Petite structure en surface et en nombre de salariés, spécialiste du champ technique et complexe du médicament, dont les actes engagent la responsabilité sur la santé humaine, faisant face tous les jours au public et à ses demandes… Inutile de poursuivre bien loin le descriptif pour comprendre que l’officine ne peut échapper aux situations de stress. Un cadre d’exercice que ses nouvelles missions, les ruptures de stock et tous les aléas de la conjoncture économique ne viennent pas faciliter. Sans parler de la dernière crise sanitaire qui a placé l’officine aux premiers rangs des combattants… C’est dans ces temps troublés que Laurence Miquet a renoué avec l’exercice officinal. «Je me suis retrouvée derrière le comptoir au moment des premiers confinements.» Autrefois titulaire, Laurence reprend alors la pratique en tant qu’adjointe dans une pharmacie de centre commercial à Hazebrouck (Nord). «Nous avons été confrontés à l’agressivité du public qui demandait des masques et du gel hydroalcoolique, des produits qui manquaient cruellement à l’époque.» Avec l’équipe, elle tente d’endiguer les réactions violentes qui ne manquent pas de s’exprimer en expliquant la pénurie, en essayant de trouver des solutions pour chacun.
Valeur d’exemple
Un peu plus tard, les tests ont été instaurés en pharmacie et d’autres difficultés ont émergé. «Brutalement, nous nous sommes trouvés face à des files de personnes qui attendaient pour se faire tester», se souvient Laurence. «Il a fallu rapidement mettre en place cette nouvelle activité, organiser les flux de patients, effectuer les tests et gérer la remise des résultats. Tout notre temps a été monopolisé par la détection du virus, c’était difficile et frustrant.» Là encore, la relation au public n’est pas toujours sereine, le pass sanitaire étant alors exigé pour toute activité de loisir. «Entre ceux qui enchaînaient les tests par peur de se faire vacciner, ceux qui exigeaient leur gratuité et les anti-vax, notre patience a été mise à rude épreuve.»
Si une formation initiale en sophrologie a aidé l’adjointe à réagir avec calme et à désamorcer les situations conflictuelles, son rôle au sein de l’équipe l’a amenée à décider et à intervenir. «On oublie parfois que l’adjoint a un statut de cadre et n’est pas un salarié comme les autres», rappelle Philippe Lévy, consultant pour l’officine. «S’il n’est pas le premier décisionnaire concernant les orientations stratégiques de l’entreprise, il a pour mission d’accompagner l’équipe et doit donner l’exemple.» L’adjoint seconde le titulaire dans le fonctionnement de l’officine et dans le management de l’équipe. C’est ce que suppose la mention «cadre» inscrite sur sa fiche de paie, une réalité qui, dans l’exercice quotidien, n’est pas toujours observée. «La plupart du temps, il est focalisé sur sa responsabilité vis à vis de l’ordonnance alors qu’il a également un rôle managérial attendu au sein de l’équipe.» Dans les situations de crise, tout particulièrement, son attitude vaut pour exemple. Ses prises de décisions et sa faculté à organiser le travail aideront à faire baisser le niveau de stress collectif. Cette capacité se révélera tout particulièrement dans les cas extrêmes comme la prise en charge des urgences à l’officine. Soufiane El Ouazzani a pu mesurer l’importance de son rôle et de sa responsabilité le jour où une femme en détresse vitale a franchi le seuil de son officine.
Cas d’urgence
Victime d’un malaise, la personne est accueillie par l’adjointe de Soufiane, Stéphanie Stein, qui aussitôt lui propose de s’asseoir pour pouvoir prendre sa tension. Rapidement, la pharmacienne constate que la patiente a des difficultés pour respirer. «On n’est pas préparés à gérer ce type d’urgence, la seule formation qui nous a été dispensée est celle qui nous permet d’agir en cas de malaise suite à une vaccination», constate Soufiane. Or, la patiente ne sort pas d’une vaccination mais d’un déjeuner. Quand sa voix se met à changer, Stéphanie redoute un cas grave d’allergie alimentaire. Elle prévient Soufiane qui lui dit d’appeler le 15 et installe la personne en salle de soins. Sur les conseils de l’urgentiste, ils lui administrent un antihistaminique et de la cortisone en attendant l’arrivée des secours. Quelques minutes passent mais elle ne va pas mieux, sa tension artérielle chute et elle désature. Chez les deux pharmaciens, l’angoisse monte d’un cran.
