Si les groupements s'engagent aujourd'hui dans l'enseigne, c'est avant tout parce qu'ils ressentent l'urgence de s'affirmer dans un écosystème où il faut être visible pour gagner en poids. Tant auprès des patients que des autres groupements et des laboratoires.
Décomplexés
Il y a plusieurs années, quelques groupements s'étaient prêtés au jeu de la communication, assez malchanceux pour essuyer les plâtres. Les groupements reviennent aujourd'hui sur les devants de la scène par le biais de l'enseigne, un concept qui a, aujourd'hui, gagné en maturité auprès du grand public. Et des jeunes diplômés eux-mêmes. L'enseigne s'est imposée dans les modes de consommation. À tel point, souligne Pierre-Alexandre Mouret, directeur général opérationnel de Pharmavie, qu'un point de vente indépendant est d'emblée suspecté de pratiquer des prix plus élevés. « En entrant dans le point de vente d'une chaîne, le consommateur, inconsciemment, a l'impression que ce sera moins cher puisque les achats sont groupés », observe-t-il.
L'officine n'échappe pas à cet environnement d'enseignes, côtoyant les leaders de la parfumerie, de la beauté et du bien-être, voire du matériel médical. C'est donc décomplexés que les groupements abordent désormais cette nouvelle étape de leur histoire. Ceci d'autant plus, remarque Richard Greaume, nouveau président de Giphar, que la nouvelle génération de pharmaciens y est très favorable. Passer immédiatement sous enseigne dès l'adhésion au groupement ne soulève aucune objection de la part des jeunes installés. « C'est naturel, ils ont grandi dans ce paysage du commerce français où les enseignes ont une place prépondérante », constate-t-il. Et de poursuivre, « aujourd'hui, l'enseigne n'est pas considérée comme incompatible avec notre statut de professionnel de santé. Bien au contraire, au moment où les missions ont pris une place incontestable avec la gestion du Covid, nous avons été heureux de pouvoir nous appuyer sur une enseigne solide. »
S'ouvrir au grand public
L'enseigne serait-elle un passage inéluctable, dans le sens de l'histoire, comme le croit Hervé Jouves, directeur général du groupe LafSanté, dont l'enseigne Lafayette est l'une des premières à s'être imposée en termes de notoriété. Elle a aussi essaimé le concept d'enseigne à d'autres secteurs d'activité MAD, optique et parapharmacie. Imitée depuis par plusieurs concurrents.
Cet engouement des groupements pour l'enseigne a une autre explication, selon Pierre-Alexandre Mouret. « Ils ont compris que le B to B, c’est-à-dire la relation au titulaire adhérent, n'était pas suffisante. Et qu'il fallait désormais s'adresser au patient, donc s'inscrire dans une démarche de B to C et devenir pour cela visible », expose-t-il. La majorité des groupements annoncent vouloir passer à la vitesse supérieure, et n'hésitent pas à viser, comme Totum, un déploiement de l'enseigne sur la totalité du réseau d'ici à 2023.
Au-delà de la croix verte
Encore faut-il donner du contenu à cette enseigne qui ne peut se contenter d'être un relooking de façade. Doit-on lui appliquer les mêmes règles que dans le retail ? Aucun groupement ne revendique en tout cas une enseigne positionnée sur le prix. Chacun connaissant, comme le rappelle Didier Le Bail, dirigeant de PUC Pharma, les difficultés rencontrées par les hypermarchés pour revenir sur l'argument du prix et à faire une proposition différente. « L'enseigne impose un choix de valeurs et nous avons décidé de remédicaliser le message par un accompagnement dans le handicap, l'oncologie ou encore les seniors », déclare-t-il.
De son côté, Pharmodel s'est érigé très tôt contre un modèle calqué sur celui de la GMS, comme le rappelle Evelyne Bessières, sa directrice opérationnelle. « Nous avons délibérément centré notre enseigne sur le cœur de métier du pharmacien en matérialisant cette démarche par le diplôme. C'est ainsi que nous avons opté pour le nom D Docteurs en pharmacie, un concept qui est devenu la colonne vertébrale de notre enseigne », explique-t-elle. Chez Giphar domine la conviction que demain le patient choisira sa pharmacie et son enseigne comme il le fait pour d'autres secteurs d'activité : « c'est déjà le cas dans d'autres univers de la santé, comme l'optique ou l'audition ».
