Huit ans de conflits autour d’un transfert

Le chemin de croix d’Elisabeth Barichard

Publié le 24/02/2014
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Les transferts d’officine en centre commercial créent régulièrement des tensions entre officinaux. À Saint-Cyr-sur-Loire, celui d’une pharmacienne s’est transformé en véritable feuilleton politico-judiciaire.

EN DEMANDANT son transfert dans un centre commercial en 2005, Élisabeth Barichard n’imaginait pas le cauchemar qui l’attendait. Attaquée en justice par des confrères des alentours, elle se voit plusieurs fois privée de licence et interdite de vendre des médicaments. Huit ans de lutte et de procédures judiciaires, quatre licences, deux comités de soutien et une grève de la faim plus tard, Élisabeth Barichard obtient finalement, la semaine dernière, l’autorisation de vendre à nouveau des médicaments dans son officine.

L’histoire commence en 2005. Élisabeth Barichard, installée à Saint-Cyr-sur-Loire depuis 1984, songe à un transfert. D’autant que son officine est menacée à terme de démolition. La mairie rachète en effet les locaux de l’avenue afin de mener à bien son projet de réaménagement. Deux kilomètres plus loin, le centre commercial Auchan souhaite ouvrir une officine dans sa galerie. Il sollicite plusieurs pharmaciens de la ville, dont Élisabeth Barichard. Elle obtient en 2005 l’autorisation du préfet pour le transfert. Mais l’Ordre des pharmaciens s’y oppose et le tribunal administratif d’Orléans annule cette décision en 2007. C’est le début d’un long feuilleton judiciaire, qui s’étale sur huit années (voir encadré).

Lors de son dernier retrait de licence, en juin 2013, une association de patients est créée pour la soutenir (voir ci-dessous). Face à l’échec de ses recours, Élisabeth Barichard, à bout, entame une grève de la faim. Elle cesse de l’alimenter pendant 44 jours et perd près de 11 kg. Elle est reconnaissante envers les patients, qui ont porté son dossier jusqu’aux bureaux du ministère de la Santé. « Ils m’ont défendu bec et ongles auprès des autorités. Pendant ma grève de la faim, le président de l’association venait me voir chaque jour. Cela m’a permis de tenir. C’est très dur, car les fermetures vous affaiblissent à chaque fois et on a sans cesse une épée de Damoclès au-dessus de la tête », confie-t-elle avec émotion, en souhaitant une prise de consciences des autorités : « si on autorise un transfert, il faut l’autoriser une bonne fois pour toutes. »

Perte de chiffre d’affaires.

Un collectif de 7 pharmaciens (5 officines) conteste en effet devant les tribunaux le bien-fondé de son transfert. Michel Bignand, titulaire à la Membrolle-sur-Choisille et porte-parole du collectif, dénonce un « transfert spéculatif ». « Mme Barichard est sûre de pouvoir compter sur la population de passage, qui vient faire ses courses au centre commercial, et de siphonner la clientèle de ses confrères », s’agace-t-il. Le nœud du conflit réside dans la population prise en compte pour autoriser le transfert, qui est jugée insuffisante. Du côté d’Élisabeth Barichard, un projet de construction de 700 logements, qui devrait permettre l’installation de 1 500 habitants, est évoqué. Mais ses détracteurs rétorquent que ce quartier « n’est pas encore sorti de terre et n’est sans doute pas près de voir le jour ». Ils estiment pour leur part que la zone d’installation d’Élisabeth Barichard est déjà desservie par d’autres pharmacies et empiète sur leur clientèle. « Depuis 2007, j’ai remarqué une inversion de la courbe de notre chiffre d’affaires, signale Michel Bignand. Nous avons perdu 30 % de notre CA et dû licencier une assistante. Lorsque Mme Barichard a perdu sa licence la dernière fois, nous avons retrouvé 27 % de notre CA dès le mois de septembre 2013 et entre +26 et +30 % les mois suivants. La corrélation est directe », affirme-t-il. Il relève également le cas d’une officine proche du centre commercial, actuellement en redressement judiciaire, en pointant la responsabilité de la pharmacie Barichard. Il reproche aussi à Mme Barichard de s’être toujours posée en victime, « alors que les victimes sont les confrères de la profession ». Pour lui, « ce n’est pas la peine de voter des lois si c’est pour ne pas les suivre et que le "fait du prince" l’emporte ».

Éteindre l’incendie.

Malgré les dernières décisions du ministère de la Santé favorables à Élisabeth Barichard, l’affaire n’est pas terminée. La pharmacienne attend encore la décision de la cour d’appel de Nantes concernant sa troisième licence. Et les officinaux qui s’opposent à son transfert, affirment « attendre la publication de l’arrêté ministériel » avant de décider d’une éventuelle poursuite des recours. Élisabeth Barichard, quant à elle, espère que les décisions qui vont suivre lui seront favorables. « Cela a pourri ma vie personnelle pendant huit ans », confie-t-elle. De son côté, la présidente du conseil régional de l’Ordre du Centre, Marcelline Grillon, estime qu’il faut « éteindre l’incendie ». « Malgré notre avis défavorable, nous avons pris acte de la décision des pouvoirs publics et réinscrit notre consœur. Cette histoire a attisé beaucoup de ressentiments, mais il est temps d’apaiser les choses et de revenir à une certaine sérénité », juge-t-elle. Elle appelle ses confrères à « retrouver le chemin de leur officine et de leurs patients ».

ANNE-GAËLLE MOULUN

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3071