Une enseigne a-t-elle besoin d'une masse critique pour exister et remplir ses fonctions ? La question partage les groupements. La récurrence de sa signalétique dans le paysage commercial, la disponibilité de ses produits à la marque dans un grand nombre de points de vente ainsi que la notoriété d'un savoir-faire spécifique sont les constantes des enseignes. À ceci près que ce qui se vérifie dans le retail s'adapte mal au monde de la santé, où le professionnel entretient une dimension toute personnelle avec ses patients.
Il n'empêche, les plus grands groupements veulent croire à une possible extension de leur zone d'influence. La couverture nationale figure même en corrélation du développement de l'enseigne. «Je ne connais pas d'enseigne de retail qui ait réussi au niveau régional », martèle Pierre-Alexandre Mouret, directeur général opérationnel de PharmaVie. « Et même si certains points de vente d'enseignes déclinent des produits régionaux, le raisonnement est national, et demain international », ajoute-t-il. Certains groupements, tels le groupe PHR et ses 1 280 adhérents, détiennent d'ores et déjà le potentiel d'un maillage national. Il leur suffirait de convertir un certain nombre en enseignes pour atteindre la masse critique. « Nous avons actuellement 80 adhérents sous enseigne, je pense qu'à 250 nous pourrions nous revendiquer d'une enseigne d'échelle nationale », estime François Tesson, son directeur général.
Zones blanches
Une couverture nationale oui, mais pas à n'importe quel prix. Pour Laurent Keiser, directeur général d'Aprium, une enseigne doit être visible auprès des 7 millions de Français qui passent chaque jour devant une pharmacie. Selon lui, le succès d'une enseigne dépendra donc de sa récurrence et du flux généré par ce réseau sur l'ensemble du territoire. Or par chance, la pharmacie bénéficie par nature d'un flux important, insiste-t-il, ajoutant que son groupement doit encore combler quelques zones blanches à l'ouest et à l'est de l'Hexagone. Il n'est pas le seul à rencontrer des difficultés dans ces deux régions.
Chez Pharmabest, présent aujourd'hui dans toutes les zones de grandes villes, le raisonnement porte davantage sur l'implantation de l'enseigne dans un bassin de population suffisant à une officine de 690 m2, en moyenne. « En cinq ans, nous avons multiplié par trois la surface moyenne de nos officines… C’est nécessaire si on veut bien faire notre métier demain, dispenser une offre en vaccination, en podologie, en oncologie. Le pharmacien doit se sentir bien dans la marque », expose Alain Styl, son directeur général. Alexandre Aunis, directeur commercial de Boticinal, se place du côté du consommateur. « La puissance d'une marque réside dans sa capacité à créer du lien avec le consommateur. Il faut donc que celui-ci puisse trouver une enseigne près de chez lui », affirme-t-il, annonçant que le maillage suffisant - entre 100 à 150 pharmacies - devrait être atteint dans trois à quatre ans. Pour l'heure, Boticinal vise 50 officines à l'enseigne en 2022.
Le retour du local
L'enseigne ne serait-elle finalement que l'apanage des grands groupements ? Nombre de groupements affirment ne pas vouloir se livrer à une course effrénée, mais s'inscrivent dans une progression mesurée. C'est ce que prône Pharmodel qui dénombre sur ses 403 adhérents, 17 D docteurs en pharmacie et 20 dossiers en cours. Le groupement n'exclut pas d'ajouter des adaptations locales indispensables soutenues par des études de géomarketing, de concurrence et d'ajustement d'assortiment.
« À quel moment peut-on juger qu'une enseigne est perceptible sur un marché ? À partir de 2 000 pharmacies sur le territoire français ? Nous n'y parviendrons jamais », interpelle Jérôme Escojido, cofondateur de Médiprix. Ne craignant pas les zones blanches, l'enseigne adopte une autre stratégie de développement et occupe le terrain par bastion : Montpellier, Toulon, Toulouse, Tarbes… « Les pharmacies doivent venir à Mediprix par conviction. » Le « local » reste, dans les faits, l'échelle de prédilection de bien des groupements. Ainsi, Totum avance discrètement « par grappe ». La prise de participation de ses adhérents dans plusieurs officines d'une région privilégie un développement cohérent localement, basé sur des convergences internes. « Mieux vaut trois pharmacies bien positionnées qu'une seule surface de 1 400 m2, les relations avec les patients ne seront pas les mêmes », expose Sébastien de Larminat, son directeur général.
Le pharmacien figure de proue
Une approche qui rejoint l'analyse de Stéphanie Bapt, responsable marketing et développement chez Ceido. « Avant une enseigne, on est face à des indépendants qui détiennent une entreprise. Le besoin d'autonomie ressenti par la population qui retourne au local, est également partagé par les pharmaciens. » Aussi, plutôt qu'un concept d'enseigne, Ceido, propriété de ses pharmaciens actionnaires, revendique être une signature, support de l'identité de tout pharmacien. Par conséquent, c'est au travers de groupes territoriaux que Ceido entretient ses relations avec les pharmacies, en les aidant à engager des actions collectives locales, à personnaliser des animations et des événements.
La proximité est également l'axe revendiqué par Optipharm, dont le concept repose sur une identification forte du patient au pharmacien proche de chez lui. Transposé à l'ensemble du réseau officinal, l'intérêt d'une enseigne suscite l'interrogation d'Alain Grollaud, directeur d'Optipharm, dans la mesure où, souligne-t-il, la communication se limite aux prix ou aux services : «à partir du moment où le patient obtient toutes les informations auprès de sa pharmacie, la communication sur les services est à la portée de tous ». Tout au plus concède-t-il une utilité aux enseignes dans un environnement hyperconcurrentiel, leur valeur ajoutée consistant alors à apporter davantage de visibilité aux services.
« Ce qui attire le patient, c'est le pharmacien lui-même. Car le public n'a pas connaissance des enseignes de pharmacie », renchérit Olivier Verdure, directeur marketing de Pharm&Free. Et d'ajouter « Ce qui n'empêche pas les groupements régionaux de mettre à disposition de leurs adhérents, tous les outils des enseignes mais leur marque met en avant le pharmacien ». Et non l'inverse, comme grincent certains dirigeants de groupements.
La politique d'expansion d'une enseigne serait même contreproductive à en croire Laurent Filoche. En effet, comme le souligne le président de Pharmacorp, « l’enseigne diminue la force de frappe du groupement ». Il en fait la démonstration, « notre groupement Pharmacorp possède au niveau local des secteurs très développés, notamment à Toulouse, et détient par là même une part de marché qu'il ne pourrait avoir avec une enseigne, en raison de la zone de chalandise que celle-ci devrait garantir entre les adhérents ». Jérôme Escojido persiste à croire qu'il faut construire une marque forte en pharmacie afin de protéger l'indépendance du pharmacien. Une marque forte bâtie sur le capital sympathie qu'elle récolte auprès de ses patients.
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