Raison de plus pour le groupement de s'attacher à (dé) montrer la valeur ajoutée du pharmacien dans la prise en charge de la santé au quotidien. Les groupements sont unanimes, l'officinal de demain attend autre chose que des conditions d'achat. Les services et des process aboutis garantissant une efficacité commerciale et la rentabilité de l'officine feront la différence. Il en est de même pour le patient, aujourd'hui très bien initié aux nouvelles pratiques de consommation. « La croix verte reste la première enseigne de la pharmacie. Aussi l'enseigne du groupement, qui viendra en supplément, doit traduire les valeurs du groupement. Elle doit être au service de ce que veut transmettre le groupement, le support de ce que propose le pharmacien. En résumé, un label de qualité et de services », croit Gilles Unglik, directeur général opérationnel de Giropharm.
« La croix verte dit déjà le métier. Nous avons besoin d'exprimer autre chose, l'excellence, la précision, l'humanisme », revendique également Alain Styl, au travers de l'enseigne soulignée de rose de Pharmabest dont il est directeur général.
Pour Alexis Berreby, cofondateur de Leadersanté, il y va de la pérennité de l'exercice officinal. « L'enseigne lui confère une visibilité en même temps qu'une vision, une dimension forte au cadre de travail. Et ce au-delà de la communication. Car il s'agit de préserver notre indépendance en affirmant notre individualité », décrit-il affirmant qu'il s'agit là autant d'un acte politique que d'une démarche de management. « On va dans une pharmacie pour sa proximité, et on y revient pour l'enseigne », résume-t-il. À ce titre il ne considère pas les contraintes en matière de communication comme un frein. Au contraire, analyse-t-il, elles ont permis aux pharmacies de monter en puissance sur le terrain, de travailler sur le fond, sur des outils différenciants et même sur l'agencement. Alexis Berreby estime que le jour venu, son groupement aura atteint la taille adéquate pour une communication intéressante.
Image de marque
Pour ne pas être un alibi, l'enseigne doit fonctionner comme une « réassurance » auprès du patient. Elle doit non seulement confirmer l'expertise, le conseil et l'accueil qu'il est en droit d'attendre de tout pharmacien, mais doit également lui donner la certitude qu'il trouvera le même niveau d'exigence, de qualité et de services dans n'importe quelle officine de l'enseigne. « C'est une chaîne de sens », commente Mehdi Djilani, président de Totum, ajoutant que « la connotation de chaîne est ici à prendre sous le sens d'une uniformité de l'approche personnalisée du patient ». « Pas question donc pour le groupement de plaquer simplement sa marque, avertit Luc Priouzeau, nouveau président de Giropharm, la marque doit être un label de qualité, le vrai signe d'une identité. »
Alain Styl compare l'enseigne en pharmacie à une célèbre association française d’hôtels et de restaurants de luxe indépendants : « chaque officine doit offrir le même service, la même expérience client... En revanche, je n'aurais pas nécessairement le même référencement produits. C'est ce qui différencie cette démarche du commerce intégré ». Cohésion - et cohérence - s'imposent au sein de l'enseigne. Elle doit être considérée comme un signe de ralliement entre les affiliés. Un élément fédérateur qui n'échappera pas non plus, dans les négociations, aux laboratoires partenaires.
Sans compter que l'enseigne, par sa charte graphique, sa façade et son agencement, est une carte de visite alors que les groupements sont de plus en plus en compétition.« 100 % de nos vitrines sont chartées et habillées à l'identique de façon à donner une image d'homogénéité au réseau, même si les pharmacies ont individuellement des enjeux très différents. Être sous la même bannière c'est avoir et donner le sentiment de faire partie d'un même ensemble et donner un signal fort à l'extérieur, à tout l'écosystème », définit Laurent Keiser, directeur général d'Aprium.
