COMME le rappelle le CESPHARM, « l’éducation à la santé est une obligation déontologique pour le pharmacien, comme le précise l’article R. 4 235-2 du Code de la santé publique : le pharmacien doit contribuer à l’information et à l’éducation du public en matière sanitaire et sociale ». Il semble aujourd’hui évident que le patient a un rôle primordial dans le suivi de son traitement et que cela passe par la compréhension de sa maladie et les mécanismes de ses médicaments. L’éducation thérapeutique des patients, consacrée comme mission des pharmaciens par la loi HPST en 2009, prend donc toute sa place à l’officine. Tout pharmacien qui se lance dans l’aventure doit, au préalable, suivre une formation d’au moins 40 heures d’enseignements théorique et pratique, ou justifier d’une expérience d’au moins deux années dans ce domaine. Les projets d’ETP sont particulièrement balisés. Ils doivent réunir au moins deux professionnels de santé, dont un médecin, et être validés par l’agence régionale de santé (ARS) dont ils dépendent, qui fera une évaluation, chaque année, du programme mis en place.
L’IFMO-Qualipharm propose actuellement l’une des seules formations à l’ETP entièrement tournée vers le pharmacien et ce depuis quatre ans. Installé en Alsace, le groupement organise de nombreuses sessions dans la région, mais aussi dans d’autres secteurs, y compris hors métropole. « Nous avons formé 28 pharmaciens en Guadeloupe fin 2012 et nous allons démarrer des sessions à La Réunion à l’automne », indique Jean-Luc Bury, président du groupement. « Il s’agit d’une formation validante, qui bénéficie d’une prise en charge FIF-PL et OPCA-PL. Elle met les pharmaciens en relation avec d’autres soignants et leur apprend une autre manière d’aborder et de parler à un malade. Nos sessions de mai permettent de valider l’obligation de DPC et nous allons faire la demande pour que cela soit toujours le cas au 2e semestre 2013. » Ouverte à tous les pharmaciens d’officine, la formation accueille beaucoup de titulaires. « Il nous arrive de voir le titulaire, puis son adjoint, ou le contraire. C’est important d’impliquer l’ensemble de son équipe dans le projet d’ETP. »
Fédérer l’équipe.
Xavier Schneider, installé à Truchtersheim (Bas-Rhin), a suivi la formation ETP fin 2012. Il en a apprécié les échanges entre confrères sur l’aspect professionnel des projets qui allaient se mettre en place ou qui avaient déjà vu le jour dans leurs officines. « J’avais déjà suivi des modules d’ETP lors du lancement de la plate-forme ETP en Alsace. Ce type de formation permet aussi de bénéficier d’une remise à niveau global d’un point de vue scientifique sur les différentes pathologies abordées. » Engagé dans les nouvelles missions, il souhaite que ses quatre collaborateurs suivent aussi cette formation, ce qui sera chose faite pour deux d’entre eux d’ici à 15 jours. « L’objectif est que tous les pharmaciens de l’équipe soient formés dans l’année. À mes yeux, c’est important pour la mise en place des entretiens thérapeutiques, que ce soit sur les anticoagulants ou l’asthme. La formation va bien au-delà, mais qui peut le plus peut le moins. » Xavier Schneider a déjà pris contact avec un réseau de son secteur pour mettre rapidement en place l’ETP dans son officine par la suite, et il espère aboutir à un projet en coordination avec un médecin généraliste et une infirmière libérale. « Nous faisons en sorte de nous libérer un maximum de temps à passer avec les patients. C’était mon but en installant un automate de délivrance, qui est désormais rôdé. Les patients sont encore surpris quand on leur propose un accompagnement, un rendez-vous dans un espace de confidentialité. Mais le premier travail à faire est de fédérer toute l’équipe autour du projet d’ETP, y compris les préparateurs qui, s’ils ne mènent pas les entretiens, doivent adhérer au projet pour effectuer un recrutement actif des patients que nous pouvons aider. Déjà formée par le groupement IFMO sur les AVK, l’équipe attend fébrilement le top départ de la CPAM sur les entretiens avant de s’attaquer à l’ETP du diabète, des maladies cardio-vasculaires et de l’obésité. »
Débuts timides.
