Macron n'est pas en bonne posture. Pour se consacrer presque exclusivement à l'Ukraine, il a clairement négligé la campagne électorale. Dédiabolisée par Éric Zemmour, roi de l'outrance (et de l'incohérence), Mme Le Pen est passée d'envion 15 % des intentions de vote à 21 %, exploit remarquable que M. Macron ne peut pas écarter d'une pichenette. Au second tour, il la battrait par 53/47, mais là, on est dans la marge d'erreur et le résultat réel pourrait bien s'inverser.
La droite extrême s'en réjouira, mais pas les 79 % d'électeurs qui veulent autre chose que d'être dirigés par l'extrême droite. En y réfléchissant bien, on se dit que M. Zemmour, figure ineffaçable du traître, a rendu à Marine un sacré service. Certes, elle a donné de nombreux gages de sa normalisation « démocratique ». Elle soutient l'Ukraine contre la Russie, elle ne met plus en cause directement l'appartenance du pays à l'Union européenne, et elle fait la campagne la plus « soft » de son parcours politique. On n'est pas obligé de croire ce qu'elle dit, mais beaucoup s'y laissent prendre et Zemmour a acquis toutes les tares accumulées sur le portrait de Dorian Gray, de sorte que la sympathie pour Marine augmente avec la répugnance qu'inspire le président de « Reconquête », son parti.
Si Macron, que rien ne semble ébranler, veut mettre un terme à cette dérive française en faveur du RN, il doit entrer, immédiatement et physiquement, en campagne. S'il ne l'a pas fait le jour où cet article paraîtra, il sera trop tard. Or faire campagne n'est jamais inutile. Macron est un orateur de loin supérieur à Mme Le Pen et il peut lui décocher quelques banderilles susceptibles d'améliorer son score. Franchement, on voit mal la présidente Le Pen se dépatouiller des crises ukrainienne, du pouvoir d'achat et du climat. Nous n'avons aucune raison de penser, malgré ses discours, qu'elle maîtrise ces dossiers. Pourquoi ? Mais parce qu'elle n'a cessé de répéter que tous nos maux viennent du gouvernement actuel et que sa seule élection pansera toutes nos plaies.
Les procès incessants intentés à Macron
Cette analyse peu crédible est fermement assise sur les procès incessants qui ont été faits à la macronie, la dernière en date, et ce n'est pas fini, concernant l'affaire dite des agences de conseillers. Elles ont coûté 900 millions l'année dernière, selon un rapport rédigé par une commission sénatoriale au cœur de toutes les attaques contre le président sortant. Mais l'Élysée a recours à ces agences depuis 2005, sous les présidents Chirac, Sarkozy et Hollande, et le président de la commission sénatoriale chargée du rapport reconnaît lui-même qu'il n'y a rien d'illégal dans l'usage de ces conseillers externes, mais que leur recrutement manque de transparence.
Je l'ai expliqué dans mes blogs, Emmanuel Macron a simplement déclaré qu'on n'avait qu'à le poursuivre au pénal. Aucune instance judiciaire ne prendrait cette affaire et l'essentiel est ailleurs : il se situe dans la lente mais efficace érosion de la popularité du président candidat. Ce qui me semble consternant, c'est l'aveuglement des sénateurs LR, saisis par une haine incontrôlable contre Macron, qu'ils continuent, cinq ans après, à considérer comme l'usurpateur de l'élection présidentielle de 2017, sans observer que leur candidate à eux, Valérie Pécresse, n'a pratiquement plus aucune chance de figurer au second tour. Jamais parti ne s'est comporté d'une manière aussi illogique. Loin de défendre une cause, ils ont fait le jeu de Marine Le Pen ; loin de se situer dans l'urgence et la gravité des crises auxquelles nous sommes confrontés, ils nous infligent le cauchemar d'une gouvernance atypique et incohérente.
Je crois néanmoins que le président de la République ne se laissera pas faire et que ses premiers pas dans la campagne vont lui apporter l'aura qui commençait à s'effacer. C'est un peu la fable du lièvre et de la tortue. Rien ne sert de courir, il faut partir à point. Le chef de l'État, jamais à court d'une pirouette, va tenter de renverser la récompense du mensonge et la transformer en sanction.