En deux ans, la crise sanitaire sera parvenue à modifier la perception du système de soins jusque dans les conventions entre les professions de santé et l'assurance-maladie. Dernière en date à avoir été signée, la convention pharmaceutique a lancé, le 9 mars, la profession sur de nouveaux rails, plaçant le pharmacien comme le point essentiel de l'accès aux soins, un pivot du parcours de soins du patient et un acteur majeur dans les campagnes de santé publique.
Dans ce registre, Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à l'assurance-maladie, rappelle que la crise a révélé les inégalités de santé. « Dans des territoires comme la Seine-Saint-Denis, nous avons vu le Covid rattraper les populations en marge du système de soins et néanmoins très vulnérables, personnes diabétiques, obèses… L'enjeu collectif est de réduire ces inégalités. La pharmacie, de par sa couverture territoriale, sa proximité avec les patients et la confiance qu'ils lui accordent, est un élément essentiel dans la réduction des inégalités, en tant que porte d'entrée pour les patients les plus éloignés du système de soins », expose-t-elle. Elle ajoute que l'investissement de l'assurance-maladie dans le réseau officinal - au travers de la convention- est à la hauteur de l'effort que celui-ci a fourni tout au long de la pandémie.
Un goût d'inachevé
Pierre-Olivier Variot, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO), constate pour sa part que la convention, rapidement négociée, n'a pas été en mesure de répondre à tous les défis du futur. Une nouvelle loi Santé sera, selon lui, indispensable dès le début de la prochaine mandature. Cependant, les négociations ont su se distancer rapidement d'une vision purement comptable du rôle officinal. « Nous nous sommes davantage attachés, avec l'assurance-maladie, à pérenniser tout ce que les pharmaciens ont pu faire pendant la crise », expose-t-il. Ce volet métier qui résulte de la convention a cependant un goût d'inachevé. Il en convient. « Mais, rassure le président de l'USPO, nous y reviendrons en 2023. » Un deuxième volet abordant l'économie et d'autres missions est en effet prévu à cette échéance.
Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), revient sur l'un des enseignements de cette crise. « Les soignants ont dû intégrer une nouvelle notion qui est celle "d'aller vers". Or nous ne sommes pas formés à aller à la rencontre des patients. Nous avons besoin de formation », pointe-t-il. Une « disruption » que ne manque pas de relever Numan Bahroun, président de l'Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF). Et qui n'est pas pour déplaire aux futurs pharmaciens. « La convention donne envie de changer le métier, de se donner davantage dans la prévention, d'agir dans son environnement », décrit-il.
Une nouvelle appétence des jeunes pour le métier dont se félicite Philippe Besset. Il n'en reste pas moins, souligne-t-il, que le succès de ces nouvelles missions dépendra de la mise à disposition aux pharmaciens d'un outillage numérique adéquat. Prévu dans le cadre du Ségur du numérique en santé, explique le président de la FSPF, il est désormais dans les mains des éditeurs de LGO. Ceux-ci seront rémunérés directement par l'État après la remise d'un bon de commande par le titulaire, qui n'aura rien à débourser. « Les éditeurs de LGO ont officiellement jusqu'en mars prochain pour nous le fournir, mais j'aimerais que tout cela soit prêt pour septembre », insiste Philippe Besset.
Numérique et réglementaire
Car le temps presse. Tant du côté de l'officine que de l'État. Marguerite Cazeneuve mise en effet sur la construction d'un système numérique, équivalant à un code de l'urbanisme pour la santé, et qui détiendrait des infrastructures permettant aux patients ainsi qu'aux professionnels de se raccrocher au réseau. « Les logiciels vont devenir interopérables en ce qui concerne la communication commune à tous, mais chacun conservera la partie métier qui lui est propre », résume la directrice déléguée de l'assurance-maladie avec, en ligne de mire, la généralisation de « mon espace santé », d'ici à deux ans.
Face aux avancées de la profession, le numérique n'est pas le seul à devoir opérer une marche forcée. Le réglementaire a, lui aussi, quelques séances de remise à niveau devant lui. Philippe Besset cite pour exemple la vaccination par le pharmacien, désormais inscrite à la convention pharmaceutique, mais qui nécessite encore plusieurs textes pour être opérationnelle. Le ministère doit fixer la liste des vaccins autorisés en pharmacie après avis de la Haute Autorité de santé (HAS). De même, il doit encore définir les vaccins que pourront prescrire les pharmaciens après que l'Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) en aura déterminé la liste. Alors seulement le ministère pourra publier l'arrêté autorisant la prescription et l'administration de ces vaccins par le pharmacien. C'est dire si, une fois de plus, l'officine joue un rôle d'avant-garde.
D'après une conférence Pharmagora.