Sabine Zenglein est co-titulaire, avec Marie-Christine Delvot, à Boulay-Moselle (Moselle). En 2005, elles ont monté leur projet d’entreprise et ont instauré un plan d’actions annuel à réaliser avec leurs collaborateurs. « Chacun fait le point sur ses missions, analyse les résultats qu’il a obtenus et est force de proposition pour les actions de l’année suivante. Toute l’équipe nourrit le projet de ses compétences, de ses envies et suit les formations qui correspondent à nos aspirations. Les demandes de formation émanent ainsi autant de nos collaborateurs que de nous », explique la jeune femme. L’équipe s’est formée aux entretiens des patients sous AVK et espère pouvoir bientôt commencer. En attendant, la pharmacie propose déjà de nombreux rendez-vous santé, notamment sur le souffle, le diabète, les traitements antidouleurs, l’ostéoporose, le sommeil… sans oublier le dépistage cardio-vasculaire mis en place par le Collectif national des groupements de pharmaciens d’officine (CNGPO). « Avec ce que nous avons déjà mis en place, nous avons de bons retours des patients, qui apprécient d’avoir été entendus et d’être repartis avec des solutions sans avoir été jugés. Le plus difficile pour nous est de toucher les personnes âgées, que nous voyons peu à l’officine car c’est souvent une tierce personne qui vient chercher les traitements. La seconde difficulté est d’arriver à maintenir les rendez-vous pris », ajoute la co-titulaire. Mais à force de proposer ce type de services, l’officine commence à être reconnue pour ces rendez-vous santé et son écoute, ce qui génère un nouveau flux de patients. Actuellement, Marie-Christine Delvot et une adjointe ont suivi la formation d’ETP, Sabine Zenglein s’apprête à le faire.
Michèle Rommert, titulaire à Bouxwiller, dans le Bas-Rhin, n’a pas suivi la formation ETP, au contraire de deux de ses collaboratrices. Si l’enseignement est très intéressant et l’amélioration du suivi patient est nette, le passage par la phase projet semble plus problématique. « Nous avons eu des débuts timides en mettant en place un rendez-vous thérapeutique autour du pied du diabétique, avec un petit protocole adapté à notre officine. On attend encore le protocole de l’assurance-maladie pour mettre en place les entretiens pour les patients sous anticoagulants, mais nous n’en sommes pas encore à un véritable projet d’ETP. » Pour cela, l’idéal est d’adhérer à un réseau, mais Michèle Rommert éprouve des difficultés à en trouver un dans son secteur. Reste la solution de monter un projet de toutes pièces avec un médecin, mais, là encore, il faut le trouver et le convaincre. « L’enthousiasme et l’envie sont là, mais il faut réussir à mettre en place un projet rapidement après la formation. »
Véritable qualification.
En tant que sociétaire IFMO, Stéphane Gauer a déjà travaillé de maintes façons les différentes manières de s’impliquer dans la loi HPST, notamment les thèmes de l’accompagnement des patients et l’amélioration de l’observation des traitements. « Cela finit par nous mener vers l’ETP, qui nécessite une véritable qualification. Le pharmacien qui s’y aventure sans qualification risque jusqu’à 30 000 euros d’amende. Cela positionne bien l’ETP dans sa différence avec le conseil officinal et avec l’accompagnement patient, la relation n’est pas la même, elle intègre des aspects psychologiques dans la compréhension du patient. Nous ne sommes plus dans la position de quelqu’un qui détient le savoir, c’est un échange bien plus horizontal qui doit s’adapter au niveau socio-éducatif et à l’objectif propre du patient. » Passionné par le sujet, Stéphane Gauer a demandé à ses adjointes de suivre la formation ETP, comme lui l’a fait dès le début. Elles ont immédiatement adhéré au projet. Deux d’entre elles sont donc formées, la troisième ne l’est pas encore, car arrivée plus récemment à l’officine. « Nous avons rapidement mis en application l’ETP, avec un programme soutenu et validé par la plate-forme ETP Alsace, et financé par l’ARS. Jusqu’au jour où le financement a pris fin, sans préavis. Il semblerait que l’ARS remette en cause la vision de l’ETP