- Bonjour Julien, je suis Stéphanie. Tu as fait bon voyage ?
- Bonjour, répond Julien en descendant de sa voiture.
Les deux pharmaciens se regardent. C'est très étrange de saluer quelqu'un s'en pouvoir s'en approcher. En d'autres circonstances, ce comportement serait parfaitement impoli. Même après un mois de confinement, les habitudes sont tenaces et seule la raison rappelle in extremis qu'il est préférable de ne pas se serrer la main.
- Alors je te montre l'appartement ? Nous l'avions aménagé il y a quelques années, pour faciliter la venue des remplaçants, mais il n'a pas servi depuis deux ans. Même pour les gardes, je ne reste que très peu ici. Tu verras, c'est tout de même très confortable. N'hésite surtout pas à me demander quoi que ce soit. Je t'ai préparé à manger pour ce soir et je te fournirai ce qu'il faut les autres jours. En temps normal, tu serais venu dîner à la maison, mais…
Embarrassée, Stéphanie ne termine pas sa phrase et ouvre la porte. Julien la suit à l'intérieur. L'appartement est situé au-dessus de la pharmacie. Plutôt spacieux et très lumineux, Julien s'y sent rapidement bien.
- Tu as eu raison de venir en voiture. Le train n'est pas tout à fait adapté en période de confinement.
- Je me suis dit que ça irait plus vite au final, même si ça fait 700 km. Comment va votre équipe ?
Stéphanie remplit deux verres d'eau et s'assoit en face de Julien.
- Ça va, merci. Chantal, ma préparatrice, est sortie de réanimation. Mais elle est toujours hospitalisée et extrêmement fatiguée. C'est une vraie claque cette maladie. Pour les autres, c'était moins grave mais ils ont tous encore de la fièvre.
- Et vous ?
- Oh, écoute ! Moi pour le moment ; je touche du bois mais ça va. J'ai eu des symptômes mais le test s'est révélé négatif. C'est à n'y rien comprendre. Je suis entourée de cas positifs, je déclare des symptômes, mais les tests sont négatifs. Dis-moi Julien, tu es d'accord pour qu'on se tutoie ? ça sera plus simple…
Le lendemain matin, Julien se présente à la pharmacie par la porte intérieure. Il est 8 heures et la pharmacie n'ouvre qu'à 10 h 00 au public. Stéphanie est en train de réceptionner la commande.
- Bonjour Julien. Tu as bien dormi ? Je vais te montrer rapidement la pharmacie. Malheureusement, nous n'avons pas beaucoup de temps mais toutes les pharmacies se ressemblent plus ou moins.
Le regard de Julien se pose sur une pile d'ordonnances posées sur le comptoir. Stéphanie le remarque et lui explique l'organisation en temps de crise :
- Nous avons restreint nos horaires d'ouverture, mais nous invitons les patients à nous déposer les ordos dans la boîte aux lettres, ou, pour ceux qui savent faire, à nous les envoyer par téléphone. Comme ça, on les prépare tranquillement et on leur cale un rendez-vous pour venir chercher les traitements. Ici, ce sont les traitements qui doivent partir ce matin. Ici, les ordonnances que nous avons à préparer. On va se partager le travail comme ça : toi et Éric, notre seul préparateur non malade, vous préparez et, dès que le traitement est complet, vous envoyez un SMS au patient avec un horaire de rendez-vous. Je m'occuperai de remettre les traitements qui sont prêts.
Julien acquiesce. À trois personnes au lieu de sept, la pharmacie est obligée de s'adapter et de s'organiser différemment, sans rogner la qualité du service pharmaceutique.
(À suivre…)