Conjugaison d’un anticorps monoclonal anti-HER2 et d’un inhibiteur de la topoisomérase I, le trastuzumab deruxtecan (T-Dxd, Enhertu) ne bénéficie actuellement au stade métastatique qu’aux tumeurs surexprimant fortement HER2, soit environ 15 à 20 % seulement des cancers du sein. Mais l’étude Destiny-Breast 04 (1), publiée à l'occasion du congrès, vient changer la donne. Ovationné en session plénière, cet essai de phase 3 randomisé, en ouvert a été mené chez les patientes surexprimant faiblement HER2, « HER2-low », qui correspondent à environ 60 % des tumeurs mammaires (considérées jusqu’à présent HER2 négatives).
Bénéfice inédit d’un anticorps conjugué dans le cancer du sein
Les 557 patientes métastatiques incluses, prétraitées par chimiothérapie, recevaient soit le T-Dxd, soit une chimiothérapie au choix du médecin. Dans la cohorte ayant des récepteurs hormonaux (RH) positifs (89 % des sujets inclus), la survie sans progression (SSP) atteignait 10,1 mois sous T-Dxd versus 5,4 mois sous chimiothérapie (p < 0,0001), soit une réduction de 49 % du risque de progression ou de décès.
La survie globale (SG) était prolongée de plus de six mois (23,9 versus 17,5 mois, p = 0,0028), diminuant de 36 % le risque de décès. Ce bénéfice est retrouvé sur l’ensemble de la cohorte, avec une baisse de 50 % du risque de progression (SSP : 9,9 versus 5,1 mois, p < 0,0001) et de 36 % du risque de décès (SG : 23,4 versus 16,8 mois, p = 0,001). Il est également constaté chez les patientes de mauvais pronostic, avec des RH négatifs (SSP : 8,5 versus 2,9 mois ; SG : 18,2 versus 8,3 mois).
Concernant la tolérance, davantage de nausées (73 % versus 24 %) et de pneumonies (12 % versus 1 %) ont été rapportées. « T-Dxd est la première thérapie ciblant HER2 à démontrer, versus chimiothérapie, une amélioration sans précédent, statistiquement et cliniquement significative, de la SSP et de la SG, a conclu la Dr Shanu Modi (New York) lors de sa présentation en session plénière. Destiny-Breast 04 établit les cancers du sein métastatiques HER2-low comme une nouvelle population cible, avec T-DXd comme nouveau standard. »
Par ailleurs, l’étude Tropics 02 a évalué le sacituzumab-govitecan (Troveldy) (2), cet anticorps anti-Trop-2 conjugué à la chimiothérapie SN38 (inhibiteur de la topoisomérase I), qui bénéficie en France d’un accès précoce dans les cancers du sein métastatiques triple négatifs. Chez 543 patientes RH positives et HER2 négatives, lourdement prétraitées au stade métastatique, le sacituzumab-govitecan prolonge la SSP par rapport à la chimiothérapie (5,5 versus 4 mois, p = 0,0003), soit une réduction de 34 % du risque de progression. « À12 mois, c’est trois fois plus de patientes en SSP (21 % versus 7 %), avec un bénéfice retrouvé dans tous les sous-groupes », précise le Pr Jean-Yves Blay, président d’Unicancer. Par contre, la SG n’était pas améliorée. « Les anticorps conjugués représentent une approche très prometteuse dans ces cancers du sein et probablement dans d’autres tumeurs », ajoute le Pr Blay.
Un changement de paradigme dans les tumeurs colorectales
Dans les cancers colorectaux (CCR) métastatiques RAS non mutés (40 à 50 % des CCR), l’étude japonaise Paradigm (3) a évalué en première ligne le panitumumab (PAN, anti-EGFR, Vectibix), par rapport au bévacizumab (BEV, anti-VEGF, Avastin), chez 823 patients également traités par la chimiothérapie mFOLFOX6. Après 61 mois de suivi, le PAN réduisait de 18 % le risque de décès dans les tumeurs du côlon gauche (SG : 37,9 versus 34,3 mois, p = 0,031) et de 16 % sur l’ensemble de la population (SG : 36,2 versus 31,3 mois, p = 0,03). Le taux de réponse était amélioré sous PAN (respectivement 80,2 % versus 68,6 % et 74,9 % versus 67,3 %), mais la SSP équivalente à celle du BEV. « Cet essai va probablement changer nos paradigmes dans cette situation assez fréquente », souligne le Pr Blay.
Le sarcome d’Ewing sort de l’oubli
Tumeur osseuse maligne touchant majoritairement les jeunes âgés de 5 à 25 ans, le sarcome d’Ewing, réfractaire ou en rechute, a été l’objet d’un premier essai de phase 3 randomisé sur 439 patients (4). Menée dans une maladie orpheline dépourvue de standards thérapeutique en deuxième ligne, l’étude rEECurportait sur une population pédiatrique, adolescente et de jeunes adultes. « La méthodologie est pragmatique et originale, relève le Pr Blay. Elle permet de sélectionner rapidement les bras de traitements les plus efficaces (parmi quatre protocoles évalués). » L’analyse présentée comparait donc les deux bras de traitements retenus : l’association topotécan et cyclophosphamide (TC) versus l’ifosfamide haute dose (Ifos).
Après 47 mois de suivi, l’Ifos prolongeait significativement la survie sans récidive par rapport au TC (SSR : 5,7 versus 3,5 mois) et la SG (15,4 versus 10,5 mois), malgré davantage d’arrêts de traitement liés à la toxicité (26 % versus 0 %). Il améliorait ainsi la SSR à six mois (47 % versus 37 %) et la SG à un an (55 % versus 45 %). « Cette édition 2022 a été riche par la nouveauté des cibles et les changements de pratiques qu’elle suggère, conclut le Pr Blay. C’est un Asco révolutionnaire de plus ! »
(1) Modi S et al. New Engl J Med, 5 juin 2022, DOI: 10.1056/NEJMoa2203690
(2) Rugo HS et al. abstract LBA 1001
(3) Yoshino T et al. abstract LBA1
(4) MacCabe M et al. abstract LBA2