Parce que l’épidémie ne sera pas terrassée au 11 mai et qu’aucun traitement ou vaccin n’apporte actuellement la solution tant attendue, les gestes barrières et la distanciation sociale deviennent la norme. En mars, les pharmaciens ont bricolé dans l’urgence des solutions pour accueillir leurs patients en toute sécurité : accueil limité en nombre de patients présents en même temps dans l’officine et file d’attente à l’extérieur, délimitation au sol avec les moyens du bord, astuces pour éviter que les clients manipulent les produits, solution hydroalcoolique (SHA) à disposition à l’entrée, installation pour certains de systèmes d’hygiaphone en plexiglas, nouvelles règles de nettoyage et d’utilisation des locaux… S’y ajoute le portage à domicile pour éviter le déplacement des patients à l’officine. Ce faisceau de mesures adaptées à chaque pharmacie va devoir devenir pérenne. Il va donc falloir passer de la bricole en urgence à un réagencement adapté aux circonstances. Outre les consignes générales du gouvernement à tous les espaces recevant du public, les représentants de la profession diffusent leurs recommandations pour assurer la protection des équipes et des patients, comme ils l’ont fait lors de la mise en place du confinement.
Missions exceptionnelles ou pérennes ?
Les missions exceptionnelles confiées aux pharmaciens vont-elles devenir pérennes ? À défaut d'être définitive, on peut imaginer que la distribution des masques aux soignants, sur dotation de l’État, se poursuive encore un long moment, en sus de la mise à disposition de masques chirurgicaux et non sanitaires au grand public. Si les autres missions pourraient aussi être prorogées selon les besoins, il ne semble pas y avoir de volonté à les rendre pérennes, qu'il s'agisse de la délivrance des médicaments pour l’IVG médicamenteuse à domicile, du renouvellement des ordonnances périmées pour les traitements chroniques, de la dispensation de spécialités habituellement réservée à l’hôpital ou de la fabrication des SHA. Le dispositif permettant l’accueil de victimes de violences intrafamiliales, conçu spécifiquement pendant la période de confinement qui a vu les signalements exploser, pourrait en revanche être durable.
Autres nouveautés créées par la situation épidémique : de nouvelles offres apparaissent en rayon. Outre les masques grand public et chirurgicaux, les pharmacies ont accueilli la production – artisanale ou industrielle – de SHA. Avec le déconfinement, la consommation de ce produit va être démultipliée avec l'installation des gestes barrières.
Nouveaux réflexes
Ces mesures concernent également la prévention de l’équipe. Une équipe qui a répondu présente tout au long du confinement. Comme en témoigne une enquête réalisée par Pharmed'insight*, dans 60 % des officines, les collaborateurs ont poursuivi leur travail sans relâche depuis le début de la crise. Une prime défiscalisée et désocialisée permettra, le temps venu, de récompenser cet engagement et de souligner l’effort accompli. Car les rares défections signalées étaient le fait de salariés qui avaient dû cesser leur activité pour garder leurs enfants. Après le 11 mai, la question restera d’actualité puisque de nombreuses classes ne rouvrent pas leurs portes à cette date. Ces collaborateurs pourront prétendre au chômage partiel tout au long du mois de mai, et si leur situation perdurait en juin, ils devraient produire une attestation de l’école confirmant que leur enfant ne peut être accueilli dans l’établissement, comme l’a annoncé le 29 avril, Muriel Pénicaud, ministre du Travail.
Dans le monde d’après, les forces vives de l’officine devront être préservées du virus qui continuera à circuler. La mise en place du « zéro contact » introduit pendant le confinement se poursuivra. La dématérialisation de l’ordonnance, envoyée par le prescripteur, le paiement sans contact possible à partir du 11 mai pour des sommes jusqu’à 50 euros, l'absence de manipulation de la carte vitale ainsi que la systématisation du mode dégradé pour les feuilles de soins… Autant de réflexes, adoptés durant la pandémie, qui s’insinueront dans les habitudes.
Des nouveaux modes d'organisation, qui se sont pourtant mis en place dans l'urgence, ont fait leurs preuves. Le rôle du pharmacien correspondant s’est imposé face à la montée du renoncement aux soins dans la population confinée. Sans compter le télésoin appliqué sans délai dans les Hauts-de-France et en Bourgogne-Franche-Comté. Il y a fort à parier que la prolongation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 23 juillet, qui sera vraisemblablement votée par les parlementaires en ce début de semaine, perpétuera jusqu’à cette date, et même au-delà, certaines de ces pratiques.
L'interpro sort gagnante
Des doutes pèsent toutefois sur le renouvellement automatique des ordonnances. Car ce dispositif mis en place par arrêté le 14 mars, a son revers. Les médecins, dont les cabinets ont été désertés pendant le confinement, ont remis en cause cette pratique systématique et demandé aux pharmaciens de ne pas renouveler les ordonnances périmées, sans contacter au préalable le médecin traitant. L’interprofessionnalité aurait-elle souffert de la crise sanitaire ? Pas si sûr, car hormis cette question, nombre d’exemples de terrain témoignent d’une solidarité entre les professionnels de santé de ville. La pandémie a resserré les liens tout autant qu’elle a mis en valeur la pertinence des organisations en place sur les territoires, telles les ESP, les MSP et les CPTS**. Ces structures qui ont fait leur preuve à plusieurs niveaux dans la continuité des soins et le soutien aux professionnels de proximité vont sans aucun doute tirer parti de l’expérience pour renforcer leurs bases.
Reviendra-t-on sur les évolutions de l'officine liées à la crise ? Assurément non. Car au-delà de la pérennisation de certains gestes, de nouveaux modes de fonctionnement se sont imposés, devançant ainsi le calendrier conventionnel. La pharmacie du 11 mai ne sera pas celle du 16 mars. Elle ressemblera davantage, à certains égards, à l'image que les mutations du système de santé avaient dessinée pour elle : la pharmacie du futur, mais en mode accéléré.
* Rapport d'étude qualitative menée auprès d'un panel de 130 titulaires d'officines du 20 mars au 3 avril 2020.
** Équipe des soins primaires, Maison de santé pluridisciplinaire, Communauté professionnelle territoriale de santé.