Les groupements tablent par ailleurs sur l'enseigne pour recruter des pharmaciens au profil affûté. Pour Médiprix, elle est un véritable moteur, comme le note Jérôme Escojido, régulièrement sollicités par des titulaires séduits par la charte graphique inédite et la tonalité d'un concept basé sur l'expérentiel, le phygital et le service. Pour le groupement Les Pharmaciens associés, qui a lancé son enseigne Santalis il y a quelques mois et vise 100 adhérents sous enseigne d'ici à trois ans, l'enseigne axée sur la pharmacie de services, la naturalité et la préservation du capital santé, est désormais un élément significatif de sa stratégie de recrutement.
Clémence Maillot qui a repris la direction de Pharmactiv, note que certains adhérents rejoignent directement l'enseigne sans passer par la case groupement. Parodiant un groupe pétrolier français, elle pense que comme les patients, les futurs affiliés ne viendront plus chez Pharmactiv par hasard. Cependant, insiste-t-elle, une enseigne, basée sur un cercle vertueux entre groupement et affiliés, doit privilégier la sélection.
L'indépendance en question
Il n'en reste pas moins que certains groupements dénoncent la discipline réclamée par toute politique d'enseigne et l'harmonisation qu'elle induit dans le point de vente et les process, comme antinomiques avec la pratique d'un exercice libéral. Pour ces groupements, essentiellement régionaux, la mise sous enseigne représente une menace pour l'indépendance du pharmacien. À moins qu'il s'agisse d'un simple habillage, un « tunning » de l'officine.
D'ailleurs, certains comme Olivier Verdure, responsable marketing du réseau Apsara (7 groupements), discernent mal la différence entre les prestations offertes d'une enseigne et celles que proposent déjà les groupements. Il préfère ainsi à l'enseigne une marque – régionale- déclinant dans un même secteur géographique toutes les opérations de santé publique (octobre rose, moi(s) sans tabac...), garantissant récurrence et visibilité. C’est ainsi que son groupement Pharm&Free a adopté pour nom de marque « Pharm&Zen ». Et Pharm&Free de promettre : « le développement régional d’une « marque » à défaut d’une « enseigne » est clairement une volonté stratégique car elle va permettre de garantir à nos pharmaciens de conserver pleinement leur indépendance tant intellectuelle que financière, tout en profitant de tous les avantages procurés par les propositions marketing de notre groupement et leur permettre de lutter à armes égales avec les « franchisés » des enseignes qui les entourent. »
Résistances régionales
Pharmacyal et ses adhérents ne souhaitent pas, non plus, franchir le pas de l'enseigne. « Elle ne représente aucun intérêt pour un pharmacien titulaire », affirment les dirigeants de ce grand groupement régional des Hauts-de-France. Car, poursuivent-ils, pour être utile au pharmacien, l'enseigne doit être connue des clients/patients, ce qui est loin d'être le cas pour la majorité des enseignes. Et de déclarer lapidaires : « le seul intérêt est de faire de la communication pour l'enseigne et donc d'augmenter sa valorisation financière si, un jour, le groupement décide de vendre ». Autre groupement à s'abstenir de s'engager dans cette voie, Pharmacorp a choisi de ne pas développer de politique d’enseigne « car elle est destructrice de valeur chez ses adhérents ».
« En passant sous enseigne, le pharmacien valorise par son travail une marque qui ne lui appartient pas et ne lui rapporte aucun trafic étant donné que cette marque ne peut communiquer auprès du grand public », objecte Laurent Filoche, président de Pharmacorp, précisant que son groupement met à disposition de ses adhérents tous les services légaux que développent les enseignes (promotions communes, communication numérique et réseaux sociaux, programme de fidélité, click & collect…) « sans qu’ils aient à passer à l’enseigne ». La pertinence d'un déploiement d'enseigne ne laisse pas d'interroger. À l’instar de Bruno Blanchard, directeur du groupement Unipharm Loire Océan, qui souligne que « dans 72 % des cas, le patient choisit la pharmacie la plus proche ».
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