Le Quotidien du pharmacien.- Depuis de nombreuses années, et c’est encore le cas en 2020, vos études économiques font ressortir une plus forte rentabilité des pharmacies en association. Est-ce à dire que les pharmaciens qui exploitent seuls leur officine n’ont plus d’avenir ?
Philippe Becker.- Ce serait très provocateur de dire cela car le mode d’exercice est dicté par de nombreuses considérations qui parfois n’ont rien à voir avec la rentabilité. Ces choix sont respectables ! De plus on trouvera dans nos chiffres des pharmaciens qui travaillent en solitaire avec des résultats financiers excellents. Reste qu’en moyenne nos données indiquent effectivement une meilleure profitabilité pour les associations de pharmaciens.
Comment cela peut-il s'expliquer ?
Christian Nouvel.- Il y a une première raison presque mécanique : avec deux associés cogérants, l’officine emploie moins de pharmaciens adjoints obligatoires – c’est marquant si l’on observe le poste frais de personnel. Mais ce n’est pas la seule raison ! Les pharmaciens s’associent très généralement pour reprendre des officines dont l’importance du chiffre d’affaires est sensiblement supérieure à la moyenne (1,6 million d'euros). De ce fait, ils bénéficient de « l’effet taille » !
C’est-à-dire ?
Christian Nouvel.- Une pharmacie, quel que soit son chiffre d’affaires, génère des frais fixes (loyers, informatique, entretien et maintenance) qui seront plus facilement absorbés si l’activité est importante. Sur le même registre, tout investissement professionnel, par exemple un outil pour délivrer la PDA ou encore l’aménagement d’un local pour les entretiens pharmaceutiques, sera utilisé au maximum et créera plus de revenus dans une pharmacie à forte activité. On parle dans notre jargon d’une meilleure optimisation des coûts et investissements.
N’y a-t-il pas d’autres raisons liées à l’évolution du métier ?
Philippe Becker.- Oui, bien évidemment, et c’est souvent pour ces raisons que nos pharmaciens décident de s’associer. Si on remonte dans le temps, l’association s’est imposée à la fin des années 1990 pour faciliter à de jeunes diplômés peu fortunés l’achat une pharmacie dans un contexte d’augmentation importante du prix des officines. C’est aussi la conséquence de la forte féminisation de la profession : l’exercice à deux, voire plus, permet de jongler plus facilement entre la vie professionnelle et les obligations familiales. Ajoutons que l’association est apparue comme une opportunité pour promouvoir des activités et des services complémentaires en fonction des motivations et compétences des co-titulaires.
Le développement des nouvelles missions va probablement amener les officinaux à réfléchir sur leur stratégie ! L’association est-elle la réponse ?
Philippe Becker.- C’est l’une des réponses : mettre en commun des compétences variées pour mieux organiser le travail dans l’officine. Nous l’avons souligné à de nombreuses reprises, le passage progressif d’une économie de dispensation vers une économie de services entraîne une modification des processus et un partage des tâches, avec à la clé probablement des spécialisations. En face d’une telle évolution, des co-titulaires motivés seront mieux armés.
Cela suppose toutefois qu’ils s’entendent bien !
Christian Nouvel.- C’est la clé du succès. L’association, c’est rompre avec la solitude professionnelle, mais c’est aussi accepter de perdre une partie de sa liberté. Il faut par conséquent que l’harmonie s’installe et que les contraintes réelles soient compensées par une meilleure rémunération des associés. Nos chiffres publiés récemment le montrent : sur des officines de taille significative la rémunération de chaque associé dépasse 70 000 euros par an.
Philippe Becker.- Il faut ajouter que le vrai exercice en commun est une évolution que nous constatons dans toutes les professions libérales, qu'elles soient dans des domaines techniques ou dans le monde de la Santé. Si les aspects financiers peuvent favoriser l’association, le souhait d’avoir un mode de travail moins stressant et plus qualitatif est certainement un des facteurs qui motivent le plus les jeunes générations de libéraux.
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