Au fur et à mesure que se diversifient et s'affirment les missions du pharmacien de ville, des adjoints décident de mener de front une carrière officinale et une activité complémentaire. Que ce soit dans la formation, l'enseignement, la presse professionnelle ou en tant que consultant, leur motivation à s'engager dans cette voie est guidée par une volonté de valoriser leurs compétences individuelles et, plus largement, la profession.
Sortir de l'officine permet d'enrichir l'activité officinale
Adjointe dans le 9e arrondissement de Paris, Isabelle Savoyaud concilie son exercice officinal et son activité de formatrice indépendante (elle intervient au sein de l'organisme Christine Caminade Conseil) depuis plusieurs années : « c’est toujours constructif d’échanger sur des expériences, de partager le vécu des confrères et consœurs. Les pauses sont particulièrement propices à la discussion et le fait de connaître le terrain est très apprécié des participants. » Même constat pour Élise Haro-Brunet, qui considère la formation comme une suite naturelle du métier qu’elle a choisi d’exercer : « avant de choisir le cursus pharmacie, j’ai hésité avec le métier d’enseignant. Au fil de ma carrière, ce désir de partager ne m’a jamais lâché et s’est concrétisé par diverses expériences. » De l’élaboration de formations écrites dans la presse professionnelle aux interventions en école d’infirmière, Élise Haro-Brunet n’a jamais cessé de mettre ses connaissances et sa passion de transmettre au service des professionnels de santé. Aujourd’hui, en plus de son activité officinale, elle est formatrice au sein de l’organisme Pharmaconsulting et conseillère en lactation auprès du réseau de santé périnatal parisien. « En formation, je participe à la conception des supports et j'anime les sessions. Cette activité me pousse à remettre constamment à niveau mes connaissances, parce que les recommandations en santé évoluent sans cesse. »
Pas l'une sans l'autre
Pour Élise Haro-Brunet, cette double casquette est une chance mais aussi un besoin : « je n’imagine pas être adjointe sans être formatrice. » Au-delà de l’échange avec les confrères, elle observe que ses activités hors officine facilitent la rencontre avec les autres professionnels de santé : « Dans le cadre de la formation allaitement par exemple, nous avons ouvert des sessions pour les médecins et les sages-femmes. Idem pour la vaccination (contre le Covid), puisque nous intervenons auprès des chirurgiens-dentistes. C’est un sacré défi de former d’autres professionnels de santé, mais cela permet de créer une cohérence au sein du réseau interprofessionnel. »
Outre la formation, d'autres adjoints décident de s'impliquer plus largement dans le parcours de soins des patients, au sein de projets portés par des entreprises ou des associations. C'est le cas d'Emmanuel Le Poul ; depuis sa reconversion en pharmacien d’officine il y a cinq ans (il était responsable recherche et développement dans l’industrie biotech) et malgré son temps plein d'adjoint, ce confrère ne cesse de multiplier et d’enrichir son métier au gré des formations et des missions. « Lorsque j’ai décidé de poursuivre ma carrière à l’officine, je me suis aussi promis d’en sortir. Je vis la pharmacie tout le temps, même quand je ne suis pas au comptoir. » Chroniqueur pour Pharmaradio où il a créé un rendez-vous spécial pour les équipes officinales baptisé la Brigade, il participe par ailleurs au développement de la start-up Nuvee en tant que responsable pédagogique et des partenariats : « Nuvee développe du contenu pédagogique scénarisé et ludique à destination des patients en surpoids ou obèses. L’objectif est de les accompagner dans la compréhension de leur maladie, en leur apportant des solutions par l’alimentation et la nutrition. » En oncologie, il a également participé à la création de la plateforme AKO@DOM et de son application AKO@PHARMA pour les pharmaciens officinaux, avec la start-up Continuum plus. Que ce soit à l’officine ou dans ses autres activités, une ligne directrice guide les choix et l'engagement d'Emmanuel Le Poul : « valoriser l’équipe officinale et promouvoir la place du pharmacien dans les réseaux de soins. » Et de citer, telle une devise, une phrase du doyen Souleau, de la faculté Paris XI : « il n’y a pas de parcours tracé : dérogez ! »
Temps, rémunération : un équilibre à trouver
Pour déroger à l'exercice officinal exclusif, Emmanuel Le Poul a « la chance » d’exercer dans une pharmacie qui lui permet d'intervenir hors de l'officine, notamment grâce à un emploi du temps adapté : « J’ai changé de pharmacie depuis peu, sans rien cacher de mes activités extra-officinales. Mon nouveau titulaire a tout à fait compris cet engagement, et son intérêt à intégrer dans son équipe des collaborateurs qui ont une approche à 360° de la pharmacie. » Mais concilier une activité extra-officinale et un poste d’adjoint n’est pas toujours aussi simple ; le temps ou l'aspect financier sont les principaux freins à cette diversification professionnelle. « Pour avoir un peu de souplesse, il faut effectivement une certaine tolérance de la part du titulaire », note Isabelle Savoyaud. « Tout dépend de la cadence des formations ; quand il a fallu former les pharmaciens à la vaccination contre la grippe par exemple, le rythme était particulièrement soutenu, à raison de deux formations par semaine », se souvient Élise Haro-Brunet. Le compromis idéal pour assurer deux activités est toujours délicat à trouver, d’autant plus qu'une crise du personnel est constatée dans le secteur officinal. Pour l'adjoint, la décision de restreindre son temps officinal et, en conséquence, le salaire associé, doit également tenir compte de la capacité rémunératrice de l'activité complémentaire.
Plusieurs activités mais un seul métier : pharmacien
En contrepartie, l'officine bénéficie généralement des compétences de l'adjoint acquises dans le cadre de ses activités complémentaires : « La formation nous pousse à approfondir les dossiers, à enrichir et actualiser nos connaissances. Alors, évidemment, cela sert indirectement l'officine. » Bien que valorisés par leur activité extra-officinale, les trois pharmaciens ont appris à rester humbles vis-à-vis de leurs collègues de l'officine. « Je fais très attention à ne pas trop parler de mes expériences. D’ailleurs, j’apprends beaucoup de l'équipe. Et puis le terrain est un vrai bac à sable, dans le sens où il stimule la créativité et l’innovation », conclut Emmanuel Le Poul.