Avec le concours du cabinet Ethik.IA , qui accompagne entreprises et institutions dans l’exploitation de l’IA dans leurs activités, la Fédération a souhaité « sensibiliser et informer » les pharmaciens sur ces nouvelles technologies et sur leurs enjeux, notamment juridiques.
David Gruson, membre de la chaire santé de Sciences Po Paris et fondateur d’Ethik. IA, rappelle que les pharmaciens sont « au carrefour » de l’IA en santé, à la fois récepteurs, producteurs et utilisateurs de données. Devenue « générative », l’intelligence artificielle est capable depuis 2023 de produire des contenus et de traiter des documents, et se découvre de nouvelles applications, insoupçonnées il y a peu, au fur et à mesure de sa progression. Elle se révèle par exemple précieuse pour la lutte contre les fraudes et la détection des fausses prescriptions, car elle « sait » comparer ces dernières avec les vraies… en se basant sur tous les modèles de faux qu’elle a pu stocker dans sa mémoire.
Les logiciels métiers et d’aide à la dispensation sont désormais complétés par des modules d’IA
Après avoir d’abord investi le back office, l’IA devient maintenant une aide à la qualité et la sécurisation de la délivrance, y compris en confrontant les ordonnances présentées aux principales bases de données du médicament. Les logiciels métiers et d’aide à la dispensation sont désormais complétés par des modules d’IA, à l’image de ceux présentés par plusieurs exposants lors du salon tenu parallèlement aux conférences.
Les dosages automatisés en pharmacie, les analyses biologiques ou la chirurgie guidée par ordinateur sont déjà presque des techniques anciennes, et l’IA permettra bientôt la modélisation numérique du médicament et les essais cliniques virtuels, tout en renforçant la pharmacovigilance et la prévention des iatrogénies. En médecine, certaines disciplines ayant fortement recours à l’imagerie se prêtent particulièrement bien à son utilisation : c’est le cas de la dermatologie, de la radiologie et de l’ophtalmologie, permettant notamment certains dépistages, dont celui de la rétinopathie diabétique, du cancer du sein et de cancers de la peau.
Chatbox médicaux
Déjà expérimentés au Royaume Uni sous l’égide du NHS, et prochainement au Portugal, des « chatbox » (ou « boîte de discussion » en français) médicaux proposent une véritable « consultation » entre un patient assuré et un « professionnel de santé » virtuel. Tout cela bouleverse totalement le rôle du pharmacien, que ce soit dans sa relation traditionnelle avec ses patients, ou dans la manière dont il les accompagne dans un parcours de soins de plus en plus numérisé. De même, l’approvisionnement et l’exploitation des Dossiers Patients et des DMP évolueront radicalement, mais David Gruson rappelle qu’il faut plus y voir « une opportunité » qu’une menace pour la profession.
Ces perspectives n’en posent pas moins d’innombrables questions, en particulier sur les problèmes de recueil et de confidentialité des données, mais aussi, voire surtout, sur la responsabilité des professionnels de santé faisant appel à l’IA pour définir ou affiner un diagnostic ou un traitement.
L’IA en santé est classée à « haut niveau de risque »
Adopté en mars 2024, le règlement européen sur l’IA répond en partie à ces différentes questions, tout en introduisant cinq niveaux de risque et de garantie en fonction des effets attendus de l’IA : celle-ci n’entraînera guère de risque individuel et social si elle ne vise par exemple qu’à améliorer un filtre antispam, mais sera considérée comme « inacceptable » si elle contribue à discriminer des groupes ou à encourager des actes racistes. Dans cette échelle, l’IA en santé est classée à « haut niveau de risque », ce qui impose donc un contrôle efficace de son fonctionnement.
Sarah Amrani, responsable du projet « Garantie humaine » dans le même cabinet, a précisé que l’IA en santé sera juridiquement assimilée aux dispositifs médicaux et, comme eux, devra faire l’objet d’un marquage CE. L’IA ne peut avoir de responsabilité éthique ou juridique propre, car celle-ci incombe toujours au professionnel qui l’utilise. Toutefois, il n’est pas exclu que l’IA « outrepasse sa mission » ou, plus prosaïquement, fonctionne mal et génère des erreurs.
Dans une telle situation, il pourra être difficile d’évaluer la responsabilité de l’utilisateur et celle du fabricant. Si le patient pâtit d’une erreur, est-elle due à une mauvaise utilisation de l’IA par le professionnel, qui a pu aussi lui déléguer trop de tâches, ou bien est-ce l’IA qui a été mal programmée ou mal conçue ? Il faudra s’assurer avant de répondre que le professionnel a vérifié le bon fonctionnement de l’IA et n’est pas lui-même à l’origine de son « détournement », volontaire ou accidentel. Le praticien pourrait même se voir reprocher un biais cognitif pour avoir « trop cru » ce que lui disait l’IA.
L’IA en santé va générer son lot de conflits juridiques
La responsabilité du fabricant est l’un des principes de base du droit européen, mais celle du professionnel aussi… et chacun devra donc prouver son innocence en cas de difficulté. En d’autres termes, l’IA en santé va générer son lot de conflits juridiques, qui bâtiront alors une jurisprudence aujourd’hui inexistante. La conférence s’est achevée sur quelques questions de la salle, en particulier sur les cabines de téléconsultation dans les officines. Celles-ci feront de plus en plus appel à l’IA, et plusieurs pharmaciens s’interrogent sur les tenants juridiques de cette nouvelle activité.
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