« Le patient nous a présenté son ordonnance papier. Nous ne savions pas qu’il s’agissait d’une ordonnance numérique. Le médecin ne l’avait pas prévenu », se souvient Hadrien, adjoint dans les Deux-Sèvres. L’histoire aurait pu s’arrêter là si le médicament inscrit sur l’ordonnance n’avait pas été le zolpidem. « Dans un premier temps, nous avons refusé la délivrance parce que l’ordonnance présentée n’était pas sécurisée. Le médecin était injoignable. Et puis nous avons remarqué le QR-Code et nous avons compris. » C’est ainsi qu’Hadrien et son équipe ont traité leur première ordonnance numérique, découvrant par la même occasion que leur logiciel était compatible avec ce nouveau service. Une anecdote qui pourrait bien se multiplier dans la plupart des pharmacies de France car en 2025, l’ordonnance numérique devient obligatoire pour les professionnels libéraux.
Toutes les pharmacies sont-elles prêtes à accueillir l’ordonnance numérique ? Techniquement, non. Fin décembre 2024, seulement sept logiciels d’aide à la dispensation sur les onze référencés Ségur étaient agréés « ordonnance numérique », c’est-à-dire compatibles avec les téléservices de l’assurance-maladie. « Un logiciel était en préparation de pré-série, et quatre étaient en phase de pré-série », confirme le président de l’USPO Pierre-Olivier Variot. Pas mieux pour les médecins. « Sur les 46 logiciels référencés Ségur, seuls treize logiciels d’aide à la prescription ont reçu l’agrément », annonçait la Fédération des médecins de France (FMF) fin 2024. Même avec l’agrément en poche, des bugs apparaissent au fil de l’utilisation. Si un certain nombre de problèmes a été corrigé, d’autres persistent et imposent de trouver des subterfuges pour valider la dispensation. « Les produits LPP type lubrifiants ophtalmiques ne sont pas connus dans la base à l’heure actuelle. Pour ne pas bloquer la dispensation, il faut indiquer “non délivré “ », témoigne Arthur Piraux, pharmacien dans le Maine et Loire. L’enregistrement de l’intervention pharmaceutique reste elle aussi à améliorer.
Tout n’est pas encore intuitif mais l’ordonnance numérique permet un gain de temps et de sécurité
Arthur Piraux, pharmacien
Malgré ces difficultés, Arthur Piraux reste enthousiaste : « Tout n’est pas encore intuitif mais l’ordonnance numérique permet un gain de temps et de sécurité. Gain de temps parce qu’il suffit de scanner le QR-code pour que toutes les informations apparaissent sur notre écran, dont l’identité du prescripteur et les lignes de médicaments. Gain de sécurité parce que chaque incohérence entre la prescription et la délivrance est signalée et doit être justifiée, ce qui équivaut quasiment à une double lecture. » Un autre atout de l’ordonnance numérique est de réduire la charge administrative puisqu’elle permet de s’affranchir de l’étape SCOR.
L’adhésion des médecins pose question
Mais la dispensation dématérialisée ne sera possible que si les médecins adhèrent à la e-prescription. « Ils ne sont pas opposés à la dématérialisation de la prescription si cela simplifie leur travail au quotidien », commente François Petty, journaliste au « Quotidien du médecin ». Olivier Leroy, médecin généraliste à Angers, émet une réserve : « Le progrès numérique ne doit pas complexifier le soin mais le faciliter. Si c’est trop complexe et chronophage pour les médecins, ce sera au détriment de la prise en charge et ce n’est pas acceptable. » S’il reconnaît des bénéfices en termes de suivi médical, le médecin angevin s’inquiète de l’immixtion de plus en plus marquée de l’assurance-maladie dans la relation médecin/patient : « il ne faudrait pas que l’ordonnance numérique soit utilisée à des fins économiques ou de surveillance. En d’autres termes, l’outil numérique ne doit pas parasiter la singularité de la relation entre le médecin et son patient. »
On ne touche pas au papier
Maître d’œuvre de ce chantier, l’assurance-maladie veut pourtant croire à la réussite de l’ordonnance numérique et à l’adhésion de tous. « Nous avons tous à y gagner. C’est pourquoi l’année 2025 sera une année de transition. Sur le terrain, les délégués numériques en santé (DNS) de l’assurance-maladie seront totalement dédiés à l’accompagnement des médecins et des pharmaciens », expliquait Marguerite Cazeneuve dans une interview au « Quotidien du pharmacien » publiée en octobre dernier. Côté patients aussi, on se prépare à la généralisation de l’ordonnance numérique. « Les associations de patients sont majoritairement favorables à la prescription numérique, notamment parce que cela offrira une meilleure lisibilité de l’ordonnance et parce que la e-prescription apparaît comme un levier d’amélioration du parcours de soins et de suivi des patients », assure Arthur Dauphin, chargé de mission sur le numérique en santé à France Assos Santé. Mais plusieurs conditions s’imposent : ne pas s’exonérer du papier pour ne pas pénaliser les patients éloignés du numérique, et ne pas faire de cet outil un moyen de surveillance, pour ne pas dire de flicage. « Nous veillerons à ce que les droits des patients soient connus et respectés. Notamment concernant la consultation des données de délivrance par le médecin prescripteur : selon la réglementation, le patient peut s’y opposer » (cf. encadré). France Assos santé insiste par ailleurs sur la nécessité d’une totale transparence concernant le devenir des données de santé, au risque de nourrir une méfiance de la population. Interrogée sur ce point, l’assurance-maladie rassure : « Toutes les données de prescription sont versées dans une base de données hébergée en France avec une forte attention portée sur la sécurité. Par essence, l’ordonnance numérique revêt d’ailleurs une sécurité bien supérieure à ce qui pouvait être pratiqué auparavant tel que l’envoi d’ordonnances via des messageries non sécurisées. »
L’ordonnance numérique à l’hôpital, c’est pour quand ?
