Une fois de plus, les titulaires autrichiens se sentent menacés par la grande distribution. DM, une grande chaîne de drogueries allemandes, vient de lancer son troisième assaut auprès de la Cour constitutionnelle autrichienne en déposant un nouveau recours en vue d’obtenir une dérégulation de la vente des produits OTC, exclusivement réservée en Autriche à la pharmacie d’officine.
Les pharmaciens autrichiens n’ont pas attendu la réponse des sages pour affûter leurs arguments. Ils viennent de leur être livrés par une enquête réalisée pour le compte de la Fédération des pharmaciens autrichiens par l’organisme indépendant, Institute for advanced studies (IHS) (1).
Le verdict de cette étude comparative, effectuée dans six pays (2) ayant libéralisé leur marché de l’OTC est implacable. La dérégulation du marché de l’OTC ne tient en aucun cas ses promesses. Les bénéfices attendus pour la population en termes de prix et de disponibilité des produits sur le territoire ne sont pas au rendez-vous. De plus, il n’est pas rare que, peu regardants sur la qualification de leur personnel, ces points de vente laissent à désirer en matière de conseil, de contrôle de l’observance, d’informations sur l’iatrogénie et autres interactions médicamenteuses.
Impact économique limité
Bonne nouvelle en revanche pour les pharmaciens, les conséquences induites sur l’économie de l’officine par la libéralisation du marché restent limitées. La raison en est simple. En raison d’un relatif consensus sur les prix de l’OTC entre les divers distributeurs et d’une implantation quasi identique des points de vente (supermarchés et officines), les consommateurs n’ont vu aucun avantage à se détourner de leur pharmacien.
Ainsi en Suède, 76 % des consommateurs continuent d’acheter leur OTC en pharmacie (20 % en magasin d’alimentation, 4 % en stations-service), au Danemark, deux tiers des consommateurs fréquentent encore l’officine pour ces achats, tandis que la moitié des Norvégiens restent fidèles à leur pharmacien. Il n’est qu’aux Pays-Bas que 13 % seulement de la population songe à l’officine en matière d’achat d’OTC. Mais à leur décharge, ces médicaments sans prescription ne constituent que 5 à 10 % du chiffre d’affaires des officines.
Pas de barrage à la désertification
Enfin, pour les pouvoirs publics, la libéralisation du marché de l’OTC n’a été qu’un miroir aux alouettes. Tout au plus a-t-elle augmenté la disponibilité du médicament en élargissant les amplitudes horaires dans les points de vente, comme en Norvège. En revanche, la dérégulation n’a en rien contribué à améliorer la densité pharmaceutique escomptée. Bien au contraire, après la vague de libéralisation de l’OTC, pharmacies et points de vente (supermarchés, drogueries, succursales de pharmacie…) continuent de se concentrer dans les zones urbaines, tandis que la désertification se renforce en zones rurales, ce phénomène obligeant même certains gouvernements à subventionner des services de garde.
En Suède, par exemple, 4 % seulement des 5 700 points de vente d’OTC (hors pharmacie) sont implantés dans des régions sous-dotées (bourgs de 200 à 1 000 habitants). Et alors que la libéralisation du marché a contribué à une croissance du réseau officinal à hauteur de 40 %, 67 % de ces nouvelles pharmacies se sont installées dans des zones urbaines (60 000 habitants ou plus) et 28 % dans des régions suburbaines (30 000 habitants ou plus).
La concentration s’opère également au sein des acteurs. Car au lieu d’intensifier la concurrence, la libéralisation du marché a conduit à la constitution d’un oligopole. Ce phénomène se remarque tout particulièrement en Norvège où 84 % du marché est détenu par trois acteurs (3). De même en Suède. C’est dire si les autorités de la concurrence ont fort à faire dans ces pays où une entente sur les prix n’est jamais loin, notent au passage les auteurs de l’étude. Cette dernière remarque bat en brèche les idées reçues selon lesquelles la libéralisation infléchirait les prix par le phénomène d’une concurrence accrue.
Du reste, mettent en garde les chercheurs autrichiens, plaider l’argument prix pour favoriser une dérégulation du marché peut s’avérer dangereux en termes de santé publique. Le cas du paracétamol est ainsi particulièrement illustré par l’exemple des États-Unis où quelque 60 greffes de foie sont réalisées chaque année sur des enfants en raison d’une surconsommation de paracétamol.
En Europe, cependant, reconnaissent les chercheurs, les données sur le mésusage du médicament en lien avec une dérégulation du marché font encore défaut. Quant à l’influence de l’accès libre sur le volume de consommation, elle reste à prouver. La Suède a vu la part de l’OTC au sein des dépenses globales du médicament croître de 5 points à 25 %. Au Danemark, en revanche, elle est restée stable à l’exception toutefois d’une seule molécule, la glucosamine, qui a vu ses ventes exploser. Difficile donc de distinguer dans l’évolution de ces marchés de l’OTC la part imputable à la dérégulation de celle résultant des vagues de déremboursement qui touchent ces pays comme l’ensemble de l’Europe.
Sources : « Gesundheitsökonomische Analyse des Apothekensystems » Mit Fokus auf den Vertrieb von nicht-verschreibungspflichtigen Arzneimitteln. Thomas Czypionka et al. IHS Wien. Studie im Auftrag des Österreichischen Apothekerverbandes. Dezember 2017.
(1) Institut für Höhere Studien (IHS), Vienne.
(2) Danemark, États-Unis, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède.
(3) Chaînes appartenant à des grossistes répartiteurs.
Relocalisation industrielle
Gel des prix sur le paracétamol pendant 2 ans : pourquoi, pour qui ?
Salon des maires
Trois axes d’action pour lutter contre les violences à l’officine
Médication familiale
Baisses des prescriptions : le conseil du pharmacien prend le relais
Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens
Retraite des pharmaciens : des réformes douloureuses mais nécessaires