Cas de comptoir
Le contexte : Mme H., 56 ans, alterne les épisodes de diarrhées et de constipation depuis des années. « J’en ai assez de prendre des médicaments. On m’a parlé de probiotiques, est-ce que cela fonctionne ? »
Votre réponse : « Il existe effectivement des formules à base de probiotiques, éventuellement associés à des prébiotiques, qui peuvent améliorer au bout de 2 à 3 semaines les symptômes de l’intestin irritable tels que les maux de ventre et la constipation. Les cures seront répétées plusieurs fois dans l’année. »
Définitions
- Syndrome de l’intestin irritable (ou colopathie fonctionnelle) : pathologie chronique digestive multifactorielle se caractérisant par des troubles fonctionnels de l’intestin tels que des douleurs abdominales, un transit perturbé (diarrhée, constipation ou alternance des deux) et un inconfort. Les termes de colopathie fonctionnelle et de troubles fonctionnels intestinaux sont également associés à ce syndrome.
- Douleur abdominale : sensation de spasme, de crampe, localisée au niveau des fosses iliaques droite et gauche ou au niveau du nombril. La douleur survient après le repas ou au réveil, pendant quelques heures à quelques jours et est soulagée par l’émission de gaz ou de selles.
- Ballonnements abdominaux : tension permanente avec distension de la paroi abdominale et associée à des bruits intestinaux, les borborygmes, correspondant au déplacement des liquides et des gaz.
- Troubles du transit : se manifestent par une constipation (soit moins de 3 selles par semaine), par une diarrhée, soit l’émission fréquente de selles liquides, ou une alternance diarrhée/constipation.
Physiopathologie
Autrefois appelé syndrome du côlon irritable, les recherches ont mis en évidence des anomalies touchant plus l’intestin grêle que le côlon, d’où le terme ajusté de syndrome de l’intestin irritable. La maladie touche 5 % de la population française, majoritairement les femmes, âgées entre 40 et 50 ans.
Il s’agit d’anomalies fonctionnelles, se caractérisant par une hyperactivité motrice à l’origine de diarrhées, et par un transit accéléré des gaz, provoquant une sensation d’inconfort et de ballonnements. Deuxième élément physiopathologie clé du SII : l’hypersensibilité viscérale qui peut être d’origine périphérique avec une sensibilisation des neurones afférents primaires intestinaux ou d’origine centrale.
L’hyperméabilité intestinale, liée à l’altération des jonctions serrées et à l’activation de protases bactériennes, jouerait également un rôle dans l’hypersensibilisation des terminaisons nerveuses digestives. Les antigènes alimentaires et bactériens, potentiellement nocifs, pénètrent ainsi plus facilement, déclenchant une réponse inflammatoire locale.
Enfin, la piste d’une perturbation du microbiote intestinal est avancée. Les bactéries agissent sur la sensibilité et la motricité intestinales, et participent à la fermentation des glucides aboutissant à la production de gaz. Au cours du SII est démontrée une suractivité métabolique à l’origine de la mauvaise tolérance des fibres et des FODMAPs (oligo-, di- ou monosaccharides fermentables, voir tableau ci-contre). En outre, les études montrent une diminution de la diversité et de la stabilité du microbiote, altérant la perméabilité de la muqueuse intestinale et provoquant une inflammation de bas grade.
Des signes digestifs multiples
Le diagnostic du syndrome de l’intestin irritable est clinique et repose sur des critères spécifiques et définis par les sociétés savantes : les critères de Rome. La douleur abdominale est présente depuis au moins 6 mois et survient au moins un jour par semaine durant les 3 derniers mois. Sont associés au moins 2 des 3 critères suivants : relation entre douleur et défécation, modification de la fréquence des selles et/ou une modification de la consistance des selles (selon l’échelle de Bristol).
Quatre formes cliniques de syndrome de l’intestin irritable sont distinguées en fonction des troubles du transit : SII à diarrhée prédominante (SII-D), SII à constipation prédominante (SII-C), SII mixte avec une alternance de diarrhée et de constipation (SII-M) et SII indéterminé (SII-I).
La présence d’une comorbidité associée (migraines, céphalées de tension, fibromyalgie, cystite interstitielle, dyspareunie) appuie également le diagnostic de SII.
