L’appel de l’Outre-mer
« J’ai toujours voulu partir en Outre-mer, découvrir la culture et l’exercice de la pharmacie dans ce petit bout de France si éloigné. Notre métier nous le permet, c’est une chance », raconte Marina. Depuis six ans, elle a posé ses valises en Guadeloupe et compte bien y rester encore longtemps. L’insularité, la culture, le créole, Marina s’en est imprégnée pour s’intégrer mais surtout par respect pour les patients qu’elle accompagne. « Même si c’est la France, on ne peut pas exercer la pharmacie ici comme en Métropole. Il y a une identité, une histoire à comprendre. » Le rapport à la nature dans les Antilles passionne la pharmacienne : « Ici dans chaque jardin, il y a une plante ou un arbre qui soigne. Il y a même une plante qui s’appelle Doliprane pour ses vertus antidouleurs. » Comme Marina, Salim a quitté la métropole en 2007 pour Mayotte, d’où il est originaire. « J’ai très vite su que je voulais revenir exercer ici, pour me rapprocher de ma famille mais aussi parce que le besoin en professionnels de santé est important. » Quinze après son retour, il constate l’évolution positive sanitaire dans l’île : « le diabète et l’hypertension artérielle restent des préoccupations sanitaires majeures mais on note une amélioration en termes de diagnostic et de prise en charge de ces maladies. Cela se traduit par une réduction des complications telles que l’amputation. Idem pour la vaccination grâce aux campagnes de rattrapage organisé ».
Considération et patience
Dans l’île Papillon, Marina a appris l’humilité et la patience : « mes certitudes de jeune pharmacienne tout droit sortie des études ont cédé la place à l’empathie et à l’écoute. Exercer ici m’a fait grandir dans la relation avec les patients. » Et les patients en sont reconnaissants, témoigne Salim : « pour avoir exercé en Métropole, j’ai le sentiment que notre travail et notre rôle sont mieux considérés ici. » Quant à la patience, elle s’impose par l’isolement de ces territoires ultramarins. « Tous les médicaments sont livrés par container. Il faut anticiper les commandes et attendre plusieurs mois avant de les recevoir. Et parfois, quand le trafic maritime est perturbé, la livraison est retardée. Mais on attend, c’est comme ça », sourit Marina. Loin de la Métropole, les pharmaciens de la France d’Outre-mer n’en restent pas moins attentifs et réactifs à l’évolution du métier. « Nous réalisons les TROD angine et cystite. Cela renforce notre image de référent en santé, qui est déjà très forte ici », témoigne Salim.
Tout réapprendre pour s’intégrer.
Pour suivre son conjoint, Sophie s’est installée en Belgique peu de temps après avoir soutenu sa thèse en mai 2005. La France et la Belgique ont beau être deux pays très proches, la pharmacienne se souvient de ses débuts difficiles : « il y avait beaucoup de différences avec ce que j’avais appris dans les pharmacies françaises. J’ai dû tout réapprendre, du nom des médicaments à la réglementation belge. Je me suis même mise au Néerlandais, en cours du soir ! Mais j’ai eu la chance d’avoir des collègues compréhensifs. Leur soutien m’a encouragée à persévérer. » En Belgique, l’orthopédie correspond à la bandagisterie et certains noms de médicaments sont de véritables pièges : « l’équivalent du Fluimucil s’appelle Lysomucil. Le Fluimucil existe aussi mais il contient un antibiotique en plus de l’acétylcystéine. » Mais le plus difficile a sans doute été de se remettre aux préparations magistrales : « dans la pharmacie parisienne où j’avais fait mon stage de 6 mois, nous n’en faisions quasiment pas. Ici en Belgique, il y en a plusieurs par jour parce que la sous-traitance est interdite, sauf pour les préparations homéopathiques, et c’est au pharmacien de signer la préparation. Matières premières, conservation, solubilité, il a fallu que je me replonge dans les livres. »
Un français au Québec.
Même histoire pour Patrick. Pour suivre son épouse, il s’est retrouvé au Québec à l’approche de ses 50 ans, après une carrière hospitalière dans une clinique de Montpellier. Après avoir passé les équivalences nécessaires, il a fait ses premiers pas en tant qu’officinal. « Ce n’est pas parce qu’on est Français qu’on nous accueille les bras grands ouverts. Au début, on savait me dire que je n’avais pas l’expérience québécoise. J’ai dû faire mes preuves », se souvient-il. Au fil des mois, le Français a saisi ce que signifie l’expérience québécoise : « on apprend aux pharmaciens québécois à accueillir le patient en disant « bonjour, je suis le pharmacien, qu’est-ce que je peux faire pour vous aujourd’hui ? » Moi je disais simplement « bonjour, c’est pour quoi ? » Mes collègues me disaient : « t’étais pas aimable tantôt » ». Après 10 ans passés au Québec, Patrick s’est fait une place : « certains patients demandent à parler au « pharmacien français ». Ils apprécient mon approche plus directe, sans détour ». Pour mieux connaître l’environnement de la pharmacie québécoise, Patrick a rejoint l’association professionnelle des pharmaciens salariés du Québec (APPSQ) dont il est devenu le président en 2021. De la France, Patrick conserve cet esprit corporatiste et solidaire, pas toujours compris outre-Atlantique : « ici, c’est très individuel. Par exemple, les pharmacies sont ouvertes 7 jours sur 7, de 9 à 21 heures en moyenne. Quand je propose un modèle à la française avec un système de garde, on me dit que ça s’assimile à de la collusion. »
L’expérience étrangère : l’opportunité d’enrichir la pharmacie française.
