir ». Que ce soit pour Lou ou Marina, une chose est sûre : ces expériences leur ont révélé le modèle de titulaire qu’elles ne veulent pas devenir.
Titulaire absent pour cause de décès
À la suite du décès du titulaire, Cécile a accepté la gérance de l’officine dans laquelle elle travaillait depuis quelques mois, au grand soulagement de la famille : « à l’exception de la comptabilité et des relations avec les banques, j’avais toutes les fonctions du titulaire. Je gérais l’aspect logistique de A à Z. J’ai même mené l’entretien de recrutement d’un nouvel adjoint, pour me seconder ». L’aventure a duré deux ans (durée réglementaire, pouvant aller jusqu’à trois ans, sur décision de l’ARS). Mais un gérant n’est pas un titulaire, comme l’a appris Cécile à ses dépens : « ce n’était pas ma pharmacie. Mon employeur était la famille, les héritiers. Il était difficile, voire impossible de prendre des initiatives, ce qui est assez frustrant à la longue ».
Mon titulaire est président de syndicat
Vincent est l’un des deux titulaires de Philippe Besset, le président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) : « j’ai été embauché pour pallier l’absence de Philippe en raison de ses activités syndicales. Nous faisons le point régulièrement avec lui. Nous sommes force de proposition, et Philippe tranche en tenant compte de nos avis ». Vincent apprécie cette façon de travailler en toute confiance ; une collaboration épanouissante qui lui permet de découvrir certains aspects de la fonction de titulaire. Comme dans la pharmacie de Philippe Besset, celle du président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) compte plus d’adjoints que ce qu’impose son chiffre d’affaires. Avant de prendre la tête du syndicat, Pierre-Olivier Variot a consulté son équipe : « c’était essentiel de leur en parler et d’organiser ensemble l’activité de l’officine ». Malgré leur emploi du temps surchargé, ces pharmaciens présidents mettent un point d’honneur à être dans leur officine une à deux journées par semaine, et d’assurer les gardes. Même absents, ils restent des titulaires engagés, toujours prêts à décrocher leur téléphone si leurs adjoints les appellent.
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