En mars dernier, le naturopathe controversé Thierry Casasnovas, prônant le crudivorisme et le jeûne pour soigner les maladies dont les cancers, était mis en examen et placé en garde à vue. Le youtubeur aux plus de 80 millions de vues faisait l'objet d'une information judiciaire, notamment pour exercice illégal de la médecine et de la pharmacie. Sans doute cet exemple extrême d'un usage à risque des réseaux sociaux sur la santé - sur fond d'emprise sectaire - a-t-il contribué à enclencher la machine à légiférer. Quoi qu’il en soit, l'ensemble des parlementaires, tous bords confondus, sont depuis tombés d’accord sur le besoin d’encadrement de l’activité d’influenceur et la nécessité d’une meilleure protection des usagers face à des promotions parfois cachées, souvent illégales et surtout dangereuses en termes de santé publique. Si aucune législation spécifique au sujet du marketing d’influence n’avait jusqu’alors été instaurée, celui-ci était néanmoins déjà soumis aux textes existants, notamment le code de la santé publique, le code du commerce ou encore le code de la consommation.
Comme l’explicite un rapport du Sénat du 3 mai dernier sur cette proposition de loi contre les dérives des influenceurs, le but premier des parlementaires était de « confirmer que les règles existantes en matière de publicité et de promotion s’appliquent au marketing d’influence » et donc, par cette loi, de faire « un effort de pédagogie et d’accompagnement à l’égard des acteurs du secteur ». Car rappelle-t-il, « contrairement aux idées reçues, les influenceurs doivent déjà respecter les règles existantes en matière d'encadrement de la publicité et de la promotion de biens et services », notamment en termes d’interdictions (médicaments sur ordonnance, dispositifs médicaux remboursés, tabac, etc.) ou d’encadrements existants (jeux d'argent et de hasard, boissons alcooliques, formations, etc.).
Contrôles renforcés
Rien de nouveau donc ? Pas tout à fait. En effet, le vent tourne pour ceux que l’on appelle désormais les « influvoleurs », influenceurs sans état d’âme qui trompent leur audience en faisant de la publicité dissimulée ou en promouvant des produits interdits et dangereux. Preuve en est, depuis le 31 mai, plusieurs influenceurs ont été contraints par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) de publier un message sur leurs réseaux sociaux pendant 30 jours pour pratiques commerciales trompeuses. C'est notamment le cas de Capucine Anav, Simon Castaldi, Illan Castronovo et Léa Monchicourt. Mais ils ne seraient que la partie émergée de l’iceberg. La DGCCRF a en effet annoncé le renforcement de ses actions de contrôle. Sur les 50 influenceurs contrôlés au premier trimestre 2023, 30 ont fait l’objet de constats d’infraction qui ont conduit à 18 injonctions de cesser des pratiques illicites et à 16 procès-verbaux pénaux.
Des contrôles qui seront d’autant plus renforcés que le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a annoncé en mars dernier la mise en place d’une brigade d’influence commerciale d’ici au mois de septembre, en même temps qu’il présentait le « Guide de bonne conduite des influenceurs et créateurs de contenus » à l’adresse des 150 000 Français qui exercent cette activité, à titre principal ou secondaire. Une bonne nouvelle pour Jean-Jacques Zambrowski, économiste de la santé et président de la Société française de santé digitale, qui déplorait un manque de contrôle des influenceurs, « qui gagnent beaucoup d’argent et racontent beaucoup de bêtises ». Sans se prononcer sur le contenu de la nouvelle loi, il estime qu’il était essentiel de s’emparer du sujet, de façon que les influenceurs « ne se sentent pas en situation d’impunité garantie ».
