L'épidémie de Covid-19 qui grignote la planète depuis le début de l'année a provoqué un boom d'activité dans tous les laboratoires de recherche du monde. Mais dans l'urgence de la crise, plutôt qu'une synthèse ex nihilo, les chercheurs ont d'abord voulu tester certaines molécules déjà éprouvées par la médecine sur la foi de profils pharmacologiques intéressants. C'est sur ce retour sur la scène thérapeutique de six molécules anciennes que le Pr Jacques Buxeraud (professeur émérite des universités, faculté de pharmacie de Limoges) a voulu revenir sous la forme d'une revue scientifique présentée la semaine dernière lors du Congrès Spot Pharma (en ligne).
Une carence en vitamine D en lien avec la mortalité
Curieusement, ce n'est pas la présence de vitamine D, mais plutôt sa carence dans le sang, qui a mis la puce à l'oreille des chercheurs. Selon les travaux d'une équipe de l'université de Northwesten (Chicago - USA), les patients carencés en vitamine D auraient deux fois plus de risque de décès par Covid-19 que les autres, a rappelé le Pr Buxeraud. Pour leurs auteurs, la vitamine D aurait ainsi un rôle modérateur sur le fameux orage cytokinique associé à l'infection par le SARS-CoV-2. Mais attention, rappelle le pharmacologue, l'Académie de médecine a tenu à souligner que la vitamine D « ne peut pour autant être considérée comme un traitement préventif ou curatif de l'infection due au SARS-CoV-2 », tout en rappelant les recommandations en faveur d'une supplémentation adaptée en fonction de l'âge et du dosage sérique de la vitamine…
Le retour de la colchicine ?
« Les Égyptiens l'utilisaient déjà contre la goutte. Permettrait-elle aujourd'hui de traiter les complications du Covid-19 ? », interroge Jacques Buxeraud. Si l'idée n'est pas mauvaise, ce sont plus précisément les propriétés cardioprotectrices de l'alcaloïde extrait de Colchicum automnale qui guident aujourd'hui les chercheurs, explique-t-il en substance. « On connaît le bénéfice d'une faible dose quotidienne de colchicine sur le risque de survenue d'événements cardiovasculaires chez le patient atteint de maladie coronarienne chronique. » C'est cette diminution de l'inflammation qui a donné l'idée d'un essai sur des malades Covid-19 positifs (étude Colcorona en cours au Québec) visant à tester l'impact sur la mortalité et le nombre de complications pulmonaires. « Outre le fait qu'il ne faut pas négliger la mauvaise tolérance digestive de la colchicine, et dans l'attente imminente des résultats, aucun pays n'intègre pour l'heure la molécule dans ses guides de traitement du Covid-19 », indique le Pr Buxeraud.
L'azithromycine efficace… in vitro !
L'antibiotique a fait couler beaucoup d'encre durant la crise… seul ou en association. « De fait, rappelle le Pr Buxeraud, l'ANSM a rapporté une augmentation de 217 % des prescriptions d'AZT depuis le début de l'épidémie en France. » Pour autant, si le macrolide inhibe avec succès la synthèse des protéines bactériennes en se liant à la partie 50S du ribosome et en empêchant la translocation peptidique, il est seulement suspecté d'effets immunomodulateurs et anti-inflammatoires. « Quant à ses propriétés antivirales, elles n'ont été démontrées qu'in vitro », insiste le pharmacologue. Dans le cadre d'un Covid-19, qu'elle soit administrée avec ou sans hydroxychloroquine, il n'a pas été observé à ce jour de différence sur la mortalité, estime-t-il, rappelant avec force que le Haut Conseil à la santé publique (HSCP) a clairement conclu qu'il n'y avait pas d'argument pour proposer la prescription d'azithromycine dans l'infection par le SARS-CoV-2, ni en préventif, ni en curatif.
Le zinc, pourquoi pas ?
Le zinc agissant sur la composante inflammatoire de l'acné (Rubozinc, gluconate de Zn) et étant doté d'un effet antiviral (sulfate de zinc) sur le virus respiratoire syncytial… et le SARS-CoV-2, on peut légitimement s'interroger sur l'opportunité de son retour au-devant de la scène thérapeutique. Pas une panacée, certes, mais impliqué dans le fonctionnement de plus de 200 métalloenzymes et dans de nombreux métabolismes hormonaux et immunitaires, l'oligo-élément ne paraît pas inutile…
Pourquoi a-t-on parlé des IEC ?
« Pourquoi les inhibiteurs de l'enzyme de conversion sont-ils revenus sur la sellette ? Tout simplement parce que le SARS-CoV-2 entre dans la cellule grâce au récepteur ACE2 », explique le Pr Buxeraud. Et de revenir sur le complexe système rénine angiotensine, angiotensinogène (SRAA), dont le déséquilibre (vasoconstriction/vasodilatation) entraîne différentes conséquences cliniques observées au cours de l'infection par le SARS-CoV-2. Quoi qu'il en soit, souligne le pharmacologue, en cas d'HTA, les recommandations européennes plaident clairement en faveur du maintien des traitements par IEC ou par sartan.
Hydroxychloroquine : décidément c'est non !
Pourquoi l'hydroxychloroquine (HCQ) a-t-elle fait l'objet d'une telle médiatisation ? Parce que son action inhibitrice de la réplication du SARS-CoV-2, in vitro, est réelle. « Malheureusement, s'empresse d'ajouter le Pr Buxeraud, les concentrations actives sont difficilement atteignables dans le plasma humain, et les résultats cliniques sont peu convaincants… » Outre sa toxicité cardiaque bien connue (allongement de l'intervalle QT) et sa longue demi-vie (toxicité possible plusieurs semaines après l'arrêt du traitement), l'HCQ multiplie les preuves de son inefficacité. « Ainsi, souligne le Pr Buxeraud, une récente méta-analyse d'un groupe de chercheurs (INSERM France - universités de Lausanne et de Neuchâtel) a eu pour conclusion : " la seule prise d'HCQ n'a aucun effet notable sur la mortalité des patients : elle ne l'augmente certes pas, mais elle ne la diminue pas non plus. Elle l'augmente même si combinée à l'azithromycine…" »
D'après la Web conférence « Retour sur la scène thérapeutique de molécules anciennes » du Pr Jacques Buxeraud à l'occasion du Congrès Spot Pharma - septembre 2020.