« On peut être très intelligent et croire une information fausse. » Le Dr Thomas Durand (2) énonce ainsi le constat qu’ont fait nombre de pharmaciens durant la pandémie. Face à des antivax virulents, mais aussi des patients assaillis de doute, quand ce n’était pas des membres de leur propre équipe. Accepter cet état de fait – aussi douloureux soit-il - permet de démonter le mécanisme de l’emprise des fausses croyances sur certaines personnes. Pour quelles raisons sont-elles sensibles à des discours alternatifs ? « Le cerveau agit hors du champ du rationnel, la rationalité n’est pas sa priorité », lance quelque peu provocateur le Dr Durand.
De fait, énonce-t-il, il est sensible à la production d’informations fortes et immédiates et à la prégnance des émotions. Ce qui le conduit à céder aux illusions d’optiques, voire de logiques. Cette plasticité lui permettra de gérer les angoisses, l’une de ses vocations, mais aussi à favoriser l’estime de soi au détriment parfois de la réalité. Au risque aussi de se soumettre aux influences sociales.
Le cerveau n'est pas immunisé contre les biais
En revanche, affirme le biologiste, le cerveau est calé pour l’empathie. « Il a même tendance à prêter des comportements humains à des objets et à transformer ce qu’il voit afin que l’image corresponde à une reproduction du réel », note-t-il, ajoutant que le cerveau reconstruit à partir de ce qu’il connaît. Des célèbres illusions d’optique illustrent parfaitement ce phénomène.
Mais, davantage encore, le cerveau, enclin à détecter de la causalité dans tout fait ou constat, peut commettre des erreurs de logique et s’égarer dans des variables de confusion. « Il n’est pas immunisé contre les biais », déplore le Dr Durand. À titre d’exemple, les biais d’études scientifiques peu sérieuses ne seront pas nécessairement identifiés par le lecteur, pourvu que les conclusions lui semblent logiques. Enfin, troisième facteur « aggravant », le cerveau est plus programmé pour suivre une règle sociale qu’une règle logique. Ainsi, il n’est pas rare que ces caractéristiques amènent l’être humain à s’inventer une réalité. Une énigme à laquelle se sont attaqués Dan Sperber et Hugo Mercier. Pourquoi nos pensées et nos actions sont-elles aussi souvent irrationnelles ? Pourquoi défendons-nous nos idées alors même qu’elles sont mauvaises, et, à l’inverse, pourquoi critiquons-nous des idées différentes des nôtres, même lorsqu’elles sont justes ?
Le cerveau humain est ainsi conçu que le raisonnement doit mener à une décision que l’on peut justifier. Une personne opposée aux vaccins, par exemple, justifiera ses croyances dans un raisonnement circulaire dont le but sera de faire gagner son point de vue. Quitte à recourir à des arguments fallacieux. Pourtant, « un fait isolé ne prouve pas une règle générale, pas davantage un millier d’anecdotes. Les témoignages, aussi nombreux soient-ils, ne constituent pas de preuves. Pour une conclusion générale, il faut un ensemble de faits », assène le Dr Durand. Facétieux, il ajoute que « ceux qui se sont fait avoir par une méthode ne témoignent pas, pas davantage les morts ! ». Il pointe également le biais de la répétition. « À force de croiser une information, on finit par y croire », dénonce-t-il. Une mise en garde lourde de sens à l’heure où les algorithmes servent des informations ciblées aux utilisateurs des réseaux sociaux.
Avec l'exemplarité pour seule arme
Ces démonstrations de Thomas Durand forcent à la modestie et conduisent à un sentiment d’impuissance. Comment courir plus vite que les fake news ? Comment les démonter face à des cerveaux devenus hermétiques, alors même que les idées fausses prennent la forme qu’elles veulent ?
Comment, dans ces conditions, contrer les fausses affirmations des patients ? Comment ne pas être désarmé face à la puissance de ces convictions fondées sur ce faisceau d’illusions ? Le Dr Durand émet tout d’abord un amer constat en se fondant sur le principe d’asymétrie des baratins du programmeur italien Alberto Brandolini. « Il faut plus d’énergie pour réfuter des idioties que pour en produire. » Certes, le pharmacien au comptoir sera tenté de déployer son énergie pour écouter son patient, le questionner et reformuler ses affirmations, dans une sorte d’entretien épistémique à la Socrate.
Cet exercice peut fournir une solution face à l’émission de croyances erronées. Il n’en requiert pas moins temps et énergie. « Dans une vie, on peut le faire avec une vingtaine de personnes. Avec des amis, des collègues, pourquoi pas ? Mais avec des patients ? Ce n’est peut-être pas demandé par le métier », reconnaît le biologiste. Force est de constater, reconnaît-il, qu’on ne peut pas « déconvertir » aussi aisément.
Aussi, dans ce contexte de recrudescence de croyances erronées, de théories complotistes et de dérives sectaires, alors que les fake news fleurissent au gré des réseaux sociaux, l’exemplarité du professionnel de santé reste la meilleure arme. Le pharmacien doit rendre manifeste la chaîne de connaissances sur laquelle repose sa pratique. Et en aucun cas tolérer dans son environnement professionnel des choses « qui ne marchent pas ». Sinon, estime-t-il, « le jour où il sera important pour le patient de croire son pharmacien, il ne pourra pas s’y fier ».
(1) D'après une conférence lors la journée nationale des URPS pharmaciens, le 7 avril.
(2) Cofondateur de l'association pour la science et la transmission de l'esprit critique et de la chaîne YouTube La Tronche en biais.
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