Ces pharmacies ont fait leur fortune en vendant outre-Rhin, depuis maintenant plus de 15 ans, des OTC achetés beaucoup moins cher aux Pays-Bas, et en reversant à leurs clients allemands une partie de l’importante différence de prix existant entre les deux pays.
À partir de 2013, ces plateformes ont proposé des prescriptions sur le même modèle économique, mais la justice allemande a toujours réussi à faire interdire ces remises, qu’elles prennent la forme de « ristournes », de « boni » ou de bons de réduction offerts aux clients. Résultat, contrairement aux OTC pour lesquelles les différences de prix peuvent être spectaculaires, les prescriptions en ligne n’offrent aucun avantage financier aux patients… et stagnent donc depuis des années autour d’un pour cent du marché. Toutefois, cette interdiction nationale n’en reste pas moins contraire au droit européen. En 2016 en effet, la Cour de justice européenne a jugé que l’Allemagne n’est pas fondée à faire appliquer son droit pharmaceutique, qui interdit les ristournes sur les prescriptions, en dehors de son territoire : comme elle autorise les ventes de prescriptions en ligne sur son sol, elle doit les autoriser depuis l’étranger… et dans ce cas y compris avec des ristournes.
L'épée de Damoclès des prescriptions ristournées
Depuis, le gouvernement allemand a encore renforcé sa réglementation pour empêcher ces ristournes, mais les pharmaciens vivent sous une épée de Damoclès : si l’Allemagne est finalement tenue d’appliquer cet arrêt européen, les prescriptions « ristournées » risquent de déferler dans le pays, mettant encore plus à mal les officines déjà durement touchées par la concurrence des OTC en ligne.
Or, selon cet article d’« Handelsblatt » paru début août… et confirmé par Doc Morris qui ne décolère pas dans cette affaire, la Commission envisagerait purement et simplement d’enterrer sa plainte. Certes, l’infraction au droit européen reste constituée, mais une telle décision, aurait estimé la Commission, risquerait de trop affaiblir les pharmacies, alors même que le Covid a mis en avant l’importance de conserver et de soutenir un réseau officinal efficace et capable, à l’inverse des plateformes, d’offrir des services indispensables à la santé de la population. Les pharmaciens allemands boivent du petit-lait depuis cette information, toutefois ni confirmée ni infirmée par la Commission, alors que Doc Morris menace déjà de constituer une nouvelle plainte.
Les impératifs de protection de la santé publique, prioritaires sur les lois européennes
Dans tous les cas, si la décision est prise, ce que l’on ne saura sans doute pas avant plusieurs mois, elle s’inscrirait dans la droite ligne de l’arrêt « historique » du 19 mai 2009, réservant aux seuls pharmaciens d’officine le droit d’exploiter une pharmacie et interdisant de fait les chaînes. Dans cette affaire, qui opposait – déjà - Doc Morris, mais cette fois à l’Italie, la Cour de justice européenne avait certes estimé que la loi italienne sur la propriété des officines, de même que celle de plusieurs autres pays dont l’Allemagne et la France, était contraire au principe européen de liberté d’établissement et de circulation des capitaux. Mais cette restriction, ajoutait la Cour, se justifiait par des impératifs de protection de la santé publique, prioritaires sur les lois européennes. La confirmation de l’interdiction des ristournes sur les prescriptions pourrait donc, au-delà du soulagement des pharmaciens allemands, conforter l’ensemble des pharmaciens européens dans l’idée que même si certaines de leurs lois nationales enfreignent les règles communautaires, elles restent valides au nom des intérêts supérieurs des habitants des pays concernés.