Si les syndicats de pharmaciens titulaires reconnaissent les avantages que peut procurer l’ordonnance numérique, ils regrettent une généralisation limitée aux professionnels exerçant en ville, excluant pour le moment les praticiens hospitaliers. « La fiabilisation des prescriptions hospitalières par l’ordonnance numérique permettrait de réduire les fraudes sur les médicaments chers. Idem pour les ordonnances émanant de téléconsultation pour les médicaments addictogènes », souligne Pierre-Olivier Variot. « Tant que l’ordonnance numérique ne sera pas déployée à l’hôpital, la falsification d’ordonnance sera toujours une réalité », partage Valérian Ponsinet, chargé de la pharmacie numérique à la FSPF. Une question de mois ou d’année ? Pour les organismes de téléconsultations, l’obligation de recourir à l’ordonnance numérique s’appliquera d’ici fin 2025. Concernant l’hôpital, l’assurance-maladie indique travailler sur la mise en place d’une expérimentation avec quelques établissements de santé, sans préciser le calendrier : « cette expérimentation va nous permettre d’identifier notamment les adaptations à faire dans le cahier des charges éditeurs conçu pour la ville. »
Gare au risque d’erreurs et de fraudes associé à la coexistence des deux formats d’ordonnance
Prudents, les syndicats alertent sur le risque d’erreurs et de fraudes associé à la coexistence des deux formats d’ordonnance, traditionnel et numérique. Un risque majoré pour les médicaments stupéfiants comme l’explique Valérian Ponsinet : « Si un médecin prescrit un stupéfiant par voie numérique, c’est d’emblée sécurisé. Le problème, c’est que le support papier qu’il remet au patient n’est pas une ordonnance sécurisée. Il va falloir être vigilant lors de la dispensation et continuer à imprimer sur chaque ordonnance les produits délivrés. » Un cafouillage qui rappelle l’aventure d’Hadrien et de son ordonnance de zolpidem.
9220 pharmacies ont exécuté au moins une ordonnance numérique au 30/11/24
Quant à la traçabilité de l’intervention du pharmacien, l’USPO estime qu’il faut aller plus loin : « dans la version actuelle de l’ordonnance numérique, le pharmacien précise l’acte effectué, par exemple un changement de médicament ou une non-délivrance. Ce que nous demandons, c’est de pouvoir justifier la décision qui conduit à adapter sa dispensation par rapport à la prescription initiale : une rupture de stock par exemple, ou la détection d’une contre-indication ou d’une interaction. » Les syndicats y voient une opportunité d’ouvrir de nouvelles pistes de négociation. « On passe actuellement du temps invisible sur certaines dispensations. Si on objective ces interventions, on pourra valoriser l’intervention du pharmacien auprès de l’assurance-maladie », explique Valérian Ponsinet.
Pour les plus pessimistes, l’ordonnance numérique fait planer le spectre d’une ubérisation de la dispensation. Dans les pires scenarii, il est facile d’imaginer des bornes de lecture du QR code et une distribution directe des médicaments par un robot. Et le pharmacien dans tout ça ? Les plus optimistes voient au contraire une chance de réinventer la dispensation, aujourd’hui parasitée par la distribution et la facturation. Fort de l’expérience belge, le président de l’APB (Association des pharmaciens belges) Koen Straetmans invite les pharmaciens à se saisir de cette opportunité : « La technologie permet de nous affranchir des tâches administratives et logistiques pour nous concentrer sur notre cœur de métier, d’expert en médicament et d’accompagnement. »
Reconnaître une ordonnance numérique
L’ordonnance numérique n’est pas une ordonnance numérisée. Les produits prescrits dans l’ordonnance numérique sont enregistrés dans la base e-prescription, puis versés dans le dossier médical partagé du patient (Mon espace numérique). L’ordonnance papier accompagnant l’ordonnance numérique est remise au patient par le prescripteur. Elle porte un QR-code permettant au pharmacien de lire la version numérique sur son logiciel. Cette ordonnance papier doit obligatoirement porter la mention suivante, relative à l’autorisation de consultation des données de délivrance par le prescripteur : « Mon patient ou le ou les titulaires de l’autorité parentale a (ont) accepté que je puisse consulter ce qui a été délivré ou exécuté sur la présente prescription : OUI ou NON. »
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