Cela faisait plus de 16 ans que Sophie* travaillait comme rayonniste dans une pharmacie du sud-est de la France. Un emploi qu'elle a quitté le 15 septembre, car elle refuse catégoriquement de se faire vacciner contre le Covid-19. « De par mon activité je ne suis jamais en contact avec les patients, je leur dis bonjour et au revoir tout au plus. J'espérais pouvoir continuer à travailler même sans être vaccinée, mais cela n'était pas possible » regrette-t-elle.
Si Sophie ne se dit pas antivax, hors de question pour elle de se faire injecter un vaccin anti-Covid. Entre son emploi et la piqûre, elle a fait son choix, non sans amertume. « Pendant des mois, au début de la crise, j'ai dû travailler sans masque et sans gel hydroalcoolique parce qu'ils manquaient. Ces derniers mois, j'ai accepté de faire le ménage pour rendre service, j'ai même décalé les dates de mes vacances pour arranger des collègues et aujourd'hui je dois m'en aller, c'est quand même bien dommage. » Depuis le 15 septembre, le contrat de Sophie est suspendu. Fermement résolue à ne pas changer d'avis sur les vaccins anti-Covid, elle se prépare désormais à chercher un autre emploi, loin de l'officine et du secteur de la santé.
5 % des salariés de l'officine ne seraient pas vaccinés
Impossible de savoir combien de salariés de l'officine ont, comme Sophie, décidé de renoncer à leur emploi parce qu'ils ne veulent pas être vaccinés. Selon les estimations de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), environ 5 % des personnes travaillant en pharmacie aujourd'hui n'auraient reçu aucune dose de vaccin et 15 % des officines compteraient dans leurs rangs au moins un salarié non vacciné.
Être privé du jour au lendemain d'un salarié démissionnaire ou dont le contrat est suspendu n'est pas sans conséquence, notamment pour les officines les plus petites. Surtout lorsqu'on est titulaire d'une pharmacie située dans un village de moyenne montagne isolé et difficilement accessible. C'est le cas de Camille*, contactée par « le Quotidien du pharmacien » le 13 septembre. Cette officinale ne sait toujours pas si elle pourra compter sur l'une de ses préparatrices une fois l'obligation vaccinale en vigueur. « Nous ne sommes que cinq à travailler au comptoir et une partie de mon personnel est déjà en congés jusqu'à la fin du mois. La préparatrice, qui ne souhaite pas se faire vacciner, est très impliquée sur les tests antigéniques. Si elle s'en va, nous allons être contraints d'arrêter les tests, ou alors nous n'en ferons plus que pour les cas contacts. On ne va pas pouvoir s'en sortir sinon. »
Ne pas se faire vacciner, quitte à perdre son travail
Cela fait une dizaine d'années que Camille travaille avec cette préparatrice qui a commencé sa carrière dans son officine. Elle connaissait les opinions de son employée et a même dû la recadrer après l'avoir entendue exprimer ses doutes sur les vaccins devant des patients venus se faire tester dans sa pharmacie. « Je ne pensais quand même pas qu'elle serait prête à jouer sa place pour cela, ce n'est pas normal d'en arriver à ce point, déplore Camille… Devoir me séparer de quelqu'un avec qui je travaille depuis autant de temps, ça me fait mal au cœur. J'ai toujours espoir qu'elle change d'avis mais si ce n'est pas le cas je vais devoir trouver quelqu'un pour la remplacer et, vu la situation géographique du village où se trouve mon officine, cela ne va pas être évident », appréhende-t-elle déjà.
Un recrutement qui tombe à l'eau
Président de l'Union des groupements de pharmaciens d'officine (UDGPO) et titulaire de la pharmacie du Ritouret à Blagnac, près de Toulouse, Laurent Filoche n'est lui pas passé loin de se trouver avec deux éléments en moins « à cause » de l'obligation faite aux salariés de l'officine de se vacciner contre le Covid. « L'une de mes préparatrices ne voulait pas se faire vacciner. Elle me demande si elle peut continuer à travailler quand même. Je lui ai bien sûr répondu que cela serait impossible. Elle ne s'attendait pas à cette réponse et a finalement décidé de se faire vacciner », témoigne Laurent Filoche, soulagé que son employée ait fini par changer d'avis. Et pour cause, il vient tout juste de renoncer à un recrutement pour la même raison. « Je devais remplacer une autre préparatrice qui m'a annoncé son départ il y a quelques mois. J'avais bouclé le recrutement de sa remplaçante il y a 3 mois, elle devait prendre ses fonctions le 1er septembre. Il y a quelques jours cette dernière m'envoie un SMS pour me dire qu'elle refusait de se faire vacciner et qu'elle renonçait au poste. Elle m'a planté au dernier moment, me laissant avec une personne en moins jusqu'au 1er octobre. » Avec pour conséquence une charge de travail supplémentaire pour le titulaire et les cinq salariés de son officine.
Depuis que l'on sait que les salariés de l'officine sont concernés par l'obligation vaccinale, Laurent Filoche voit également certains de ses confrères sous un nouveau jour. « J'ai découvert à ma grande surprise que des pharmaciens très investis dans les nouvelles missions, proches de leurs patients, sont en fait des antivax convaincus. On se rend compte ainsi que des personnes avec qui on travaille depuis longtemps se soignent par les pierres (lithothérapie N.D.L.R.) alors qu'on ne l'aurait pas soupçonné une seconde… », confie-t-il.
Des risques pour les officines déjà sous tension
Malgré les difficultés que l'obligation vaccinale peut engendrer dans certaines officines, dont la sienne, le pharmacien de Blagnac est très largement favorable à cette mesure. « On ne peut pas vacciner et ne pas être vacciné soi-même. Je ne souhaitais pas non plus que cette obligation soit repoussée comme ont pu le proposer certains. Cela dit, je trouve que l'on n’a pas pris la mesure de ses conséquences pour l'officine. L'Ordre et les syndicats ne traitent pas ce problème à sa juste valeur, critique-t-il. Même si l'on ne perd que 5 % des salariés de l'officine, si l'on se base sur les chiffres de la FSPF, il faudra au minimum 2 ans pour effacer cette perte et retrouver des personnes qualifiées. Le réseau est à bout, certains confrères sont déjà en grande difficulté au niveau des ressources humaines. Il est donc temps de former davantage d'apprentis pour pouvoir mieux anticiper les besoins humains à l'avenir », plaide Laurent Filoche.
Des titulaires sont-ils concernés ?
Malgré de nombreuses recherches et coups de fil, nous ne sommes pas parvenus à trouver un titulaire qui refuse d'être vacciné contre le Covid et qui serait donc dans l'impossibilité de travailler à partir du 15 septembre, même si des cas, sans doute extrêmement peu nombreux, doivent exister. Président de la section A du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, Pierre Béguerie, n'a pas non plus connaissance de cas à l'heure actuelle. « Maintenant que l'obligation vaccinale est en vigueur, il faut s'attendre à ce que l'agence régionale de santé (ARS) procède à des contrôles pour vérifier si les titulaires sont eux aussi vaccinés, précise-t-il néanmoins. Si certains ne le sont pas, l'ARS pourra entamer une procédure pouvant conduire à la fermeture de l'établissement, voire à une plainte au pénal. »
* Les prénoms ont été modifiés.
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