Un rapport accablant
La loi qui vient d’être adoptée vise justement à « retisser un lien de confiance entre la société et les influenceurs après tant d'années de dérives », explique le député PS Arthur Delaporte, à l’origine de la proposition de loi à laquelle s’est joint rapidement le député Renaissance Stéphane Vojetta. Car le secteur est malmené ces derniers mois. En raison notamment du rapport accablant de la DGCCRF de janvier dernier qui conclut que 60 % des influenceurs ne respectent pas la réglementation sur la publicité et les droits des consommateurs. Mais aussi du fait de la multiplication des actions collectives pour escroquerie et des offensives sur les réseaux sociaux du rappeur Booba à l’encontre de la papesse des influenceurs, Magali Berdah.
Concrètement, le premier apport de cette loi est de « mettre fin à la loi de la jungle », annonce la sénatrice Amel Gacquerre (Union centriste) en définissant ce que sont les influenceurs, à savoir « des personnes physiques ou morales qui, à titre onéreux, mobilisent leur notoriété auprès de leur audience pour communiquer au public par voie électronique des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque ». Le texte confirme également l’obligation d’apposer la mention « publicité » durant toute la durée d’une séquence de promotion, et cela dès que l’influenceur est rémunéré ou s’il reçoit gratuitement un produit ou un service dont il fait la promotion, et de signaler toute image qui a été retouchée. Et lorsque les messages diffusés par voie électronique touchent à la santé publique, le texte va même plus loin en interdisant spécifiquement la promotion de la chirurgie esthétique, de l’abstention thérapeutique et « des produits considérés comme produits de nicotine pouvant être consommés et composés, même partiellement, de nicotine ». Si cette dernière formulation manque un peu de clarté, la volonté des parlementaires est de marteler la prohibition de toute publicité en faveur du tabac, des produits de vapotage et de tout dérivé de type sachets de nicotine (appelés nicotine pouches) qui envahissent le marché depuis le début de l’année.
Protéger le consommateur
« C’est la première fois que les parlementaires que nous sommes légifèrent sur le sujet de l’influence commercial et c’est la première fois qu’un pays de l’Union européenne s’apprête à adopter une loi dédiée à ce sujet », s’est réjoui Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques du Sénat. Une adoption immédiatement saluée par Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des Petites et moyennes entreprises, du Commerce, de l'Artisanat et du Tourisme, qui a d’emblée proposé que « le guide de bonne conduite présentée fin mars soit rapidement mis à jour avec les apports de ce texte pour que les influenceurs puissent trouver toutes les informations au sein d’un seul et même guide ».
Pour Stéphane Vojetta, cette loi va permettre de répondre à trois fléaux identifiés lors des auditions : le manque de transparence du secteur, le contournement des règles qui s’appliquent à la publicité, l’absence de responsabilisation des acteurs. « Les utilisateurs des réseaux sociaux sont trop souvent victimes de publications commerciales problématiques. Notre boussole c’est de protéger le consommateur, nos quatre points cardinaux visent à clarifier, encadrer, responsabiliser et éduquer. » Est-ce la promesse de ne plus voir Elon Musk faire la promotion de Wegovy, médicament indiqué dans l’obésité, pour rester affûté ? Ou d’autres, moins connus, de recommander l’antidiabétique Ozempic au risque de provoquer des pénuries ? Ou encore de s’entendre conseiller des compléments alimentaires qui « tuent les cellules cancérigeuses » par la « star » de la téléréalité Dylan Thiry ? C’est en tout cas le but recherché puisque même les influenceurs basés hors de l'Union européenne sont ciblés.
Selon les sénateurs, « parmi les influenceurs les plus médiatisés, nombreux sont ceux qui vivent en dehors de l'Union européenne, par exemple aux Émirats arabes unis ou aux États-Unis, principalement pour des raisons fiscales. Or leur notoriété s'est souvent construite auprès du public français ». C'est pourquoi le texte de loi prévoit de leur imposer de souscrire une assurance civile et de désigner un représentant légal dans l’Union européenne. « Les influenceurs continueront d’exister mais dans un cadre de confiance, affirme Arthur Delaporte. Les influvoleurs existeront peut-être toujours mais la loi sera là pour les punir. La loi de la jungle, c’est fini. »
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