Pour ces adjoints qui coiffent la double casquette de formateur et d’officinal, difficile d’envisager l’une des activités sans l’autre, tant elles sont complémentaires. Au besoin d’être en prise avec le terrain pour bien préciser les thématiques d’enseignement dont l’officine pourrait bénéficier dans sa pratique quotidienne, s’est récemment ajouté un autre intérêt vital, celui de conserver une activité professionnelle dans les périodes où la demande de formation marque le pas.
L’officine, mobilisée par la crise sanitaire, est en effet à l’origine d’une baisse des « commandes » parfois drastique à laquelle ont dû faire face certains formateurs depuis deux ans. Une situation qui a conduit Catherine Auger à renouer avec l’exercice officinal en tant qu’adjointe dès les débuts 2020. La reconversion de cette ancienne titulaire dans la formation avait pourtant été parfaitement finalisée : création de son entreprise en binôme avec une consœur, spécialisation - en management, coaching, qualité - décidée, contenus articulés et prêts à être délivrés, certification de formateur – validant la capacité à proposer un parcours pédagogique – obtenue… Jusqu’à ce que l’épidémie mette fin au projet de formation impossible à dispenser en distanciel. Selon l’ANDPC*, les inscriptions des pharmaciens aux actions de développement professionnel continu (DPC), dispensées par un petit millier d’organismes, ont chuté de 55 % de 2019 à 2020.
Le cas pratique comme clef de l’enseignement
Nathalie Walter, qui dispense certaines de ses sessions via l’application Zoom, a pu maintenir son activité. Son mode de pratique y a aussi contribué puisqu’elle délivre ses modules pour le compte d’organismes de formation et de groupements tout en assurant des prestations au nom de sa propre entreprise NWR Formation. Une façon de multiplier les occasions de travailler qui, tout en conservant un poste d’adjoint intérimaire en pharmacie, inclut également un enseignement en nutrition dans une école de préparateurs. « J’ai pris goût à l’enseignement lors d’une période passée dans l’industrie où je formais les visiteurs médicaux à des thématiques très variées, psychiatrie, oncologie, cardiologie, diabétologie… » Elle en retire pratique et expertise dans des domaines pointus qui lui permettront de lancer sa propre activité de formation, aujourd’hui spécialisée dans la prévention (vaccination Covid/grippe, TROD angine), la nutrition, la vente et le management.
Responsable d’un DU d’orthopédie, enseignant en 6e année à la faculté de pharmacie et formateur à l’officine par le biais de son entreprise Focalys, Lydwin Hounkanlin joue également sur plusieurs tableaux de l’enseignement tout en essayant de conserver une pratique officinale. « Le principe c’est d’être un pharmacien en exercice qui s’adresse à d’autres pharmaciens et préparateurs en exercice car il faut pouvoir comprendre l’évolution de la profession pour répondre aux besoins de connaissance des équipes qui prennent en charge les patients. » La pharmacologie et la pharmacie clinique constituent, par exemple, des besoins aigus de formation au sein des équipes. « Quand on est sorti du cursus universitaire, il est difficile de trouver une session de formation à la journée en pharmacie clinique. » Les bilans de médication, les entretiens pharmaceutiques avec les patients sont également des exercices à approfondir car ils ont du mal à être priorisés dans la pratique officinale. « Pour résumer, toutes les thématiques liées à l’ordonnance et au suivi des patients peuvent être abordées avec profit à l’université comme à l’officine. Ils donnent lieu à de multiples situations de comptoir, jeux de rôle, cas pratiques qui donnent vie à l’enseignement et permettent de poser quantité de questions utiles. »
L’intérêt d’une approche pratique adaptée aux besoins des officinaux, est également évoquée par Maryne Thierry Duriot. D’où l’importance, pour la formatrice et directrice de l’organisme de formation Pharmaconsulting, de conserver un exercice officinal. D’autres atouts seront nécessaires. « Un bon formateur doit disposer d’une expertise spécifique dans un domaine thérapeutique et/ou un profil de pharmacien clinicien, mais aussi savoir transmettre pour faire monter ses collègues en compétence. » Des qualités que lui confèrent une formation ciblée – orthopédie, pharmacie clinique, gérontologie, oncologie, infectiologie – ainsi qu’un parcours amorcé en faculté par la conduite de TD et poursuivi au sein du centre de pharmacovigilance de l’hôpital Cochin à Paris. Le métier de formateur comporte cependant d’autres avantages que le seul plaisir d’enseigner. « C’est une opportunité pour faire varier et évoluer son activité… qui peut apporter une rémunération complémentaire pour un adjoint ! »
Tous les visages de la formation
Pour qui veut se lancer dans l’aventure de la formation, différents statuts existent, cependant, qui ne requièrent pas les mêmes exigences administratives. Créer un organisme de formation, par exemple, impose de répondre à un cadre de contrôle assez strict. Après s’être enregistré auprès de la préfecture, il faudra obtenir la certification qualité Qualiopi, obligatoire depuis janvier 2022 pour tous les prestataires de formation qui veulent bénéficier des fonds publics de financement. « En plus des évaluations des stagiaires au début et en fin de parcours, la procédure Qualiopi est assez contraignante car elle impose l’évaluation des sessions par le formateur, la personne formée, le donneur d’ordre ainsi que la rédaction de documents de synthèse et bilan pour rendre compte de la qualité de la prestation, précise Christine Caminade (Christine Caminade Conseil), présidente de l’Unoformation (association qui regroupe 16 organismes de formation continue indépendants). Ces démarches viennent s’ajouter aux contraintes administratives déjà chronophages qui incombent à tout organisme de formation. » Là ne se bornent pourtant pas les obligations de la structure qui devra également déposer un dossier répondant aux orientations prioritaires, si elle veut que ses programmes soient enregistrés auprès de l’ANDPC, et conforme aux modalités de prise en charge (de l’Opco-EP et du FIF-Pl). Le pharmacien qui assure ses formations pour le compte d’un organisme échappera cependant à ces contraintes.
D’autres difficultés, générées par la crise sanitaire, se sont cependant imposées à la profession. Un mode particulier d’enseignement à distance, le e-learning, a notamment permis à certains de les contourner. « Nous avons pu former en distanciel plusieurs milliers d’officinaux sur les tests antigéniques et les vaccins Covid-19 dans un temps très court et avec une grande réactivité, souligne Anne Delorme Mariannie, directrice des opérations au sein de l’organisme de formation Atoopharm spécialisé dans le e-learning. Nous n’aurions pas pu être aussi réactifs dans le cadre d’une formation en présentiel. » Et de détailler les avantages que comporte ce mode d’enseignement qui permet à l’équipe d’avoir accès à un grand volume de contenu, instantanément et quand elle le souhaite. « Chacun est libre d’aller à son rythme, de revenir sur un programme. Cette facilité d’accès est particulièrement adaptée à l’exigence pédagogique d’une formation ». Ici aussi, la mise en pratique des enseignements est privilégiée. « Plus que la transmission de connaissances, notre rôle est de faciliter l’utilisation qui en est faite au comptoir, notamment à l’aide de cas pratiques qui permettent de s’entraîner régulièrement. »
*Agence nationale du développement professionnel continu.