Si la pharmacie québécoise est régulièrement citée en exemple en France, Jean-François Desgagné, le président de l’Ordre des pharmaciens du Québec, reconnaît dans les pharmaciens français cette envie de projeter le métier dans l’avenir, de le transformer pour que tout le monde y gagne, pharmaciens et patients. « En France, la formation et la pratique ont énormément et positivement progressé, avec plus de stages et plus de pratique clinique. C’est pourquoi nous avons initié une simplification du processus de reconnaissance du diplôme français ». Pour le pharmacien québécois, accueillir des pharmaciens français permet un enrichissement mutuel des pratiques : « au bout du compte, c’est un bénéfice pour les patients. J’aime dire que quand le pharmacien va bien en France et au Québec, la pharmacie va bien ». Vu de l’étranger, le pharmacien français séduit-il au point d’être convoité ? « Le pharmacien français, c’est une tête bien faite grâce à une formation de qualité, mais aussi un esprit innovant qui s’affranchit des stéréotypes », confirme Alain Delgutte. L’ex-président du groupement pharmaceutique de l’Union européenne (PGEU) encourage d’ailleurs à découvrir la pharmacie à l’étranger : « ces expériences apportent l’audace et la confiance nécessaires pour faire bouger notre métier en France. » À condition bien sûr de revenir.
Trois questions à Brigitte Berthelot-Leblanc
Présidente du Conseil central de la section E de l’Ordre des pharmaciens
Découvrir l’Outre-mer par le stage de sixième année, c’est possible !
Le Quotidien du pharmacien.- Quelle est la situation en Outre-mer en termes d’emploi en pharmacie et de recrutement ?
Brigitte Berthelot-Leblanc.- Dans tous les secteurs (officine, biologie médicale, hôpital, répartition), nous observons des tensions et des difficultés de recrutement. Bien qu’il soit possible de démarrer des études de santé en Martinique et en Guadeloupe, le fait de ne pas pouvoir y suivre la totalité du cursus de pharmacie amplifie ce phénomène. J’ai bon espoir que la tendance s’inverse. Nous ne disposons pas encore des données pour 2024, mais nous avons observé un regain des primo-inscriptions dans notre section, ce qui est très positif.
Est-ce qu’il est possible d’effectuer son stage de fin d’études en Outre-mer ?
Oui, bien sûr, et les stagiaires de sixième année sont les bienvenus. C’est une opportunité de découvrir l’exercice de la pharmacie en territoire ultramarin. Les pharmaciens maîtres de stage sont formés pour les accueillir. Malheureusement, nous sommes régulièrement alertés sur le fait que certaines facultés sont réticentes, voire refusent les demandes de stages dans les pharmacies d’Outre-mer. D’autres acceptent de partager le stage de six mois en deux temps, trois mois en Outre-mer et trois mois en métropole, ce qui permet de suivre les quelques cours que les étudiants ont pendant cette période. J’insiste à nouveau : qu’on soit domien ou non, le stage de 6e année peut être fait dans les pharmacies d’Outre-mer avec un même niveau de qualité qu’en métropole ; et il ne s’agit pas d’un stage « planche à voile » comme certains voudraient le faire croire.
L’exercice de la pharmacie en dehors de l’Hexagone impose de sortir de sa zone de confort. Quelles sont selon vous les qualités nécessaires pour exercer en Outre-mer ou à l’étranger ?
Je pense qu’il faut être ouvert d’esprit, curieux et savoir s’adapter. Aux Antilles par exemple, il est préférable d’apprendre le créole (et c’est possible en un mois !) pour comprendre les patients à la pharmacie. Même chose à Mayotte où les habitants parlent majoritairement le Shimaoré, le Kibushi, ou le Comorien. Être pharmacien en Outre-mer ou à l’étranger, c’est découvrir une autre façon d’exercer, de conseiller ou d’accompagner les patients avec des enjeux de santé publique très différents d’un territoire à un autre. Dans les Caraïbes, on peut être confronté à trois épidémies en même temps : le Covid, la dengue et le chikungunya. On soigne également des maladies qui ont disparu en Métropole comme la lèpre ou le choléra, ce qui impose de délivrer des traitements particuliers. L’exercice est souvent façonné par la culture locale. Enfin, la plupart des départements et collectivités d’Outre-mer étant des îles, le pharmacien découvre une logistique particulière pour l’approvisionnement des produits de santé. En résumé, et les témoignages recueillis dans votre article le démontrent, la découverte de la pharmacie en dehors de l’Hexagone est synonyme d’enrichissement personnel, professionnel et culturel.
Propos recueillis par David Paitraud
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