Alors que le président de la République a annoncé hier que 244 communes des départements du Pas-de-Calais et du Nord seront classées en état de catastrophe naturelle, les pharmaciens aux prises avec les crues depuis plus de dix jours continuent d'assister, impuissants et épuisés, au va-et-vient de l'eau dans leur officine.
La décrue ne s'annonce que très lentement. « Nous avions perdu 20 centimètres d'eau dans la pharmacie hier, mais cette nuit le niveau s'est stoppé à 30 centimètres », constate Laurence Dachicourt, titulaire à Neuville-sous-Montreuil (Pas-de-Calais). Cela fait désormais dix jours qu'elle lutte sans relâche contre l'inondation de sa pharmacie. Dix jours que son activité est à l'arrêt. « On dépanne comme on peut la population qui ne peut accéder à la pharmacie. La rue est bloquée et les maisons d'en face ont été évacuées. Nous allons chercher les ordonnances chez le médecin pour livrer les médicaments à domicile lorsque cela est possible », explique Laurence Dachicourt, ajoutant que seul un îlot dans le village est épargné par les eaux de la Canche en crue.
La titulaire a dû mettre au chômage technique son équipe de huit personnes. Certains frigos de l'officine ont pu être mis à l'abri, ainsi que l'unité centrale informatique. Quant à l'état des postes de travail, leur état sera constaté une fois l'officine à sec. Pour l'instant, les câbles sont sous l'eau, comme une bonne partie de son stock, se désole Laurence Dachicourt. Mais la pharmacienne ne s'avoue pas vaincue par cette catastrophe hors norme - « de mémoire d'anciens, on n'a jamais vu cela dans la région ! ». Avec courage, elle s'apprête à retrousser les manches une fois que les eaux se seront retirées, réconfortée par l'élan de solidarité qui s'est soulevé parmi la population et d'anciens salariés. « Nous avons reçu de nombreuses propositions pour nous aider à nettoyer », se réjouit-elle. Plus encore que par sa propre situation, elle ajoute être bouleversée par la misère dans certains villages où les habitants ont tout perdu, où des personnes âgées et les enfants sont traumatisés par ces événements.
Pour Christophe Yvart, titulaire à Saint-Etienne-au-Mont (Pas-de-Calais), qui avait décrit sa situation au « Quotidien du pharmacien », la semaine dernière, le combat continue. Et le pharmacien craint de ne pas en voir la fin de sitôt. Hier, le département touché par des crues dévastatrices a connu un nouvel épisode pluvieux, qui pourrait encore aggraver la situation. « On nous a annoncé une crue en milieu d'après-midi. Nous avons immédiatement cessé notre activité afin de remonter tous nos stocks, soit 295 m2 à relever. » Vers 16 heures, les clients se font de toute façon rares dans la commune, inquiets d'être à nouveau sinistrés, ils s'empressent de rentrer chez eux. Tard dans la soirée, s'occupant à des travaux administratifs, Christophe Yvart et son épouse veillent, scrutant la montée des eaux. Ce n'est qu'après 22 heures, en se décidant enfin à sortir qu'ils s'aperçoivent que l'eau est à nouveau à la porte de l'officine. « Nous avons donc immédiatement levé l'informatique et les frigos et vers trois heures du matin, nous avons regagné enfin notre domicile car je devais vacciner contre le Covid tôt le matin », témoigne le titulaire.
Revenant quelques heures plus tard, avant l'arrivée de son équipe, il découvre à nouveau de l'eau dans son officine. « Elle était sortie, puis rentrée, mais heureusement le niveau stagne pour l'instant à environ 4 centimètres, contre 35 à 50 centimètres la semaine dernière. » Ces incessants va-et-vient des crues finissent par avoir raison de la résistance du pharmacien. En lutte depuis le 2 novembre pour maintenir une activité « en pointillé », il est aujourd'hui épuisé, sinon découragé. Ce qui le fait tenir, avoue-t-il, ce sont les manifestations de soutien émanant de personnes averties par les médias. Les habitants, mais aussi le président de son groupement, la Caisse d'assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP)… Quant à son grossiste-répartiteur, il est lui-même frappé par la catastrophe. L'agence de la CERP Rouen de Boulogne-sur-Mer est en effet elle aussi submergée par la Liane.
« Heureusement, l'agence de Lille a pu prendre le relais rapidement afin de poursuivre l'approvisionnement des pharmacies de la région », se félicite Grégory Tempremant, président de l'URPS Pharmaciens des Hauts-de-France. La continuité de l'activité officinale a cependant été troublée par un autre facteur. De nombreuses écoles ayant été fermées en raison des inondations, des problèmes de garde sont survenus au sein de certaines équipes. « Comme pendant la pandémie », remarque Grégory Tempremant.
C'est d'ailleurs les dispositions prises pendant la crise sanitaire qui ont inspiré la caisse primaire de la Côte d'Opale (Pas-de-Calais), souligne le président de l'URPS Pharmaciens. « Celle-ci a fait preuve de souplesse comme pendant la pandémie pour faire face aux situations d'urgence », se félicite-t-il. Ainsi, les assurés sinistrés peuvent bénéficier d'un renouvellement de leur traitement en pharmacie ou obtenir leurs médicaments quand leurs produits ont été perdus dans les inondations. De même, lorsque le matériel médical a été détruit ou lorsque les personnes ne peuvent accéder à leur logement, les pharmaciens sont autorisés soit à transférer le matériel s'il n'a pas été endommagé, soit à le remplacer. Les officines du Pas-de-Calais ont été averties, hier, de ces mesures par une circulaire de l'URPS. « Je pense que nous allons faire face à l'avenir à la multiplication de tels événements climatiques. Aussi, je crois nécessaire de travailler d'ores et déjà à des dispositions qui prévoiraient ces différentes mesures sanitaires et qu'il suffirait alors d'activer en cas de crise », déclare Grégory Tempremant, promettant de s'atteler dès que possible à la conception d'un tel dispositif.
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