Soufiane allonge la patiente et relève ses jambes mais rien n’y fait, son état se dégrade. L’urgentiste, toujours en ligne, conseille alors d’injecter de l’adrénaline. Le geste, qui doit être précis et rapide, plonge Soufiane dans un abîme de doutes. Faut-il piquer à travers les vêtements ou à même la peau ? Et comment fonctionne réellement le stylo injecteur ? L’urgence impose d’agir rapidement. À deux, on réfléchit mieux et les pharmaciens décident ensemble du geste à effectuer. «Heureusement que Stéphanie était présente.» Soufiane pique la patiente qui réagit un peu avant de se mettre à frissonner. C’est à nouveau l’angoisse pour le binôme de pharmaciens qui ne sera rassuré qu’à l’arrivée des secours quand la patiente aura récupéré. «Ils nous ont dit qu’on lui avait sauvé la vie mais le fait d’avoir pu être deux pour prendre la personne en charge a été salutaire», conclut le titulaire non sans avouer qu’après un tel épisode, toute l’équipe a demandé à être formée aux cas d’urgence. «Toute situation de crise à l’officine nécessite d’être analysée après coup avec l’équipe », souligne Philippe Lévy. « Il faut revenir sur les faits, savoir quelles ont été les réactions de chacun, ce qui a manqué, ce qui aurait pu être mis en place pour mieux faire face. Ainsi, l’équipe se renforce et acquiert de nouvelles compétences. »
Prévenir le stress
Il est, en outre, possible et souhaitable d’agir en amont pour prévenir les situations de stress qui peuvent également résulter de l’exercice quotidien, rapports difficiles avec la clientèle, tensions au sein de l’équipe, évolution constante de la pratique. Une pénibilité qui a conduit Johana Garcia, jeune diplômée, à ne plus consacrer que deux jours de son temps de travail à l’officine, le reste étant réservé à l’enseignement au sein d’un DEUST de préparateur. «J’ai voulu fuir le temps plein à l’officine, les journées trop longues et la pression croissante qui s’exerce sur l’adjoint pris en tenaille entre le titulaire, les patients et le prescripteur. » Elle décrit l’impératif du chiffre souvent à l’œuvre dans les officines parisiennes, l’enchaînement des ordonnances à traiter trop rapidement, sans pouvoir rentrer dans les détails du traitement, le manque de libre arbitre quand un médecin refuse d’entendre sa proposition et de modifier la prescription, l’exigence croissante des patients face aux ruptures mais aussi les conditions d’exercice qui se durcissent avec des nouvelles missions plus chronophages que rémunératrices et des marges qui se réduisent…
«De nombreux adjoints veulent se reconvertir aujourd’hui. Ils témoignent des difficultés du métier sur les réseaux sociaux et créent des groupes de parole», poursuit Johana. Ces situations «classiques» de stress peuvent pourtant être anticipées. Mais pour cela, il faut que l’adjoint et le titulaire en aient discuté au préalable. «Ils doivent se réunir régulièrement et mettre au point des stratégies de management afin de réagir le plus efficacement possible dans ces circonstances. L’adjoint doit aussi s’être interrogé pour savoir ce qu’il attend de l’équipe et la façon dont il doit agir en cas de tension. Il est un repère pour le groupe et son rôle est essentiel au fonctionnement de l’entreprise», conclut Philippe Lévy.
Trois questions à…
Bruno Maleine
Président du Conseil central A de l’Ordre National des Pharmaciens
Le Quotidien du Pharmacien. – Il n’est pas rare que les adjoints aient à prendre en charge de situations d’urgence sanitaire (accident, malaise, blessures…). Quelles sont les obligations de l'officine en la matière ?
Bruno Maleine. – Comme tous les citoyens, le pharmacien a un devoir civique d'assistance aux personnes en détresse. En tant que professionnel de santé, il est par ailleurs tenu de porter secours, dans les limites de ses connaissances, à toute personne en danger immédiat (article R 4235-7 du Code de la santé publique). Le type de circonstances dans lequel il doit intervenir n'est pas défini mais l'officine est un lieu de santé de proximité qui la place en première ligne pour porter assistance. Elle doit d'ailleurs être équipée d'une trousse renfermant tout le matériel nécessaire pour effectuer les premiers soins dont le contenu ainsi qu'un référentiel «Urgences et premiers secours » sont consultables sur le site www.demarchequaliteofficine.fr. Dans une situation d'urgence, le pharmacien doit faciliter l'intervention des secours en les contactant, en leur délivrant toute information (signes cliniques de détresse) qui permettrait d'accélérer leur action. S'il doit porter les premiers soins, il est préférable d'installer la personne dans un espace de confidentialité. Tous les gestes effectués devront faire l'objet d'un descriptif, une procédure de traçabilité indispensable dans la mesure où la responsabilité du pharmacien est engagée.
Quelles sont les formations obligatoires à l'officine ?
Selon l'arrêté du 30/12/2014, le pharmacien doit pouvoir attester d'une formation aux gestes et soins d'urgence de niveau 2 (AFGSU). Celle-ci est obligatoire et a pour objectif d'acquérir les connaissances permettant de reconnaître les signes de détresse et de prendre en charge les patients en situation d'urgence. Elle doit être renouvelée tous les quatre ans. Le pharmacien peut compléter cette formation en passant le brevet national de secourisme qui, lui, n'est pas obligatoire.
Quelles sont les obligations réglementaires de l'officine en cas de rupture de stock d'un médicament ?
Une charte de bonne conduite, signée fin 2023 par l'ensemble des acteurs impliqués dans la distribution du médicament, engage chaque professionnel de santé à agir en responsabilité face aux situations de rupture. Hormis cet engagement, il ne peut que se tenir informé des événements (sur le site Vigirupture) et orienter les patients vers la pharmacie la plus proche quand il ne peut dispenser la spécialité demandée.
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