Médicament, par conséquent vendu exclusivement en pharmacie, l’homéopathie garde toute sa place à l’officine. Son déremboursement depuis le 1er janvier ne remet nullement en cause sa présence dans les rayons. La fin de l’exception française qu’était sa prise en charge par l’assurance maladie obligatoire ne jette pas davantage l’opprobre sur les pharmaciens pour qui elle est un complément à l’arsenal thérapeutique classique. En revanche, le déremboursement rebat les cartes de la communication au comptoir, de la politique des prix, désormais libres, et de la gestion des achats.
Concernant cette dernière, il est pour l’heure difficile de prédire les effets du déremboursement sur la demande en homéopathie, et par conséquent sur les volumes. Cependant, sur les 11 premiers mois de 2020, GERS Data observe une chute de 22 % (en valeur) de la prescription des spécialités homéopathiques remboursables « en comparaison avec la même période de l'année précédente ». Sachant, poursuit GERS Data, « que le poids des prescriptions des spécialités homéopathiques était déjà en baisse de 7 % sur l'ensemble de l'année 2019 par rapport à 2018 ». Cette érosion du marché va-t-elle se poursuivre ? Une chose est certaine, aucun effet de surstockage n’a été remarqué en prévision du déremboursement. « Les patients qui avaient une ordonnance sont venus récupérer leurs traitements normalement, il n'y a pas eu de rush lors des derniers jours de 2020 », confirme Jean-Luc Leroy, titulaire de la pharmacie homéopathique de Messine, dans le 8e arrondissement de Paris.
Si sursaut il y a, il faut davantage le mettre sur le compte de l’épidémie, comme le remarque ce confrère, notant depuis mars dernier un engouement encore plus fort des patients pour la médecine naturelle et l'homéopathie, notamment pour des produits tels que l'echinacea ou encore l'huile de pépins de pamplemousse. « Dès qu'on a commencé à parler du Covid, de nombreux patients se sont tournés vers elles, non pas pour soigner la maladie bien sûr, mais pour renforcer leurs défenses immunitaires. Beaucoup de pharmaciens que je connais ont observé cette même tendance », souligne-t-il, poursuivant « de nombreux patients font malgré tout état de leur incompréhension par rapport au déremboursement. Mais ce qu'ils redoutent surtout c'est que l'homéopathie soit de plus en plus violemment dénigrée. C'est l'ambiance générale autour de la discipline qui est surtout problématique ».
Quel impact sur les prix ?
Raison de plus, pour ces pharmaciens, de ne pas déstabiliser davantage leur clientèle, notamment par une hausse des prix. Car, éléments corrélatifs au déremboursement, l’honoraire de dispensation a disparu et la TVA est passée de 2,5 % à 10 %, rendant nécessaire une révision des tarifs publics. Une hausse de 20 à 25 % est par conséquent attendue sur les prix de vente dans les pharmacies pratiquant l’homéopathie afin de préserver leur marge. Un réajustement inévitable puisque, comme l'a dénoncé la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), le déremboursement risque d’engendrer une perte de marge d’environ 95 millions d'euros sur l’ensemble du réseau officinal, auxquels il faut ajouter 6 millions de pertes d’honoraires à la boîte (1).
Aussi, dans ce contexte, pour garantir la rentabilité de cette activité, le prix de vente TTC d’un tube granules (4 g) devrait passer de 2,35 euros (prix d’achat HT 1,21 euro) à 2,95 euros en moyenne. Les Laboratoires Boiron, qui conseillent ce prix de vente, garantissent au pharmacien un prix d’achat HT à 2,68 euros (sans remise). La dose (1 g) dont le prix n’excédait pas 1,06 euro à l’achat pour un prix de vente TTC à 2,18 euros, passe désormais à 2,50 euros prix pharmacien HT (sans remise) pour un prix de vente TTC conseillé par les Laboratoires Boiron à 2,75 euros.
Éric Myon, comme ses confrères spécialisés en homéopathie, a à cœur de stabiliser les prix. « Il s’agit de garantir l’accès aux spécialités homéopathiques à tous les patients, y compris ceux qui sont entrés en contact avec cette méthode écologique, naturelle, sans risque et efficace, "par hasard" lors d’une consultation avec un médecin homéopathe, et qui n’auront pas les moyens financiers de poursuivre leur traitement s’il n’est plus remboursé », expose-t-il sans céder au débat idéologique.
Préserver la prescription
De plus, Éric Myon redoute que le déremboursement de l’homéopathie mette dans l’embarras nombre de professionnels de santé : pharmaciens au comptoir, chirurgiens-dentistes et surtout sages-femmes qui prescrivent ces spécialités aux femmes enceintes et aux nourrissons. Un constat partagé par Jean-Luc Leroy, « il est fondamental que l'homéopathie puisse continuer à être conseillée par des professionnels diplômés ». « Si l'homéopathie n'est plus enseignée, sachant qu'elle l'est déjà de moins en moins au cours des études de médecine, et si par conséquent nous n'avons plus de médecins formés et diplômés en homéopathie, on risque de voir cette spécialité laissée entre les mains de thérapeutes, voire de charlatans, qui auront suivi des formations privées uniquement centrées sur l'homéopathie, avec tous les dangers que cela comporte », craint-il.
Éric Myon refuse de voir l’homéopathie disparaître en tant qu’approche « thérapeutique holistique, soins de support en oncologie, ou surtout outil de conseils qui permet d’accompagner les patients, 76 % des patients français déclarant utiliser l’homéopathie et en être satisfaits ». Il fonde ses espoirs dans la téléconsultation qui pourrait donner aux médecins homéopathes âgés l’opportunité de continuer à pratiquer.
Les complémentaires à la rescousse
Les pharmaciens homéopathes ne sont pas les seuls à poursuivre leur croisade. Le courtier-grossiste en assurances, Alptis (2), positionné dès sa création en 1976 sur la prise en charge des médecines alternatives, ne se contente pas de continuer à rembourser au premier euro les spécialités homéopathiques, à concurrence de 50 % du coût total. Il tient à remettre en place un tiers payant qui épargnerait une avance de frais à ses assurés. « Nous travaillons actuellement avec les organismes gestionnaires de tiers payant pour mettre en œuvre cette solution le plus rapidement possible », annonce Marie Soyer-Content, directrice générale d’Alptis. Convaincue que la prise en charge de l’homéopathie constitue un avantage concurrentiel indéniable, elle espère que d’autres assureurs santé se joindront à Alptis afin de mutualiser ce nouveau moyen de prise en charge de l’homéopathie conseil au comptoir.
(1) Soit 4 655 euros par officine sur une marge brute annuelle moyenne de 500 000 euros.
(2) 450 000 personnes protégées (assurés et ayant droits).
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