Le syndrome de l’intestin irritable est une maladie chronique évoluant entre périodes de crise et périodes d’amélioration ou d’accalmie. Il n’augmente pas le risque de cancer du côlon ou de maladie inflammatoire chronique intestinale de type Maladie de Crohn ou rectocolite hémorragique.
Le syndrome de l’intestin irritable est une maladie chronique évoluant entre périodes de crise et périodes d’amélioration ou d’accalmie. Il est bénin
Direction le médecin
La présence de sang dans les selles, l’apparition de fièvre, d’amaigrissement et de diarrhée abondante sont des signes nécessitant une orientation médicale. Les personnes très anxieuses ayant besoin éventuellement de traitement adapté nécessitent également un accompagnement soutenu.
Le diagnostic reposant sur des critères cliniques, les examens complémentaires sont effectués devant des signes d’alarme cités plus haut. Il s’agit de tests biologiques (numération formule sanguine, ionogramme sanguin, biologie hépatique, dosage de la protéine-C réactive) et d’un examen parasitologique des selles sur 3 jours non consécutifs pour éliminer une cause parasitaire. L’endoscopie haute et la coloscopie, mettant en évidence une lésion organique colique ou iléale terminale, sont réservées en cas de forme diarrhéique notamment chez des patients âgés de plus de 50 ans, ayant des antécédents familiaux de cancer colorectal, présentant une hémorragie digestive, un amaigrissement.
Conduite à tenir
Les mesures hygiénodiététiques
Repas copieux et rapides, anxiété, stress, fatigue… tous ces paramètres augmentent le risque de douleur chez le patient colopathe. Les patients hypersensibles, anxieux, hypocondriaques sont plus touchés par la maladie. En dehors des médicaments et conseils alimentaires, la gestion du stress et de l’anxiété fait partie du traitement du syndrome de l’intestin irritable.
Rappelez qu’une bonne mastication permet de réduire les flatulences liées à une mauvaise fermentation des glucides des aliments. Ainsi, il faut mâcher longuement avant d’avaler, éviter les pailles pour boire, les boissons gazeuses, et les chewing-gums favorisant l’absorption de l’air au niveau gastrique.
En outre, la gestion de la constipation fait partie intégrante du traitement du SII. Les patients doivent apprendre à aller à la selle dès qu’ils sentent le besoin d’évacuer, sans se retenir, ou bien d’aller aux toilettes, à heure fixe. Rappelez aussi la posture favorisant l’exonération avec les pieds surélevés et les genoux remontés vers la poitrine. Les massages abdominaux, l’hydratation, notamment avec des eaux riches en magnésium, et la pratique d’une activité physique régulière sont à favoriser.
Selon la tolérance en fibres du patient, l’enrichissement des repas peut être éventuellement proposé. Les fibres sont des glucides complexes, non dégradés par l’intestin. Les fibres solubles, retrouvées dans les fruits et légumes frais, servent de substrat pour le microbiote intestinal. Leur transformation est à l’origine de gaz et de ballonnements. Quant aux fibres insolubles, se concentrant majoritairement dans les enveloppes des graines de céréales et des légumineuses, elles accélèrent le transit et ont un effet détoxifiant. Chez les personnes ayant une SII-C, l’apport en fibres insolubles doit être encouragé à 30 à 40 grammes par jour. En cas de maux de ventre ou d’irritation colique, cet apport est diminué.
Enfin, il est judicieux de tenir un journal de l’alimentation, ce qui permet d’identifier les aliments à l’origine des symptômes de colopathie fonctionnelle, en majorité : pois, lentilles, haricots secs, chou vert, brocoli, choux de Bruxelles, chou kalé, etc. Attention aussi aux crudités, au pain, aux céréales complètes, les aliments qui contiennent du lait ou du lactose, ou ceux riches en matières grasses.
Le régime d’éviction des FODMAPs
Sue Sheperd, une diététicienne australienne, a mis au point dans les années 90, le régime d’éviction des FODMAP (Fructo-, Oligo-, Di-, Monosaccharides et Polyols). Ce sont des sucres retrouvés dans pléthore d’aliments, parfois mal digérés ou mal absorbés, alors à l’origine de symptômes digestifs (douleur, ballonnements, borborygmes, troubles du transit). Les études ont prouvé l’innocuité de ce régime et son efficacité, améliorant la douleur et la qualité de vie des patients. Attention, ce régime est difficile à appliquer et le recours à une diététicienne est parfois utile pour certains patients.
