Jamais depuis quinze ans, l’officine n’avait enregistré un tel bond de son chiffre d’affaires. Il s’affiche en 2020 entre 2,63 % et 3,10 %, selon les cabinets comptables*. Une hausse globalement supérieure au taux d'inflation. En valeur absolue, les quelque 29 000 à 55 000 euros supplémentaires engrangés au cours de l’année 2020 se traduisent par un chiffre d’affaires de 1,648 à 1,935 million d’euros. Un paradoxe à première vue quand on sait que la fermeture des cabinets médicaux lors du premier confinement a asséché les prescriptions de ville. Mais l’officine a des ressorts, comme en témoigne sa capacité à répondre à la crise sanitaire en mobilisant ses ressources. Masques, gels, puis tests et vaccins ont constitué alors un pan important de l’activité officinale.
L’effet gestes barrières
Grâce notamment aux honoraires et à un rattrapage des prescriptions au deuxième semestre, le médicament remboursable limite son érosion et maintient sa part (ventes plus honoraires) à 74,56 % pour Fiducial et 73,46 % pour CGP (75,40 % et 73,30 % en 2019) au sein d'un chiffre d’affaires moyen qui oscille entre 1,648 et 1,935 million d’euros. Les produits de TVA à 5,5 %, tels les masques et les gels, « des produits qui se vendaient peu ou pas auparavant », comme le relève Philippe Becker, expert-comptable chez Fiducial, sauvent également la mise en accentuant leur poids au sein de l’activité. Cette catégorie représente désormais entre 9,76 % et 10,14 % du chiffre d’affaires, contre 9,17 % et 9,53 % il y a encore un an. Même tendance pour le segment des produits de TVA à 20 % qui augmentent leur part à 10,59 % du chiffre d’affaires des pharmacies suivies par Fiducial (10,35 % en 2019). Il s'agit sans doute d'un effet de la fermeture de certains commerces.
Seuls les produits de TVA à 10 % (OTC) sont en régression et ne constituent plus que 5,09 %, voire 4,86 %, du chiffre d’affaires, contre 5,34 % à 5,49 % en 2019. Il faut sans doute y voir une conséquence de l’absence des pathologies hivernales provoquée par le respect des gestes barrières. De plus, analyse Philippe Becker, « ce recul s'explique, comme pour le médicament remboursable, par l’absence de consultations médicales pendant deux à trois mois ». Des tendances qu’il conviendra d’analyser également en 2021, estime l’expert-comptable, « puisque nous allons nous retrouver sur une activité quasi similaire en ce qui concerne, en tout cas, le début d’année ».
L'effet local
Le marché officinal n’est pas au bout de ses surprises. Car la crise sanitaire est venue jusqu’à chambouler les constantes du réseau. Les petites officines (chiffre d’affaires inférieur à 1,5 million d’euros), qui voyaient jusqu’à présent leur activité s’éroder d’année en année, connaissent un sursaut et gagnent 2,23 points, voire 2,43 points, de chiffre d’affaires. Les pharmacies de moins d’un million d’euros de chiffres d’affaires, elles-mêmes, renouent avec la croissance (+ 1,55 point), selon les observations de CGP. Il n’est que les toutes petites structures, note Fiducial, à subir inexorablement les effets d’une décroissance, chiffrée cette année à 1,82 %, après un recul de 1,20 % en 2019.
Enfin, autre vision contrastée avec les années précédentes, les officines de zones rurales inversent la tendance et doublent leur croissance annuelle à plus de 3 points. En zone urbaine, si la situation est sauvée de justesse avec une croissance de 2 points pour les pharmacies suivies par Fiducial, il n’en est pas de même pour les clientes de CGP qui accusent le coup à 1,20 % contre 2,63 % en 2019. La fermeture de nombreux commerces de ville a pénalisé les officines dites de passage. Un constat qui se vérifie également dans les bilans des pharmacies de centres commerciaux.
Le fameux effet taille
Alors que les plus grands de ces centres commerciaux ont dû fermer leurs portes, les autres ont poursuivi leur activité, et parfois même bénéficier d’un report de clientèle. Ce phénomène a profité aux officines qui y sont implantées, non loin d’une supérette par exemple. Une différenciation qui a son importance. Aussi, en moyenne, ce segment de pharmacies enregistre une hausse de 2,40 à 3,62 %, quasi similaire à celle opérée en 2019. Pour autant, les grosses structures (chiffre d’affaires supérieur à 4 millions d’euros), dont bon nombre sont situées dans des grands complexes commerciaux, semblent avoir été les premières victimes. Alors qu’en 2019, elles s’affichaient au hit-parade de la croissance à + 5,36 %, leur évolution marque le pas en 2020 à 2,57 %. Soit un taux inférieur aux pharmacies moyennes (chiffre d’affaires entre 1,5 et 2 millions d’euros), dont l’activité gagne 0,60 point à 2,76 %.
Il n’en reste pas moins, insistent les experts-comptables, que le Covid n’a pas rebattu toutes les cartes. L’adage qui se perpétue d’année en année, vaut également pour l’exercice passé. « Plus une pharmacie est de taille importante, et plus elle connaît de croissance », martèle Philippe Becker. Le fameux effet taille a décidément la vie dure. Un constat qui annonce un renforcement des disparités déjà observées au sein du réseau officinal. Ainsi, si 67,3 % des pharmacies observées ont vu leur chiffre d’affaires s’accroître pendant la crise, à l’autre bout de l’échelle, 32,7 % en ont essuyé les revers. Parmi les premières, Philippe Becker cite les pharmacies des zones rurbaines et rurales qui ont profité du confinement de la population. Les secondes sont les pharmacies des grandes villes, des centres-villes, mais aussi les petites officines réalisant moins d’un million d’euros de chiffre d’affaires. « Dans une moindre mesure, on trouve dans cette catégorie, les pharmacies des hypercentres commerciaux et les pharmacies situées dans les zones touristiques. Bien que très médiatisés, ces cas restent cependant très rares », note l’expert-comptable.
Reste à savoir comment les plus petites structures, après avoir bénéficié d’un sursis tout relatif en 2020, vont appréhender la période post-Covid. Vont-elles continuer à bénéficier du regain de sympathie des consommateurs pour le local ? Et, de manière plus pragmatique, vont-elles pouvoir rebondir sur la progression des activités liées à la gestion de la crise sanitaire ? Voire anticiper la disparition programmée des tests antigéniques et la distribution des masques. Les nouvelles missions du pharmacien, notamment son investissement accru dans la vaccination, tel qu’il pourrait figurer au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2022, ou en tout cas à la nouvelle convention pharmaceutique, pourrait permettre de capitaliser sur ces acquis de la crise.
* CGP, Fiducial et KPMG.
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