La santé est désormais un produit d’appel. C'est en tout cas le nouveau credo des enseignes de la GMS confrontées à la baisse de leurs flux clients et à l’ascension fulgurante des ventes sur Internet depuis le début de la crise sanitaire. Tous les moyens sont bons pour attirer le chaland dans le point de vente.
Les masques à prix coûtant avaient été brandis à la sortie du premier confinement comme un nouvel argument de vente. Voici désormais les autotests. S’inspirant des hard discounters allemands, les patrons de la grande distribution revendiquent ce marché. À grand renfort médiatique, sur les ondes pour Dominique Schelcher, P-DG de Système U, tribune dans « Le Monde » et publicités dans la presse régionale pour Michel-Édouard Leclerc, ils dénoncent le « corporatisme » et le monopole exercé par les pharmaciens. Ignorant ce faisant le communiqué du 16 avril de l’Académie de médecine qui recommande « de réserver la vente et la distribution des autotests aux seules pharmacies afin d’informer chaque utilisateur ».
Où se situe l'Absurdie ?
Michel-Édouard Leclerc stigmatise également une distribution « hypersélective qui ne peut nuire qu’à la prévention et à la stratégie de déconfinement ». Mais ce qu’oublient de préciser les dirigeants de ces deux enseignes, c’est que, contrairement à l’Allemagne et à d’autres pays européens, la politique française de lutte contre l’épidémie rend les tests de dépistage Covid accessibles gratuitement à la population. De là, le flop observé pour le moment par la plupart des pharmaciens avec les autotests. Car force est de constater que, depuis leur mise sur le marché le 12 avril, le sell out de ces produits a peu décollé. « Michel-Édouard Leclerc devrait nous remercier d’avoir essuyé les plâtres. Notre expérience lui aura évité une belle déconvenue et épargné d'énormes stocks d’autotests invendus ! », ironise Laurent Filoche, président de l’Union des groupements de pharmacies d’officine (UDGPO). Une nouvelle fois, en fustigeant cette supposée distorsion de concurrence sous le titre « Bienvenue en Absurdie », Michel-Édouard Leclerc « a jeté une pierre dans le jardin des pharmaciens et s’est fait de la com. ! », commente Laurent Filoche.
En matière d’« absurdie », il se pourrait cependant que la dernière audace vienne d’un autre acteur de la GMS. Monoprix a en effet annoncé, par voie de presse, l’implantation de cabines de téléconsultation Tessan au sein de ses magasins de Malakoff (Hauts-de-Seine) et de Troyes (Aube), dans le cadre du déploiement de son corner « La santé au quotidien ». Une initiative qui lui a immédiatement valu les foudres de l’UDGPO, de l'UNPF, des syndicats de médecins et du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM). « La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce », rappelle l’instance ordinale, citant l’article R.4127-19 du code de la santé publique. Le CNOM appelle le gouvernement à réagir avec fermeté pour défendre l’organisation des soins en France, et protéger l’acte médical. Il rappelle en effet que « la prise en charge de patients exclusivement en téléconsultation porte atteinte aux exigences déontologiques de qualité, de sécurité et de continuité des soins ».
L’Ordre des médecins ne manque pas d’interroger la fonction de ces téléconsultations « dans l’enceinte de supermarchés qui semblent être portées par des opérateurs de télémédecine, hors parcours de soins ». Et par conséquent, hors du champ conventionnel avec l’assurance-maladie.
La démarche interpelle par ailleurs sur les réelles motivations de Monoprix, ses points de vente étant majoritairement situés en centre-ville, zones traditionnellement mieux pourvues en cabinets médicaux que le suburbain ou le rural.
Ne pas relâcher la qualité
Pour Alain Grollaud, président de Federgy, la chambre syndicale des groupements et enseignes de pharmacies, ces incursions de la grande distribution dans le marché de la santé sont « un serpent de mer » auquel les pharmaciens sont accoutumés depuis une vingtaine d’années. « Les tentatives sont régulières, nous les avons vécues avec le matériel médical, l’OTC… », observe-t-il avec philosophie. Il enjoint en revanche les acteurs de la GMS à se concentrer sur la concurrence d’Amazon, qui est selon lui « la véritable menace et qui va évoluer au-delà de la crise du Covid ». Alain Grollaud est serein. Car, depuis le début de l’épidémie, le maillage officinal a donné la preuve de son efficacité, rappelle-t-il. Le réseau a su jouer la carte de la proximité, du conseil, de l’écoute, voire du réconfort. L’officine n’aurait donc rien à craindre de ce que le président de Federgy qualifie « d’épiphénomène, de coups de pubs de la GMS ».
Pour autant, insiste Alain Grollaud, les pharmaciens ne doivent en aucun cas se relâcher mais poursuivre leurs investissements dans la démarche qualité. « Ils doivent impérativement asseoir leurs services sur cette idée maîtresse de la pharmacie qui est la sécurité du patient », insiste-t-il. Ces fondamentaux devraient également permettre aux pharmaciens d'échapper à la tentation de la marchandisation. Ainsi, l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) est agacée par la multiplication sur les trottoirs de tentes de dépistage « où des jeunes, non diplômés, réalisent tout seuls des prélèvements de tests antigéniques et en rendent les résultats ». Aussi, le syndicat met-il en garde la profession contre ces dérives : « ne cédez pas aux prestataires qui vous proposent d'engager votre diplôme contre un barnum. Votre responsabilité est totalement engagée ».
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