Le protocole prévoit l’éviction totale des FODMAPs pendant 2 à 4 semaines, puis la réintroduction progressive de chaque groupe d’aliments, un par un, sur plusieurs jours, pour tester la tolérance. En l’absence d’efficacité au bout de 4 à 6 semaines, il est préférable d’arrêter le régime. Sans révolutionner l’alimentation, quelques conseils peuvent être prodigués tels que choisir des produits laitiers sans lactose, privilégier les farines et produits céréaliers sans gluten et éviter les chewing-gums, bonbons et produits allégés riches en fructose et polyols, tout en veillant à un apport suffisant en protéines et matières grasses.
Les produits du conseil
L’objectif thérapeutique au comptoir vise à améliorer les symptômes de 30 à 40 % avec régularisation du transit et diminution de l’intensité de la douleur.
Antispasmodiques
En première ligne du traitement du SII, les antispasmodiques ont révélé une efficacité sur l’intensité de la douleur diminuée. Sont cités le phloroglucinol (2 comprimés 3 fois par jour), de l’association alvérine siméthicone (Météospasmyl), à raison de 3 prises par jour, et le pinavérium, sur ordonnance.
Laxatifs
Le traitement de référence de la constipation chez les personnes atteintes du SII-C repose sur l’administration des dérivés du polyéthylène glycol (macrogol). Ces laxatifs osmotiques attirent l’eau dans la lumière intestinale et hydratent les selles. Leur délai d’action est de 24 à 72 heures.
Les laxatifs de lest (fibres ou mucilages), non absorbés et retenant l’eau et les électrolytes, augmentent le volume du bol fécal, stimulant ainsi le péristaltisme intestinal. Il s’agit des gommes karaya et guar, du psyllium, de l’ispaghul et les fibres alimentaires. Leur délai d’action est également long, entre 12 et 24 heures et ils peuvent provoquer des ballonnements en début de traitement.
Les laxatifs ayant un délai d’action plus rapide (moins de 12 heures), sont les laxatifs stimulants (dérivés anthracéniques : aloès, séné, bourdaine, tamarin) et le bisacodyl (Dulcolax, Contalax). Ils stimulent la motricité intestinale et diminuent la réabsorption de l’eau au niveau du côlon. Irritants, ils ne doivent pas être utilisés plus de 10 jours et sont contre-indiqués chez les enfants, pendant la grossesse ou l’allaitement, en cas de colopathies fonctionnelles inflammatoires et de maladies rectales. Des interactions médicamenteuses sont à prendre en compte, avec les hypokaliémiants, les diurétiques, les digitaliques, l’amphotéricine B, les corticoïdes, les diurétiques…
Quant aux laxatifs lubrifiants (huile de paraffine ou de vaseline (Lansoyl...) ils ramollissent le bol intestinal et lubrifient les parois. Ils peuvent entraîner une diminution de l’absorption des vitamines lipophiles A, D, E, K en cas d’administration chronique.
10 jours Le traitement par laxatifs stimulants ne doit pas excéder 10 jours
En traitement ponctuel de la constipation peuvent être utilisés les traitements locaux tels que les suppositoires à la glycérine, les lavements (Microlax, Normacol...) ou les suppositoires Eductyl.
Antidiarrhéiques
Les ralentisseurs du transit (lopéramide : Imodium lingual...), sont utilisés sur 2 à 3 jours maximum, à raison de 2 gélules de suite, puis une gélule après chaque selle non moulée. Ils sont réservés aux adultes de plus de 15 ans et contre-indiqués pendant la grossesse et l’allaitement.
Les antisécrétoires intestinaux (racécadotril) sont efficaces pour les diarrhées très liquides mais ne sont pas associés avec les IEC.
Les pansements digestifs, de type diosmectite (Smecta, SmectaLia), absorbant l’eau et rendant les selles plus dures sont administrés en dehors des repas et de toute prise médicamenteuse.
En cas de phases alternant diarrhée et constipation, les mucilages (Spagulax…) sont indiqués en première intention.
En complément
Les probiotiques sont des micro-organismes vivants, retrouvés dans les aliments fermentés comme les produits laitiers fermentés, la choucroute, le kéfir… , ils modulent le microbiote intestinal en limitant l’inflammation, renforçant les jonctions serrées de l’intestin et améliorant la qualité du mucus empêchant l’adhésion des pathogènes. Quant aux prébiotiques, aliments non digestibles comme les fructo-oligosaccharides et l’inuline, ils sont dégradés dans la partie terminale de l’intestin en participant au bon développement du microbiote intestinal. Leur dégradation produit des gaz, dont le butyrate, excellent substrat pour les bactéries du microbiote, et agissant de façon positive sur les jonctions serrées.
