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La dispensation adaptée est-elle un pari risqué ?

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Publié le 12/06/2020
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En entrant dans le champ conventionnel, la dispensation adaptée se voit désormais formalisée comme une intervention pharmaceutique reconnaissant à la fois le rôle et les compétences du pharmacien. Le succès de ce dispositif, qui se distingue des autres modèles étrangers par son mode de rémunération, dépendra de l’adhésion de la profession.
La dispensation adaptée à la française ne cache pas ses intentions sous-tendues par l'économie

La dispensation adaptée à la française ne cache pas ses intentions sous-tendues par l'économie
Crédit photo : ADAM GAULT/SPL/PHANIE

Ni plus, ni moins. Ainsi pourrait-on définir cette délivrance ajustée au plus près des besoins du malade. À partir du 1er juillet, la dispensation adaptée s’inscrira, sous forme d’intervention pharmaceutique, dans le champ conventionnel. La plupart des pharmaciens la pratique déjà au quotidien, considérant cet acte conforme à leur éthique de professionnel de santé. Ceux qui n’en avaient pas encore acquis le réflexe, seront incités à le faire puisqu’à partir du 1er juillet une rémunération est prévue pour tout ajustement du nombre de boîtes délivrées aux besoins réels du patient.

Cet acte, inscrit à l’avenant 20 de la convention pharmaceutique signé le 12 février pour une durée de deux ans, est novateur et inédit à plusieurs égards. La France fait en effet figure d’exception en choisissant de rémunérer le pharmacien en fonction des volumes d’économies réalisés in fine sur le nombre de boîtes dans 22 classes thérapeutiques définies. Dans les autres pays, cet acte est déconnecté du volume effectivement délivré. Ainsi, au Québec -sous le terme d’opinion pharmaceutique-, aux Pays-Bas ou en Allemagne, la dispensation adaptée s’inscrit davantage dans la volonté d’ajuster la dose, la posologie et la durée du traitement. Une approche qui pourrait être finalement davantage assimilée au bilan de médication à la française.

L'option économique

En France, comme outre-Rhin ou outre-Atlantique, la formalisation de la dispensation adaptée a cependant le mérite de rendre visible la compétence du pharmacien. À condition toutefois que cette démarche soit bien expliquée au patient afin d’en éviter une perception négative. En effet, « le patient pourrait mal interpréter le fait que le pharmacien soit rémunéré pour ne pas lui remettre un produit. Les associations de consommateurs pourraient même s’emparer du sujet ! », note un observateur du marché qui fait référence aux efforts pédagogiques fournis pour les génériques.

Selon lui, le pharmacien doit s’attendre aux réflexions du patient qui ne manquera pas d’interroger : « si vous me réduisez mes boîtes de Doliprane, devrais-je les payer le jour venu quand j’en aurai à nouveau besoin ? » En tout état de cause, il faudra veiller à ce que le concept de « non-dispensation » lié à une notion d’anti-gaspillage ne soit pas assimilé par la population à une restriction de soins.

Car la dispensation adaptée à la française ouvre une brèche. Jusqu’à présent, dans les pays qui la pratiquent, la notion de lutte contre la surconsommation de médicament est axée sur une sécurisation du traitement. Le modèle français, en revanche, ne cache pas ses intentions. Et l’assurance-maladie revendique même cette option « économique ». Dans un webinaire organisé par l’USPO le 31 mai, Nicolas Revel, directeur général de l’assurance-maladie, expliquait « qu’il faut assumer d’aller chercher des économies non pas sur des logiques comptables mais sur des notions de pertinence et de justes soins ». Et d’argumenter : « je crois beaucoup à ce type d’accord. On essaie de réconcilier un rationnel médical, une reconnaissance de ce qu’est le rôle du professionnel de santé au comptoir, et d'en tirer des sources d’économies intelligentes pour l’assurance-maladie. » Pour rappel, une enveloppe équivalant à 45 % des économies réalisées par l’assurance-maladie sera dédiée au réseau officinal. La valeur nationale d'une intervention pharmaceutique (IP) sera calculée en divisant cette somme par le nombre d’ IP effectuées dans l’année, sachant que la valeur unitaire ne pourra être supérieure à 3,60 euros HT.

L'inconnue Covid

Sous cet aspect, le mode de rémunération du pharmacien – basé sur le partage des économies réalisées par l’assurance-maladie- revêt, lui aussi, un caractère inédit. Le seul pays ayant adopté cette approche est la Suisse avec son modèle génériques qui prévoit de reverser aux pharmaciens 40 % des économies réalisées lors de la première dispensation. Et pour pousser plus loin la comparaison avec le concept de « prime à la performance », seule l’Irlande du Nord a institué une rémunération indexée aux économies réalisées… sur les fraudes à l’ordonnance identifiées par les pharmaciens !

La perspective d’une rémunération supérieure au « manque à gagner », généré par la non-dispensation, conditionnera sans conteste le succès du dispositif en France. Il faudra pour cela surmonter toutes les incertitudes pesant sur les volumes non-dispensés. Ce paramètre suppose que la profession soit capable de se mobiliser pour atteindre une masse critique susceptible de dégager des économies suffisamment conséquentes. Dans le cas contraire, les pharmaciens risquent gros. Ce que ne manque pas de relever Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), qui qualifie cet avenant « d’avenant d’avant-guerre, qui restreint les finances de l’officine ».

Par ailleurs, tout dépendra de la fluidité de la codification de l’acte pour convaincre les pharmaciens qui pratiquent déjà la dispensation adaptée de l’enregistrer et pour inciter les autres à se rallier au dispositif. Le facteur temps comptera ainsi autant que la rémunération espérée au rang des arguments décisifs. La dispensation adaptée est par conséquent non seulement un pari sur l’avenir, mais aussi un pari sur la profession tout entière.

Une troisième inconnue s'est imposée à l'occasion de la crise sanitaire. Quel sera l'impact du Covid sur le volume de médicaments dispensés ou non dispensés en 2020 ? Nicolas Revel a reconnu que les statistiques risquaient d'être « chahutées ». Parmi ces mesures qui risquent de brouiller les cartes : la délivrance sans ordonnance de paracétamol * soumise à restriction depuis le 18 mars !

*Le paracétamol figure à la liste des 22 classes thérapeutiques prévues à l'avenant 20.

Marie Bonte

Source : Le Quotidien du Pharmacien