individuel, ce qui se fait en ville, pour privilégier l’ETP collective comme elle existe à l’hôpital. Aujourd’hui, la situation semble bloquée, nous avons dû suspendre cette activité en septembre dernier, mais j’espère qu’elle pourra reprendre un jour. L’ARS pourrait vouloir réorganiser l’ETP de ville autour des réseaux, mais je n’ai toujours pas été contacté. » La déception est grande pour son équipe, fortement investie dans cette activité. Christine Foell, adjointe depuis 9 ans dans cette pharmacie de Gambsheim, également dans le Bas-Rhin, regrette aussi l’arrêt de cette activité. « C’est beaucoup de travail mais nous étions très motivés, nous l’avons fait avec beaucoup de sérieux et de bonne volonté. J’apprécie cette relation qui nous fait découvrir nos patients sous un autre jour. Même si le recrutement de patients n’est pas toujours aisé, certains considérant qu’ils maîtrisent tout de leur pathologie et de leur traitement, les personnes qui ont suivi l’ETP en sont très contentes. Un homme est venu me remercier un jour car, grâce aux recommandations diététiques que je lui avais données, il a pu arrêter l’un des traitements qu’il prend dans le cadre de son diabète. J’aime cette partie du travail, loin de l’image du pharmacien qui vend des boîtes. » Christine Foell n’espère qu’une chose : pouvoir reprendre l’activité d’ETP dans sa spécialité diabète.
Expérience de patients.
Les expériences des officinaux dans l’ETP sont plus ou moins heureuses ; elles semblent être plus simples et moins lourdes à mettre en place lorsque le pharmacien s’inscrit dans un réseau existant. L’engouement pour la formation ne faiblit pas et c’est donc tout naturellement que l’université Pierre-et-Marie-Curie (UPMC) va ouvrir ses portes à un cursus d’ETP spécifique aux pharmaciens en septembre prochain. Une initiative qui repose entièrement sur Catherine Tourette-Turgis* et Corinne Isnard-Bagnis, enseignant-chercheur en néphrologie à la Pitié-Salpêtrière qui a créé la première chaire universitaire de recherche en éducation thérapeutique en France, à l’UPMC. Cet Institut d’éducation thérapeutique est soutenu par les Laboratoires Roche et Sanofi, la Fondation Amgen et le groupe PHR. « Nous avons d’excellentes relations avec nos mécènes, qui nous ouvrent la porte de leur terrain professionnel. Ainsi, nous avons des travaux en cours dans les officines PHR. Certains de nos chercheurs s’intéressent de près à l’implication du pharmacien dans l’accompagnement des patients », détaille Corinne Isnard-Bagnis.
L’UPMC s’est investie depuis quelques années dans l’ETP en proposant des enseignements qui vont du DU au Master. « Catherine Tourette-Turgis et moi avons mis en place ensemble un programme de formation à l’ETP, quelques années avant la loi HPST qui, en 2009, a édicté l’obligation de structurer les programmes. Nous avons même une filière doctorale puisque des étudiants poursuivent leurs études après le Master », explique Corinne Isnard-Bagnis. L’innovation vient de Catherine Tourette-Turgis, qui considère que le patient a toute sa place dans les formations diplômantes en ETP. Elle s’est appuyée sur les dispositifs législatifs existants comme la validation des acquis de l’expérience (VAE-2002), le droit à l’éducation et la formation tout au long de sa vie (1995) et la validation des acquis professionnels (VAP-1985). Cela lui a permis d’inclure 25 % de malades dans tous les cursus, soit 75 malades étudiants, dont 12 ont terminé un Master et deux sont inscrits en doctorat. « La demande de venir étudier à l’université de la part de malades chroniques est grandissante (…) On réfléchit à la mise en place de formations courtes répondant à la demande des associations et des ARS : il est souhaitable que des patients puissent avoir accès aux formations validantes en ETP de 40 heures et ceci dans toutes les régions de France », explique Catherine Tourette-Turgis. D’autant que leur expérience de patients est aussi précieuse aux yeux des étudiants soignants qui apprennent ainsi à changer leur regard sur la maladie et les malades.
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