Une supplémentation en magnésium peut être utile (400 mg par jour), l’élément exerçant des effets sur la motricité intestinale, l’hyperexcitabilité neuromusculaire et viscérale.
Du côté de l’homéopathie, le complexe Gastrocynésine ou les souches Nux vomica, Antimonium crudum, Carbo vegetalis, Colocynthis peuvent être proposés, sans oublier la souche Gelsemium en cas de stress ou terrain anxieux.
Le conseil de la spécialiste
Pauline Corduan, jeune pharmacienne, vient de soutenir sa thèse, véritable revue sur l’état des connaissances de la dysbiose intestinale. Souffrant elle-même du syndrome de l’intestin irritable, elle explique le rôle du pharmacien pour optimiser la prise en charge des patients.
Le Quotidien du pharmacien. - Comment accueillir au comptoir les patients souffrant de SII ?
Pauline Corduan. - Il faut avoir en tête que ce syndrome est de plus en plus fréquent et touche environ 5 % de la population française, principalement les femmes. C’est une maladie chronique qui altère de façon conséquente la qualité de vie des patients. Il est donc important de faire un interrogatoire au comptoir sur les symptômes qui peuvent avoir plusieurs facettes : douleurs abdominales, ballonnements, flatulences ou encore diarrhée et/ou de la constipation. Ces manifestations de la maladie sont propres au patient ce qui signifie que le conseil du pharmacien sera spécifique à chaque patient dans cette pathologie.
Il faut aussi penser à questionner sur l’environnement et les habitudes de vie des patients car cette maladie est influencée par de multiples facteurs, donc l’alimentation, jouant un rôle crucial sur la composition du microbiote intestinal.
Quel est l’état des connaissances sur le rôle de la dysbiose intestinale dans le SII ?
Aujourd’hui, il y a de nombreuses études qui ont été faites sur le lien entre la symbiose intestinale et le SII. Le but était d’établir un profil de dysbiose chez ces patients. Malheureusement les données recueillies sont contradictoires. Les idées convergent vers un microbiote diminué en qualité et quantité, ce qui provoque une augmentation de la perméabilité de la muqueuse intestinale. C’est cette modification qui occasionne une réponse inflammatoire de bas grade affectant la motilité gastro-intestinale, le système nerveux entérique, le système nerveux central mais aussi l’hypersensibilité viscérale.
Existe-t-il des probiotiques « miracles » à conseiller ?
Non ! Il n’existe pas de probiotiques « miracles » car le microbiote intestinal est propre à chaque individu. Il est aujourd’hui compliqué de répondre à partir d’un produit à base de plusieurs souches bactériennes à cette maladie. Il faut donc essayer plusieurs probiotiques et trouver celui qui convient le mieux au patient, tout en lui précisant qu’il devra faire des cures de façon régulière. De plus, les probiotiques retrouvés en officine sont des compléments alimentaires. Il est donc important de rappeler qu’ils ne sont qu’une aide, associés à un régime alimentaire adéquat et une activité physique régulière.
Testez-vous
1. Le syndrome de l’intestin irritable est lié à :
a) Une inflammation de la partie haute du tube digestif ;
b) Une hypersensibilité et des anomalies motrices de l’intestin grêle et du côlon ;
c) Une perturbation du microbiote intestinal ;
d) L’irritation anale.
2. Les aliments à conseiller en cas de SII sont :
a) Les fruits de type pomme, mangue, cerises… ;
b) Les légumineuses comme le riz, quinoa, épeautre… ;
c) Les viandes maigres ;
d) Les boissons gazeuses.
3. En cas de SII-D chez un patient traité par IEC, le traitement repose sur :
a) Le paracétamol ;
b) Le racécadotril ;
c) La diosmectite ;
d) L’éviction des produits laitiers riches en lactose.
4. Quels sont les critères nécessitant une orientation médicale ?
a) Diarrhée abondante ;
b) Présence de sang dans les selles ;
c) Constipation et maux de ventre ;
d) Perte de poids.
Réponses : 1. b) et c) ; 2. b) et c) ; 3. c) et d) ; 4. a), b) et d).
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