Le marché des transactions au beau fixe, mais pour combien de temps ?

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Publié le 13/04/2023
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Profitant de la dynamique insufflée à l'activité officinale en temps de Covid, les prix de cession ont progressé en 2022, atteignant des valeurs jamais atteintes au cours des dix dernières années. Le marché est cependant plus sensible que jamais aux disparités et les inégalités ne cessent de se creuser en fonction de la taille et de la typologie des officines. Une tendance qui pourrait s'accentuer face aux nuages qui s'amoncellent sur l'économie officinale.

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Deux tendances se dégagent du marché des transactions en 2022. D'un côté, le marché semble se rétracter. En effet, passant à 1 490, contre 1 596 en 2021, le nombre d’opérations a reculé de 7 %. Ainsi le taux de 79 mutations pour 1 000 officines enregistré en 2021 est passé à 73/1 000 l'année dernière. Un bilan que Jérôme Capon, directeur du réseau Interfimo, explique par le manque de succès de la loi de finances autorisant temporairement l’amortissement du fond commercial lors d’une acquisition. Contre toute attente cette disposition n’a pas insufflé de dynamique au marché.

Résultat, les cessions de fonds ont opéré une chute de 13 %. Les cessions de titres, en revanche, gagnent du terrain et augmentent de 2 % pour constituer désormais 46 % des mutations. « Soit dix points de plus qu’il y a cinq ans et 24 points de plus qu’en 2012 », relève Jérôme Capon. Il note que cette évolution est caractéristique du mode d’exercice désormais prisé par les jeunes : des sociétés de tailles de plus en plus importantes offrant la possibilité d’une exploitation à plusieurs titulaires.

La dispersion s'accentue

Ce fléchissement des mutations ne doit cependant pas occulter une autre donnée du marché : la formidable dynamique que connaissent les prix des officines d’un chiffre d’affaires supérieur à 1,2 million d’euros. Ces pharmacies se sont cédées, en moyenne, à 87 % de leur chiffre d’affaires (hors Covid). Du jamais vu depuis 2012 ! Cette hausse est d’autant plus spectaculaire que le chiffre d’affaires moyen a grimpé de 11 % en 2022.

Déjà observé depuis de nombreuses années, l’effet taille est, plus que jamais, déterminant dans la valorisation des officines. Si les officines d’un chiffre d’affaires de 1,2 à 1,6 million d’euros se négocient à 78 % de leur volume d'activité, contre 76 % en 2021, celles enregistrant un chiffre de 2 à 2,4 millions d’euros ont vu leur prix fixé à un facteur de 89 % (86 % en 2021). Quant aux structures d’un chiffre d’affaires supérieur à 2,4 millions d’euros, elles sont désormais valorisées à 92 % de leur chiffre d’affaires. « La dispersion des prix continue d'augmenter avec 60 % des transactions comprises entre 74 % et 100 % du chiffre d'affaires, contre 72 % et 96 % en 2021. En 2016, la moyenne était de 80 % avec 60 % des transactions comprises entre 70 % et 90 %, soit un écart de 20 points, contre 26 aujourd'hui », analysent les experts d’Interfimo dans leur étude annuelle *.

 

Des coefficients à la hausse

Ces mêmes disparités se creusent entre les typologies d’officines. Car si toutes les catégories ont vu les prix se maintenir, sinon augmenter, toutes ne sont pas égales face aux facteurs de valorisation : le prix stagne à 85 % du chiffre d’affaires pour les pharmacies rurales, quand il augmente de 4 points, à 85 % du chiffre d’affaires, dans les centres-villes. Et même de cinq points dans les quartiers où les pharmacies se négocient désormais à 87 % de leur chiffre d’affaires. Mais le bond le plus spectaculaire est réalisé par les tarifs appliqués en centre commercial : une pharmacie y est estimée à 97 % de son chiffre d’affaires, contre 89 % encore en 2021. « Concernant les centres commerciaux, une partie des cessions de 2022 fait référence au chiffre d'affaires arrêté en 2021 qui avait été perturbé par la fermeture temporaire de certains centres. La référence basée sur le chiffre d'affaires peut donc être anormalement basse et amplifie mathématiquement le coefficient », précise Interfimo.
Cette course à la taille et à l’implantation se retrouve également dans la valorisation des fonds rapportée à l’EBE (excédent brut d’exploitation). Sur un EBE lui-même en hausse de 0,5 point en 2022, soit 13,7 % du chiffre d'affaires, le facteur de valorisation atteint désormais 6,7 fois l’EBE pour les officines de plus de 1,2 million d’euros de chiffre d’affaires (hors Covid). Il faut remonter avant 2014 pour retrouver un tel taux.

Hormis les officines d’un chiffre d’affaires supérieur à 2,4 millions d’euros, les prix de toutes les catégories progressent de 0,1, voire 0,2 point. « Plus la taille de l'officine est importante et plus sa valorisation est élevée. Les officines de plus de 2,4 millions de chiffre d'affaires sont valorisées en moyenne 7,1 fois leur EBE en 2022, en léger retrait par rapport à 2021, qui avait enregistré une forte hausse pour cette catégorie », rappelle Interfimo, ajoutant « ce sont également des officines qui bénéficient d'une évolution favorable de leur rentabilité ». Concernant les typologies, les pharmacies de centre-ville sont parmi les plus valorisées, à respectivement 6,9 fois leur EBE. Tout comme les pharmacies de centres commerciaux, très recherchées. Elles se font cependant rares sur le marché et bénéficient par conséquent d’un ratio à la hauteur de leur attractivité, soit 7,9 fois leur EBE.

2023 marquera-t-il le pas ?

Il y a fort à parier que les évolutions de l’exercice officinal creusent encore davantage ces disparités dans les années à venir. Le développement des services et des missions vont réclamer un positionnement tranché de la part des candidats à la reprise. Ils vont, en effet, devoir aborder leur investissement sous l’angle du développement des services et des missions, tout en s’assurant de l’efficacité opérationnelle de leur entreprise et in fine de leur rentabilité. Dans ce contexte, le profil et le « juste » prix de leur future officine seront décisifs. Pour primordiaux qu’ils soient, ces deux paramètres seront, par ailleurs, à mettre en perspectives dans un contexte économique propre à la pharmacie, marqué par une part de plus en plus prépondérante des produits chers.

Dans leur projet d'investissement, les repreneurs ne pourront, de plus, échapper aux facteurs exogènes que sont l’inflation, la hausse des coûts de personnels et la hausse des taux d’intérêt qui affecte de plus en plus la capacité d’endettement des acquéreurs. Ces différents paramètres ne manqueront pas de peser dans les mois à venir sur le marché des transactions. D’ailleurs, l’analyse d’Interfimo pointe déjà un ralentissement au quatrième trimestre 2022. La courbe de croissance des prix calculés sur le chiffre d’affaires s’est ainsi inversée à partir de cette période. Alors que le marché enregistrait environ 3 points en plus dans la valorisation des fonds (entre 86 et 88 % du chiffre d’affaires, contre 82 à 85 % en 2021), ce taux moyen a régressé à 85 % du chiffre d’affaires en fin d’année, contre 87 % un an auparavant. Épiphénomène ou tendance de fond, cet infléchissement sera à surveiller de près sur les prix de cession en 2023.

* Étude 2023. Prix de cessions des pharmacies 2022. https://bit.ly/3ZX3SDN

Marie Bonte

Source : Le Quotidien du Pharmacien