À la nuit tombée, quand nos bateaux-annexes sont entrés en contact sur le Rio Tapajos avec les pirogues des Munduruku, menées par des hommes torse nu en pagne et couronne de plumes, nous nous sommes pris pour des ethnologues face à une peuplade inconnue. Foin de fantasmes… Les Munduruku, peuple d’origine
amérindienne, ne sont pas une tribu isolée comme il en existe encore en Amazonie, territoire de 6,7 millions de km² grand comme les deux tiers de l’Europe. À Bragança, près de Santarém, cette communauté de 80 personnes (pour environ 5 000 dans la région) est tout à fait connectée au monde, mais a conservé un mode de vie traditionnel. Autour de leur cacique (chef), ils remercient chaque semaine le Dieu Tupá, dans un rituel de danses et de chants autour du feu. Ils parlent aussi une langue autochtone et vivent de la culture du manioc, de la pêche et d’un peu d’artisanat. Les seuls touristes qu’ils reçoivent sont ceux de « l’Amazon Dream ».
Se laisser porter par la magie du grand fleuve est la meilleure façon de ressentir la vie des caboclos, nom générique donné aux habitants des rives amazoniennes et de ses affluents, larges parfois comme des bras de mer. Plus que les pistes, les cours d’eau sont les axes de vie. On y croise des ferries transportant du bétail, des pirogues emportant des denrées et des poissons, des pêcheurs tirant leur filet, des paysans en barque, des maraîchers cultivant patates douces et potirons. C’est le privilège du voyageur d’observer cela, parfaitement installé sur un bateau traditionnel construit pour le bien-être de touristes occidentaux. Ainsi va la vie sur « l’Amazon Dream », dans le confort de cabines en bois et d’une table exaltant les légumes et les fruits locaux.
La visite chez Rosa, habitante du fleuve et protectrice des animaux, régnant sur un petit domaine forestier depuis sa maison sur pilotis, restera un temps fort. Comme les rencontres avec les Quilombos (descendants d’esclaves) de Pacoval, les planteurs de manioc de Vista Alegre, les tresseuses de feuilles de palmes et les enfants de l’école d’Urucureá, village isolé à l’embouchure du Rio Tapajos.
L’Amazone est une mer intérieure et qui dit mer dit plages. Mais la surprise est grande de découvrir ici des plages paradisiaques. Un air des Caraïbes flotte sur le fleuve et le Rio Tapajos, en témoignent les bancs de sable immaculés et la présence surprenante d’une station balnéaire, Alter do Chão, près de Santarém. Même Belém, la capitale du delta, est une fille de l’eau. Elle est invariablement arrosée chaque jour par une violente ondée tropicale, entre 17 heures et 18 heures.
Naviguer sur l’Amazone, c’est bien sûr l’occasion d’admirer faune et flore. Voilà l’autre intérêt de la croisière : naviguer au plus près des rives, mettre un nom sur un oiseau ou un reptile ignoré, s’extasier devant la richesse folle de la végétation. Retenons les plus belles rencontres : le paresseux rivé à sa branche, l’inévitable caïman (le jacaré), dont l’espèce açu mesure jusqu’à 7 m, l’hoazin roux, roi volatile de la jungle, le mystérieux ibijau, oiseau nocturne immobile, l’exceptionnel morpho, papillon fuyant étincelant de bleu, le jararaca (serpent) à ne surtout pas déranger, les facétieux singes saïmiris.
Lorsque la forêt est muette, les fleuves prennent la relève. Des dauphins roses et gris surgissent aux confluents, apparitions magiques. Les poissons se complaisent dans ce milieu : tucunaré, piracuru (jusqu’à 3 m), surubin, piranha… On estime à plusieurs milliers le nombre d’espèces animales vivant dans le bassin amazonien. C’est aussi la jauge pour compter les variétés d’arbres et de plantes. Plus de 15 000 espèces végétales, dont 5 000 seulement sont parfaitement identifiées. La litanie des noms révèle une poésie exotique : andiroba, sepopia, mukumuku, sapokaiera, sucuba, jatoba, apuizeiro… L’Amazonie a beau ne représenter que 1,5 % de la surface du globe, elle abrite un tiers des espèces animales et végétales.
Et la déforestation, alors ? Avec les incendies de l’été 2019, le sujet était sur toutes les lèvres. La plupart des feux se sont déclarés au sud, dans les zones de contact entre les terres d’agrobusiness et la jungle. En cause : la demande mondiale pour le soja et la viande de bœuf. Sans états d’âme, des investisseurs défrichent pour lancer de nouvelles cultures et des pâturages. En cinquante ans, 20 % de la forêt amazonienne a été détruite. Un voyage là-bas encourage à devenir un fervent défenseur de ce territoire exceptionnel.