Une jeune toxicomane entre dans l’officine et se fait une injection pendant que son dealer la filme. Stupéfiante provocation. Une façon de dire « le quartier est à nous ». Ce quartier est celui de la Cathédrale Saint-Michel à Bordeaux. La scène se déroule dans l’officine de Sabine Immer, que nous avions rencontrée en 2016 et qui nous exposait déjà les difficultés de son exercice face aux dealers*.
Installée en 2010, cette jeune consœur aime ce quartier populaire, mais une fois sa pharmacie rénovée et la place réhabilitée par la mairie, les trafics explosent. Drogues dures, pickpockets, vols à la tire, agressions, attitude provocatrice des dealers qui squattent la rue et « exercent » à la vue de tous…
Sabine Immer s’investit dans l’association des commerçants qui multiplient les appels à l’aide vers la mairie ou la préfecture. Mais cinq ans plus tard, rien n’a bougé. Et elle s’apprête à jeter l’éponge.
Sentiment d'abandon
Des années à se heurter à des murs : « Quand on râle auprès de la mairie, on nous renvoie vers la police nationale ; si l’on s’adresse à la police, on nous dit que le problème est de la compétence de la mairie. Nous ne sommes pas considérés, mais baladés, pris pour des couillons… explique-t-elle. Les rares personnes qui nous ont écoutés, ont été mutées. »
Sa pharmacie est cambriolée 2 à 3 fois par an. Sa demande d’installer des grilles a mis des années pour aboutir, se heurtant au refus des Bâtiments de France et du service urbanisme. Quant aux caméras de surveillance de la rue, « il n’a jamais été possible d’accéder aux images, tellement la procédure est compliquée, indique-t-elle. La dernière fois, on nous a avoué qu’elles étaient en panne. »
Peu à peu, le sentiment d’abandon, la lassitude ont gagné Sabine Immer : « Je me sens moins courageuse. Au fil des années, on s’épuise, on apprend à ne pas prendre certaines rues à certaines heures, à baisser le regard… On s’habitue à être narguée par les dealers en rang d’oignon dans la rue. »
Pourtant le quartier Saint-Michel n’est pas une lointaine banlieue oubliée de la République, mais un quartier central de Bordeaux où la police elle-même peut se faire humilier : en 2019, la vidéo du caillassage et la fuite d’une voiture de police avaient tourné en boucle sur les réseaux sociaux…
« Les dealers ont gagné »
« Depuis toutes ces années où rien n’est fait malgré nos appels, j’en viens à me demander si des gens des administrations n’ont pas des intérêts dans ces trafics… Je ne vois pas d’autre explication », suggère Franck Vielle, l’associé de Sabine Immer, qui a décidé de quitter le quartier : « C’est un peu reconnaître que les dealers ont gagné, regrette-t-elle… Mais je cherche une officine en milieu semi-rural. Là où les patients prennent le temps d’être servis… » Et même si la nouvelle équipe municipale semble plus à l’écoute, multipliant les interventions de police, réussissant récemment à démanteler un trafic de Lyrica… sa décision est prise.
Franck Vielle va poursuivre seul. Lui qui a débuté à Mantes la Jolie, reconnaît que ce type de quotidien est très dur pour une femme à cause de « la misogynie terrible des dealers. Le pire, poursuit ce pharmacien de 57 ans, c’est que tous ces trafics se passent devant des enfants. Un jour, un petit garçon de 9 ans m’a même montré où les dealers cachent leur drogue… J’adore mon boulot. J’adore ce quartier ; ma mère y est née. Mais j’aimerais y exercer de façon plus sereine. Sans avoir une batte de base-ball dans mon bureau. »
* « Une pharmacienne face aux dealers » in « Quotidien du pharmacien » du 12 déc. 2016.
A la Une
Gel des prix sur le paracétamol pendant 2 ans : pourquoi, pour qui ?
Salon des maires
Trois axes d’action pour lutter contre les violences à l’officine
Médication familiale
Baisses des prescriptions : le conseil du pharmacien prend le relais
Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens
Retraite des pharmaciens : des réformes douloureuses mais nécessaires